

[...]
Tout comme Adèle avec "21", votre album tourne exclusivement autour de l'échec amoureux. N'est-ce pas un peu précoce à votre âge?
Béatrice Martin - Sans doute, mais c'est le destin qui l'a voulu. J'ai connu suffisamment d'expériences, bonnes ou douloureuses, pour ne garder que ce seul thème dans les chansons de "Blonde". Ce n'est pas toujours autobiographique et encore moins chronologique. Je ne voulais pas plomber l'atmosphère, rester dans les clichés et être prévisible en suivant le fil classique d'une relation: la rencontre, le coup de foudre, la séparation. Mais la matière était là…
N'est-ce pas manquer de pudeur que d'évoquer ses déboires amoureux sur douze chansons?
Je ne le pense pas car il y a des chansons très optimistes dans ce disque. Ceux qui me suivent pourront identifier l'une ou l'autre personne qui se cache derrière les pronoms "tu" ou "il". Mais je reste assez vague pour permettre à l'auditeur de se faire sa propre interprétation.
"Blonde" s'adresse-t-il exclusivement aux femmes?
Non, "Blonde" s'adresse avant tout aux fans. La chanson Place de la République a servi de moteur à cet album. Je l'ai écrite pour mon public car je sais ce que je lui dois. Après la tournée qui a suivi mon premier disque, j'ai connu une descente vertigineuse, un trou noir. Sans le soutien des fans, je n'aurais jamais réussi à écrire cette chanson que je souhaitais parfaite. Et le disque serait resté dans mon laptop. Mais, sur le fond, vous avez peut-être raison: "Blonde" touchera peut-être plus les filles car il y a beaucoup de compassion entre nous sur ces sujets-là. Les mecs ne parlent pas trop entre eux de leurs déboires amoureux.
Quel genre de "Blonde" êtes-vous?
Au Québec, "Blonde" est une expression assez affectueuse pour "compagne" ou "petite copine". Je suis une "Blonde" qui bouge beaucoup et qui se fait larguer.
Dans quelle mesure le succès de Coeur de Pirate a-t-il nui à votre vie amoureuse?
Plus la tournée avançait, plus le succès devenait important et plus je me sentais seule. Etre sur la route pendant un an et demi, comme je l'ai été entre 2009 et 2010, ne favorise pas la stabilité d'une relation. Les rapports sont éphémères et les gens que vous rencontrez ne vous comprennent pas. Ce n'est pas un hasard si mes boyfriends gravitent tous dans le milieu de la nuit ou de la musique. Nous avons la même vie. Mais ce n'est pas pour autant que ça a bien marché entre nous.
Comment expliquez-vous alors vos échecs amoureux?
Quand vous êtes connue, vous êtes aussi reconnue et sollicitée. Alors, je ne vous fais pas le tableau si, en plus de tout ça, vous êtes une jeune fille blonde avec des tatouages. Mon problème, c'est que je me blinde pour me protéger, mais lorsque je fais confiance, je donne tout. Je me suis perdue et détruite à cause des mecs. J'ai fait des choix professionnels uniquement en fonction de mon petit ami du moment. C'est exactement ce qui s'est passé avec Jay (Jay Malinowski qu'elle a rencontré lors des J.O. de Vancouver en 2009). J'étais dingue de lui, je voulais tout apprendre de lui. C'est une erreur monumentale qui s'explique par ma peur de me retrouver toute seule.
N'avez-vous pas le sentiment d'avoir grandi trop vite?
J'ai encore des comportements d'enfant. Tant mieux. Mais j'ai effectivement été propulsée très jeune dans un monde d'adultes. Je suis toujours entourée de gens plus vieux. Allez, on va dire de gens plus âgés, histoire de ne vexer personne…
Vos chansons se déroulent le plus souvent la nuit. D'où vient cette fascination?
À l'âge de quinze ans, j'ai commencé à fréquenter de manière assidue le monde de la nuit à Montréal. J'étais fascinée par les gens que je rencontrais: les musiciens, les peintres, les prostituées, les marginaux. Comme le répète souvent le chanteur Christophe, les personnes que vous croisez la nuit sont différentes. Elles ne trichent pas, affichent toute leur vulnérabilité et leur sensibilité. J'étais souvent la plus jeune du cercle mais, de manière assez bizarre, c'est toujours à moi que les gens venaient se confier. J'étais en pleine crise moi-même. C'était ma période un peu trash. Je me suis souvent demandé ce que je foutais là, si ce monde bizarre n'allait pas finir par me détruire et puis, il y a eu Coeur de Pirate.
La chanson Eva évoque une prostituée. Elle existe vraiment?
Cette chanson, c'est un peu ma Roxanne à moi (allusion à Roxanne, tube du groupe Police inspiré par une prostituée parisienne). La fille existe, mais elle ne s'appelle pas Eva. Elle est venue me parler dans un bar. Elle disait qu'elle était française mais elle mentait. Elle entretenait une relation avec son souteneur et me confiait que, même si c'était difficile, elle travaillait pour lui parce qu'elle l'aimait. Il y avait beaucoup de tendresse dans ses propos et ça m'a profondément touchée.
Cette chanson s'adresse-t-elle au public qui vous a découverte avec Comme des enfants?
Il y a un grand fossé, mais c'est pourtant le même monde. Et c'est toujours Coeur de Pirate qui parle. Mais quand on dit Coeur de Pirate aujourd'hui, on imagine une jeune fille blonde un peu fleur bleue qui joue du piano. Je veux montrer autre chose. Le titre de l'album, "Blonde", c'est aussi un peu ironique. C'est exactement ce à quoi on s'attend de moi alors que j'ai changé.
Vous étiez la voix française de la Schtroumpfette dans l'adaptation cinématographique de la BD. Quel est votre Schtroumpf préféré?
Le Schtroumpf coquet. C'est le seul gay de l'histoire et il doit se sentir bien seul. Nous aurions des tas de choses à nous dire.
Votre père vous surnomme "le tigre". Ça vous convient?
Tous les mecs que j'ai eus m'appelaient par un nom d'animal. Et il n'y avait pas que des trucs sympas. Le tigre, ça me va très bien. Je ne me laisse pas faire, je fonce et j'ai aussi de la grâce. C'est moi, vous ne trouvez pas?
Le 4/12 à l'A.B.
Coeur de Pirate
Blonde
Universal