
Christian Bale: "Tout le monde franchit la ligne entre le bien et le mal"

La gueule cassée par les nuits sans sommeil et les jours sans soleil, accent mi-gallois, mi-borborygmes, des yeux perçants qui se plantent dans les vôtres et vous mettent au défi de poser une seule question qui ne lui reviendrait pas…, Christian Bale pourrait effrayer n'importe quel intervieweur. Pourtant, c’est précisément ce mélange de bon, de brute et de truand que l’on aime chez lui. Une vraie tronche de cinéma, du genre de celles qui marquent même sous un masque de chauve-souris.
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Bale survivra-t-il à la fin de la trilogie Batman? Sans problème: l’homme sait multiplier les projets, parfois financièrement moins ambitieux mais artistiquement toujours très excitants. Souvenez-vous, il y a eu Fighter, où sa prestation d’entraîneur de boxe cabossé lui a valu l’oscar du meilleur second rôle. Et avant ça, son fascinant rôle de magicien dans Le prestige, son rôle de yuppie psychopathe dans American Psycho, ses cauchemars éveillés dans The Machinist et même ses leçons de journalisme face aux stars du glam-rock dans Velvet Goldmine. Aujourd'hui, l'ex-gamin découvert par Spielberg (dans L'empire du soleil) s’apprête à tourner dans le nouveau film de Terrence Malick et vient de terminer Out Of The Furnace, thriller que l’on annonce implacable, en compagnie de Willem Dafoe. C’est donc un homme au parcours sans faute, exigeant, que nous avons rencontré dans un palace parisien, juste la veille du massacre d'Aurora. Fruit cruel du hasard, il nous y a tenu - sans le savoir - un discours presque prémonitoire…
La fin de la trilogie Batman, vous la percevez comme un soulagement ou comme un adieu déchirant?
Christian Bale - Avec un sentiment aigre-doux. D’un côté, je suis content d’enfin pouvoir me consacrer pleinement à autre chose. Mais d’un autre, en arrivant ici ce matin, j’ai vu des affiches promotionnelles du film dont le slogan était "La légende s’arrête le 25 juillet", donc le jour de la sortie. Et là, je me suis vraiment rendu compte que c’était la fin. Drôle de sentiment! Batman fut une expérience hors du commun.
Par le fait que Batman touche à un véritable mythe de la culture américaine? Ou parce que le réalisateur Christopher Nolan est l’un des seuls capable de concilier des films pop-corn avec l’actualité?
Je n’ai jamais lu les bandes dessinées de Batman, ni avant de commencer les films ni pendant que je les tournais, et je n’ai jamais été en contact avec des fans. Je n’ai donc jamais eu conscience de l’ampleur du mythe. Tant mieux! Cela m’aurait paralysé. Par contre, il est vrai que Christopher Nolan est arrivé à créer des films à deux niveaux de lecture. On peut les voir comme de simples divertissements. Mais aussi comme des œuvres plus complexes ancrées dans le monde réel. Et durant le tournage de The Dark Knight Rises, la réalité a carrément rattrapé la fiction. Puisque Chris avait imaginé cette histoire où le monde de la finance en prend pour son grade. Et que nous avons tourné ces séquences à quelques rues des gens qui occupaient Wall Street pour de vrai!
Qu’est-ce que ce troisième volet apporte de plus que les deux autres, d’après vous?
Il plonge plus profondément dans l’ambivalence de Batman. Mon personnage marche durant tout le film en équilibre instable sur cette ligne très fine entre le bien et le mal. De l’un à l’autre, le pas est vite fait.
Vous avez parfois aussi franchi cette ligne en tant qu’être humain?
Mais tout le monde la franchit parfois. Vous aussi! (Il sourit!) De manière plus générale, Batman m’a appris à me blinder. Bref, à résister à mes pulsions négatives par le calme et la maîtrise de soi. Et j’ai appliqué cet aspect du personnage le mieux possible dans ma vie de tous les jours. J’ai moins de colère en moi maintenant.
En fait, après trois films, c’est Christian Bale qui ressemble à Batman ou Batman qui ressemble à Christian Bale?
Vaste question! Un peu des deux, sans doute. Le défi, encore plus dans ce troisième film, était de s’écarter du superhéros sans peur et sans reproche. De camper un gaillard très nuancé. Assez sombre et taiseux. Avec une sorte de charisme silencieux…
C’est cette même sorte de charisme silencieux qui vous a permis d’être repéré par Steven Spielberg au milieu de 4.000 enfants pour jouer dans L’empire du soleil?
Je n’avais que treize ans à l’époque. Dès lors, je ne sais pas si on peut parler de charisme. Mais on peut en tout cas souligner un caractère déjà bien trempé! Je me rappelle m’être présenté au casting en me disant que ce rôle ne pouvait pas m’échapper. J’ai regardé l’un des assistants de Steven droit dans les yeux sans rien dire. Je crois que tout s’est joué à ce moment-là…
Vous n’avez jamais songé à changer totalement de registre? Dans une comédie à l’eau de rose, par exemple?
Il ne faut jamais dire jamais! Mais je n’ai encore jamais reçu de scénario de ce genre. Pourtant, je trouve que ce serait un chouette contre-emploi. Evoluer dans un registre plus léger de temps en temps me ferait sans doute des vacances...
C’est-à-dire?
Je ne suis pas ce genre d’acteur qui va sur le plateau incarner son personnage comme s’il allait au bureau, puis rentre chez lui et arrive à tout oublier jusqu’au lendemain. Quand je suis en tournage, je suis immergé dans mon personnage 24 heures sur 24. Et comme je ne campe que des rôles durs et prenants, c’est parfois très douloureux. Pour moi. Mais aussi pour mes proches. Je devrais arrêter de ramener du boulot à la maison…
Pour ne plus ramener du travail à la maison, il existe une solution toute trouvée: carrément travailler à la maison!
Mais faire quoi? Écrire des livres? Pondre un scénario? J’ai parfois galéré durant des mois comme acteur, crevant de faim avant qu’on ne m’appelle pour un projet. Maintenant que la situation s’est inversée, que je reçois plus de scripts que je ne peux en accepter, et que même Terrence Malick pense à moi, je ne vais quand même pas cracher dans la soupe! Avec des hauts et des bas, je suis acteur pro depuis que je suis enfant. Je ne sais rien faire d’autre. Encore aujourd’hui, malgré la notoriété, même si j'ai prouvé ce que j’avais dans le ventre, je me sens parfois très mal à l’aise quand je suis entouré de gens dits "lettrés". Je n’en pleure pas dans mon lit. Mais, parfois, j’y pense un peu quand même…
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