
Australie L’eldorado sac au dos

Soleil, surf, kangourous, koalas, boomerangs, vin australien et un sentiment persistant: "all is possible"
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Notre guide
Le Belge Johan Lolos est "digital nomade" et photographe amateur. Son but: devenir blogueur de voyage pro. A suivre sur instagram.com/lebackpacker, facebook.com/lebackpacker, twitter.com/LeBackpacker
Ils sont âgés de 18 à 30 ans. Ils sortent des études. Incertains voire carrément réticents à se lancer dans la quête d’un emploi, ils choisissent l’échappatoire. Tant qu’à faire, le plus inaccessible possible. Et pour un jeune Belge, l’Australie, ses 24 heures d’avion et ses terres entourées d’eau répondent parfaitement aux cahiers des charges. Qu’il prenne la forme d’une année sabbatique, de vacances-travail ou d’études à l’étranger, cet exode vers le pays d’Oz et le fantasme de l’Aventure avec un grand A (manifestement et paradoxalement jugée plus rassurante que l’expédition dans la jungle du travail) confine de plus en plus au rite initiatique.
Selon le WEP (pour World Education Program), une organisation belge qui organise ce type de voyages, 75 % des jeunes qui partent dans le cadre de leur formule "Jobs & Travel" choisissent l’Australie comme destination, contre 15 % pour le Canada et 10 % la Nouvelle-Zélande.
Welcome to Oz
On ne peut objectivement pas leur donner tort. Pour la troisième année consécutive, Melbourne est considérée par l'hebdo britannique The Economist comme la ville la plus agréable à vivre au monde, tandis qu’Adélaïde (5e), Sydney (7e) et Perth (9e) se glissent aussi dans le top 10 d’un classement établi sur des critères aussi divers que le climat, le système de santé ou la menace terroriste. Et de fait, le bon vivre australien est réputé et unanimement décliné par des adjectifs comme "cool", "relax" ou "accueillant". "Comme avec les Américains, le premier contact se crée assez facilement", confirme Adrien Buntinx, responsable communication au WEP. Une philosophie déculpabilisante dont sont témoins les deux expressions les plus courantes: "Take it easy" ("Ne t’en fais pas") et "No worries mate" ("Pas de problème, mec"), mâchées par les Aussies et leur accent incompréhensible.
"On est à mon sens dans un mélange de mentalité anglaise et de culture californienne, avec une population fortement concentrée le long des côtes et ouverte vers la mer et la nature , analyse Adrien Buntinx. D’ailleurs, l’activité favorite des locaux le week-end consiste à faire un barbecue sur la plage, du camping ou une randonnée."
Séduits par cet esprit, les candidats au voyage, les "backpackers" comme on les appelle là-bas, embarquent avec eux avec une mythologie qui convoque soleil, surf, kangourous, koalas, boomerangs et vin australien, ainsi qu’un sentiment persistant: "all is possible", encouragé par les 21 années de croissance ininterrompue de l’économie australienne et un taux de chômage réputé comme l’un des plus faibles au monde. Il est possible de trouver un boulot en une journée, dit-on. L’American dream aurait ainsi cédé la place au "rêve australien", qu’on peut citer en français dans le texte tant le contingent de francophiles qui débarque au pays d’Oz est important.
Travailler plus pour voyager plus
En effet, chez nous comme en France, le nombre de visas "working-holiday" ("vacances-travail"), valables un an, a explosé en une décennie. Ce programme permet d’autofinancer son voyage en multipliant les jobs saisonniers d’une durée maximale de six mois. Pour obtenir un deuxième visa, il faut justifier un trimestre de travail. "Il existe énormément de petits boulots dans le service qui ont disparu en Europe, informe Adrien Buntinx. Par exemple, lors d’un accident, quelqu’un est payé pour tenir un panneau "STOP" ou "GO" pour réguler la circulation." Le gouvernement australien, lui, se félicite de cette main-d’œuvre bon marché qui participe au dynamisme économique.
"Dans les petites villes très isolées, comme Darwin, il y a un gros manque de ressources humaines" , détaille le Belge Johan Lolos, un globe-trotter de 27 ans qui peut se prévaloir d’une solide expérience en "working-holiday". "Il est beaucoup plus difficile de trouver du boulot dans des mégapoles comme Melbourne ou Sydney où la concurrence entre la foule de backpackers qui débarque chaque année se fait rudement sentir par tout le monde! A fortiori en saison creuse." Malgré cela, Johan a pu enchaîner les petits boulots, hétéroclites: barman dans des courses de chevaux, pizzaiolo, plongeur dans un restaurant, encodeur de données commerciales, photographe de mariage, serveur de banquet… Mieux: il a pu faire valoir son diplôme en communication et a réalisé des sites Internet et du consulting en médias sociaux, alors que les emplois qualifiés sont en principe réservés aux résidents.
