

Bureau du président du MR, avenue de la Toison d'or à Bruxelles. Quand il nous reçoit, la soirée est déjà assez avancée, mais Charles Michel, grand sourire, travaille toujours. Le formateur rentre à peine d'une nouvelle journée de négociations avec les quatre partis susceptibles de composer la nouvelle majorité fédérale. Pas une mince affaire. C'est que l'attelage que MR, N-VA, CD&V et Open VLD tentent jour après jour de mettre sur pied est particulièrement inédit. Confortée par un seul parti francophone (une première), orientée de centre droit, cette coalition marquerait notamment l'entrée au gouvernement des nationalistes flamands avec qui tout le monde, au sud du pays, espérait ne pas devoir un jour négocier.
Cette "suédoise" (du bleu libéral, du jaune nationaliste, et une croix socio-chrétienne), si elle éclot, devra beaucoup à la personne de Charles Michel. D'abord nommé informateur, puis formateur avec le CD&V Kris Peeters, le président du MR et bourgmestre de Wavre aura réussi à peu près l'impossible: amorcer la mise en place d'un gouvernement en quelques semaines, alors que les résultats des élections - victoire de la N-VA au nord et PS premier parti au sud - laissaient augurer une nouvelle longue crise politique. Surtout, il aura bouté hors du champ fédéral un Parti socialiste pourtant à ce niveau de pouvoir depuis 25 ans. En soi, un fait historique. Et une revanche. D'abord pour tout le MR, éjecté des majorités wallonne et bruxelloise. Et singulièrement pour Charles Michel, pour qui plus d'un observateur prédisait un échec cuisant dès sa nomination comme informateur, le 27 juin dernier. Certes, le programme que cette coalition sembler préparer suscite son paquet de craintes. Mais sauf rebondissment inattendu, et même s'il lui reste du chemin à parcourir, celle-ci devrait entrer en fonction dans les prochaines semaines.
En ce soir de pluie, dans son bureau, Charles, 38 ans, revient sur ce qui restera jusqu'ici les deux mois les plus denses et les plus importants de sa carrière politique. Entre deux morceaux de son plat préféré (des pizzas), le fils de Louis nous explique comment la mise sur pied de cette coalition ex-kamikaze a été rendue possible, pourquoi elle s'avère à ses yeux absolument indispensable, et pourquoi, selon lui, il ne faut pas avoir nécessairement peur de la N-VA...
Voilà déjà deux mois que vous avez été nommé informateur. Vous vous souvenez de votre état d'esprit quand on vous a appris que vous seriez chargé de cette mission?
Charles Michel - Bien sûr (sourire). J'étais à Wavre, en réunion, au collège communal. C'était très fort. Quasiment physique. Je savais depuis quelque temps que j'étais sur la short-list de ceux qui risquaient d'être amenés à accepter ce job. Donc j'y avais déjà réfléchi. Sans trancher. Mais quand la proposition a été exprimée, je n'ai pas hésité. Même si je savais que la mission était casse-cou. Le PS et le CDH venaient de former des gouvernements régionaux sans prendre en compte la victoire du MR aux élections (six sièges de plus en Wallonie, cinq à Bruxelles). CD&V et N-VA avaient fait de même, le premier exigeant que la seconde soit présente dans tous les gouvernements. Et l'Open VLD, qui reste un parti frère, paraissait mis hors jeu... Bref, je savais que cela allait être extrêmement compliqué. Mais j'ai le goût de la compétition, donc je me suis dit: bon, comme c'est difficile, je vais réussir (rires).
Un mois après, re-coup de chaud: vous êtes nommé formateur avec Kris Peeters.
C.M. - Oui, tout le monde avait écrit que je n'étais là que pour occuper le terrain, le temps que Elio Di Rupo et le PS reviennent en superstar. Je voulais faire démentir cela, parce que je savais que si j'échouais, si le PS et la N-VA se retrouvaient à nouveau face à face, on repartait pour une crise et on remettait le démantèlement de la Belgique sur la table. Or, je savais qu'il y avait une solution possible, mais avec un puzzle assez compliqué à assembler.
Comment avez-vous travaillé?
C.M. - Avant de lancer la formation, j'ai multiplié les contacts personnels avec chaque président de parti, seul, sans intermédiaire, ni collaborateur. Les yeux dans les yeux, parce qu'il fallait que je sache jusqu'où on pouvait faire confiance à tel ou tel, avec quelle orientation, quel engagement. En politique, il y a du rationnel, mais aussi beaucoup d'interpersonnel. Il fallait que j'aie la conviction qu'on pouvait franchir les obstacles ensemble.
Lors de ces entretiens, vous avez découvert des gens?
C.M. - Oui, bien sûr. Cela a créé des liens. Mais c'est aussi parce que j'en avais déjà créé d'autres par le passé. J'ai par exemple beaucoup d'estime pour Wouter Beke (président du CD&V), ce n'est un secret pour personne. On a appris à se connaître lors des négociations de 2010, on est de la même génération. On a une proximité sur l'avenir et les priorités de ce pays. On avait déjà fait en janvier une communication conjointe, inédite, notamment parce que nous appartenons à des familles politiques différentes. On avait décidé, si nous devions participer à un gouvernement, de nous concentrer sur les problèmes socio-économiques et de faire fonctionner nos institutions suite à la dernière réforme de l'Etat. Aujourd'hui, cette déclaration se concrétise.
Pourquoi avez-vous jusqu'ici réussi là ou Bart De Wever avait échoué dans sa mission d'information?
C.M. - La mission de Bart De Wever n'a pas servi à rien. Elle a permis un positionnement très clair et public de la N-VA, qui s'est engagée à ne discuter que sur le terrain économique et social. Ça c'est une démarche utile. Ensuite, elle a terriblement clarifié la position du CDH et du PS, qui ont fait le choix de se replier dans les régions, et de renoncer à défendre les francophones dans une coalition au fédéral...
Accepter d'entrer dans ces négocations avec la N-VA, n'était-ce pas une espèce de réponse du berger à la bergère? Qu'est-ce qui vous a poussé à accepter?