

L'enfant de Marseille a l'expression sereine et le débit rapide du type déterminé. Il n'a que 25 ans mais ne manque pas d'esprit. Franc tireur dans ses textes, acerbe mais réaliste, ce punchlineur se montre posé quant à l'approche de son métier: emcee. Lui, c'est Deen Burbigo, membre du prolifique collectif parisien l'Entourage, qui a déjà vu naître le groupe 1995. Vous ne le connaissez pas encore? Ca ne devrait pas tarder. Glanées sur YouTube, ses performances cumulées affichent des millions de vues (Rap Contenders, freestyles, clips, live,...). Après la sortie de son E.P. "Inception", prometteuse figure de style, le rappeur prévoit la sortie d'un album à l'automne. L'occasion de transformer l'essai en attestation? Interview.
Le rap, c'est une histoire de famille?
Plus ou moins, je devais avoir 10 ans à tout casser quand j'ai commencé à en écouter. Mon grand cousin était un fanatique de rap, il m'a mis le premier Wu-Tang, "L'école du micro d'argent" d'IAM et "Si dieu veut" de la FF dans les oreilles et c'était parti. J'ai plongé dans le hip-hop de New-York pendant des années. Mais ça a changé, j'ai diversifié mes influences avec d'autres genres: la musique afro-américaine, les années 60-70,... J'écoute aussi beaucoup de Brassens, de Brel ou d'Aznavour. Je suis fan.
Kery James avait fait un morceau avec Aznavour... Le parallèle entre le rap et la chanson française, ça te parle?
Evidemment. Le processus de création est le même. D'ailleurs, un Aznavour ou un Brel ne s'inscrivent pas dans une tradition ou dans un répertoire précis. Ils ont une patte, une touche reconnaissable instantanément et c'est ça qui m'intéresse. C'est ce que je veux reproduire dans ma musique. Ces chanteurs ont un véritable univers, ils arrivent à le faire transpirer dans chaque mot et à le transmettre.
C'est un peu ce qui manquait dans le rap mainstream en France, ces dix dernières années: un message.
C'est plus que ça. Le message n'est pas obligatoire: tu peux ne rien raconter du tout, ou du moins ne rien revendiquer, mais transmettre une émotion. Un poème sur un thème sans importance à la base peut te remuer, s'il est bien fait. Il acquiert alors un message intrinsèque, un double sens.
Justement, quel est le message de Deen Burbigo?
Je tente d'être positif... J'essaie déjà de faire des bons morceaux et plus ça va, plus je peux me permettre de travailler la musique en tant que telle. En fait mon optique a changé. Avant, j'étais à fond dans le emceeing: je pratiquais le rap comme un sport, j'essayais d'être le meilleur, le plus technique. Je m'efforce aujourd'hui de développer une couleur personnelle, reconnaissable entre mille, mais je n'y suis pas encore. C'est comme ça qu'on développe un public. Dans un titre comme Soldat Sûr, je voulais casser les clichés du rappeur moyen, montrer qu'il n'y a pas que des méchantes cailleras et des bolosses dans le rap. La vie est bien plus nuancée.
Nuance qui s'illustre dans ton parcours... Tu as une licence en histoire. Pourquoi ce choix de filière?
J'avais arrêté les études depuis deux ans et je savais que je ne les reprendrais pas en restant dans le Sud (Marseille : NDLR) donc j'ai bougé à Paris. A l'époque j'étais à fond dans la géopolitique, c'est cet intérêt qui m'a mené vers l'histoire, pour apprendre les fondements de ces problématiques. Au delà du contenu propre de ma licence, la fac a été très formatrice. Il y a un brassage de gens et de cultures qui n'est pas forcément naturel dans la vie de tous les jours. Ca m'a aussi fait réfléchir sur ce que je voulais faire de mon avenir: devenir prof ne me faisait vraiment pas fantasmer... J'ai toujours voulu travailler dans le milieu artistique et ça s'est confirmé à ce moment là.
Le buzz autour de l'Entourage est impressionnant. La peur qu'il soit utilisé et réexploité par les médias généralistes -à la Sexion d'Assaut- ne vous effraie pas?
Pour être franc, j'ai autre chose à penser. Quoi que tu fasses, il y aura toujours quelqu'un pour critiquer, c'est comme ça. Pris indépendamment, tous les mecs de la Sexion sont capables de se défendre sur un open mic. Ou presque. (rire) C'est loin d'être le cas de tout le monde dans l'industrie... Ils ont fait le pari de proposer de la musique de masse et ça a été payant. Je n'ai rien à redire là dessus.
Comment passe-t-on du délire entre potes à la scène? Qui s'occupe de l'organisation des dates de tournée, de la promo, etc.?
Au début, on faisait tout nous-même et c'était un franc bordel. Je ne répondais plus vraiment au téléphone. Ca me gonflait, on a fait des erreurs. Normal, ce n'est pas notre métier. On se disait qu'en étant gentils, en ne demandant rien aux salles, on serait bien reçus. Mais en vrai, c'est l'inverse. Ce qu'il n'y a pas sur ta fiche technique, tu peux t'asseoir dessus. Je travaille aujourd'hui avec une boîte qui s'appelle MPC, couplée avec le tout jeune tourneur CO2 et ça se passe merveilleusement. Pour tout le reste, c'est toujours moi qui gère.
Il faut donc concilier l'amateur de musique avec le business man...