Résultat, alors qu’il avait emporté avec lui un capital de réserve de 7.000 euros, il n’y a pas encore touché. Débrouillard, il rivalise d’ingéniosité pour faire face au coût de la vie particulièrement élevé en Australie, où le kilo de bananes revient à 7 $ (presque 5 €), le paquet de clopes à 20 $ (15 €) et la semaine en colocation - où on partage non pas un appartement mais une simple chambre - à 200 $ (150 €). "J’ai par exemple fait le cobaye pour l’essai clinique d’un antibiotique: 1.300 $ pour quatre jours". Pas question par contre de céder au "french shopping", un terme qui désigne le vol à l’étalage mais aussi l’attitude générale outrancière dont les packpackers français (mais pas que…) seraient coutumiers. "Ils ne sont absolument pas respectueux, laissent leurs déchets partout et sont bruyants" regrette Johan qui y voit une raison d’éviter les auberges de jeunesse. "En 10 mois, j’y ai passé moins de quinze nuits. Je ne me sens vraiment pas dans ce trip-là. Je préfère passer une nuit en tente, seul au milieu de la jungle australienne, plutôt qu’avec une horde de jeunes franco-anglo-allemands alcoolisés et dépensant 150 $ de bières en un soir."
Cet amoureux du roadtrip en solitaire glisse d’ailleurs un avertissement aux candidats backpackers: "Si vous pensez venir en Australie pour vivre une expérience hors du commun et inédite, détrompez-vous, des milliers d’autres jeunes ont eu la même idée et vont vous disputer les mêmes jobs, les mêmes terrains de camping, les mêmes auberges de jeunesse, les mêmes W.-C. et barbecues publics". A Darwin, la ville la plus chère d’Australie, Johan a pris la tangente, en optant pour le programme HelpX (pour "Help Exchange"), une forme de bénévolat où, en échange du gîte et du couvert, "l’invité" rend de petits services à la famille qui l’accueille, à raison de 4 à 5 heures par jour.Une expérience relativement banale si les Elliot n’avaient pas une maison hors du commun… "L eur cuisine, leur salon, leur salle de bain sont… à l'air libre , s’enthousiasme Johan.Il n’y a que dormir qu’ils font entre quatre murs et sous un toit! Ils vivent donc la plupart du temps dehors. La météo tropicale de Darwin facilite évidemment ce style de vie, mais ça reste assez inédit dans la région."
Les plus beaux clichés
Une expérience insolite de plus à glisser dans un album déjà riche de souvenirs, au gré des pérégrinations dans une flore des plus contrastée, entre forêt vierge et déserts arides, et de rencontres avec une faune improbable aux noms exotiques: ibis, opossum, iguane, émeu, ornithorynque, dingo ou casoar. Entre les nuits à admirer la Voix lactée au-dessus du désert, les 40 heures en train entre Adélaïde et Perth dans le légendaire Indian Pacific ou la nage avec le requin-baleine, le plus grand poisson du monde, le baroudeur est d’ailleurs bien en peine de nous établir son best of.
Ses aventures, il les partage en primeur et en photos avec sa communauté de 20.000 followers sur Facebook et Instagram. Ainsi que sur voyagerloin.com, le n° 1 des blogs de voyage francophones, dont il a rejoint l’équipe en janvier dernier. "J’aurais pu être payé, mais cela signifiait travailler 8 à 10 h par jour et renoncer à ma liberté. Ma rétribution, ce sont les activités que m’offrent les agences de tourisme en échange de visibilité sur le blog: survoler la Grande Barrière de corail en hélicoptère dans le Queensland ou plonger en cage avec le grand requin blanc, par exemple. Des activités normalement assez coûteuses."
C’est toutefois un spectacle totalement gratuit qui restera de son propre aveu "l’expérience la plus intense" vécue par notre bourlingueur: la ponte de tortues de mer de 150 kilos sur Bare Sand Island un soir de super lune. "Assis durant trois heures, je les ai vues surgir de l'océan à la tombée de la nuit, chercher l’endroit idéal, creuser un trou dans le sable avec leurs nageoires et déposer une cinquantaine d’œufs au frais et à l’abri des prédateurs." Un moment rempli d’émotion que notre témoin privilégié a - comme à son habitude - immortalisé. Et si les demandes de médias, dont le prestigieux Daily Mail, ont afflué pour publier ses clichés, c’est que Johan a eu en outre la chance d’assister à un événement encore plus unique: "Des œufs d’une autre ponte ont éclos. La lumière de la pleine lune les dirigeait dans la mauvaise direction… On a dû guider les bébéstortues jusqu'à la mer à l’aide de nos lampes de poche!" Au final, seules les femelles reverront un jour le rivage, d’ici une dizaine d’années, pour pondre à leur tour. Franchement, quel backpacker peut bien rivaliser avec cette "Aventure avec un grand A" là?