C'est triste à dire, mais la musique n'occupe qu'une petite partie du travail quotidien. L'organisation de la promo, des clips, de la communication et de tout le reste prend bien plus de temps que l'écriture et l'enregistrement des morceaux.
C'est à cause de cet emploi du temps que le clip d'On Gère a mis six mois à aboutir?
Non, c'est surtout parce que je manquais d'argent et que je travaille avec des gens qui bossent au kif. Ils sont dans le milieu des maisons de disques et tournent à droite, à gauche. Sauf que ces mecs essayent de se faire un CV intéressant, donc ils viennent à la base avec un chouette scénario, mais par manque de temps finissent par faire des play-back devant des bâtiments. Ca a été fait, vu et revu, ça peut être très bien, mais à un moment t'as envie de proposer autre chose. Et donc ça prend du temps.
La signature sur un label, c'est pour bientôt?
Le succès de l'Entourage a commencé il y a deux ans environ, et ça a été énorme. Comme nous avions déjà la visibilité, les maisons de disques ne savaient pas quoi nous offrir. Et puis en tournant, en traînant avec des rappeurs plus expérimentés, j'ai appris le métier, les clauses à éviter. J'ai été approché par des maisons de disques, mais ce qu'on m'a proposé jusqu'ici ne m'intéresse pas.
Quel genre de contrat pourrait te faire signer?
Concrètement, tout était réuni pour qu'"Inception" marche. Promo, visuels, clips,... L'E.P. a d'ailleurs eu son petit succès. Mais il n'y a pas eu assez de rigueur dans le respect du planning, pour la simple et bonne raison que je travaillais tout seul, sans budget pour terminer le projet. C'est une erreur que je ne referai plus. Si demain je dois sortir un album - et je voudrais le faire en octobre- je ne le ferai que sous certaines conditions, à savoir la signature sous un label moyennant une avance, ce qui me permettra de produire disque et clips dans un planning défini. Créer une attente. Ce genre de motivation me fera signer.
Tu fais partie intégrante du microcosme du rap français aujourd'hui. La réalité du milieu correspond à l'image que tu en avais?
Comme partout, ça dépend des gens. Les rappeurs sont des personnes normales, à la différence que certains jouent un rôle pour correspondre à l'étiquette qu'on leur a collé. Ce n'est pas un milieu qui fait rêver. Certains ont un peu perdu pied avec la réalité. Difficile de départager la part de vrai et de faux dans ce qu'ils sont. Attention, c'est loin d'être le cas de tout le monde, d'autres ne se prennent pas du tout la tête. Mais je ne juge pas, avec l'exposition les gens interprètent tout ce que tu dis, tout ce que tu fais. Tu te dois d'être plus méfiant, c'est obligé.
C'est possible de se blinder contre les critiques?
Il faut demander à Eff Gee. (rire) Mais je pense que oui. Ca ne m'atteint pas en tant que personne en tout cas. Je sais faire la différence entre un artiste et son public, et surtout entre ce que les gens disent à propos de moi et ce que je suis vraiment.
Dans On gère, tu parles de "rêves immensément grands"... Quels sont-ils?
Avoir plein d'argent. (rire) Via la musique j'ai eu la chance de pouvoir voyager, voir ce qui est possible ailleurs a ouvert des cases dans mon esprit. Clairement, l'argent est une clef: c'est la liberté dans le monde dans lequel on vit.
Tu sais ce qu'on dit: "L'argent ne fait pas le bonheur."
C'est les gens qui ont du fric qui disent ça. Je ne dis pas que ça fait le bonheur, mais ça y participe. Je ne suis pas particulièrement matérialiste, j'aime les sapes, mais j'ai surtout envie de voyager, de partir sur un coup de tête. J'apprécie la belle vie, aller dans des bons restaurants sans regarder la note. J'aimerais ne plus avoir à me poser de questions.
Les filles ont une place de choix dans tes morceaux. Ton rapport avec elles a changé depuis le début du succès?
Clairement. A tout niveau, la médiatisation attire forcément les gens, ce qui ne les empêche pas d'être équilibrés. Je peux le comprendre, moi par exemple, je suis amoureux d'Alicia Keys et je m'assume. (rire) A côté de ça, certaines personnes sont justes fascinées par le côté brillant, comme des abeilles attirées par du miel. Celles-là sont plus... collantes.
Qu'est-ce que tu penses du rap belge?
Je ne le connais pas très bien. J'apprécie beaucoup Caballero, il doit encore un peu évoluer, mais c'est un excellent rappeur, très technique. Je suis tombé sur l'album de Gandhi aussi, que je trouve très bon. Il a son univers et c'est ce qui importe.
Parle-nous de ton prochain album...
Je ne peux pas en dire grand chose. Par contre, il y aura un vrai changement entre un disque comme "Inception" et celui que je suis en train de préparer. Le premier était un album de rappeur pur et dur: ça rappe du début à la fin, il y a très peu d'espaces allégés, d'instrus isolées. Mon but était d'écrire les meilleurs couplets sur les meilleures prods, pour pouvoir sortir chaque couplet en open mic. Aujourd'hui, mes morceaux sont pensés comme des entités propres. Les couplets n'auront pas la même force, mais feront partie d'un tout entrecoupé de refrains pour créer une véritable cohésion.
Passage obligé: quelles sont tes bonnes résolutions pour 2013?
Ne pas en avoir.