

Le 24 février dernier, Serge Kubla, ex-ministre wallon de l’Economie et bourgmestre de Waterloo, franchissait la porte de la prison de Saint-Gilles. Inculpé pour corruption pour le compte du groupe sidérurgique Duferco, le libéral a passé deux nuits derrière les barreaux. Le juge d’instruction bruxellois Michel Claise voulait éviter toute collusion entre Kubla et d’autres personnes devant aussi être auditionnées dans le cadre de ce dossier. Le 17 mars, c’était au tour de deux dirigeants de Duferco, Antonio Gozzi et Massimo Croci, de rejoindre le pénitencier de Forest. Ces personnalités du monde politique et économique ont soudain été plongées dans un univers totalement opposé à celui qu’elles fréquentent d’ordinaire. Comment ces hommes ont-ils vécu cette transition brutale? Ont-ils bénéficié de privilèges?
Visiblement non. "La manière dont mon client a été arrêté et emmené devant le juge était inhumaine, commente Michèle Hirsch, l’avocate d’Antonio Gozzi. Il était menotté dans le dos, on lui a enlevé ses lunettes. J’ai trouvé cela extrêmement choquant, inhumain, inutile, gratuit et indigne. Il s’est présenté de lui-même, il avait fait le déplacement d’Italie, sans convocation. Il était deux heures du matin. A un moment, il avait soif, il ne pouvait pas saisir la bouteille d’eau qu’on lui proposait puisqu’il avait les mains attachées dans le dos. J’ai dû lui donner à boire comme avec un biberon. Des policiers se trouvaient pourtant juste à côté. Je ne réclame pas de traitement de faveur, mais là… Il n’était même pas encore sous mandat d’arrêt".
Le système judiciaire belge agit semble-t-il de manière semblable avec les "grands de ce monde" comme avec les petits voleurs, les dealers, les bagarreurs et les car-jackeurs qui se retrouvent plus souvent dans le bureau d’un juge d’instruction. Ce magistrat leur annonce s’ils doivent ou non passer par la case prison. Et passé les murs des pénitenciers belges, le traitement est apparemment le même pour tous, ou presque. C’est ce qu’affirme Jean-Philippe Mayence, un avocat habitué des cours d’assises et conseil de Bernard Wesphael. Accusé du meurtre de son épouse dans la chambre d’un hôtel d’Ostende à l’automne 2013, l’ex-député écolo wallon a passé neuf mois derrière les barreaux. "Il n’existe pas de "quartier VIP" dans les prisons belges, commente l’avocat. Le traitement qui est réservé à ces personnalités dépend souvent du directeur de la prison et des gardiens. On évite en général de les placer dans des cellules multiples, on essaie de leur trouver des codétenus compatibles. L’argent en prison doit passer par des comptes; dans les premiers jours, ils ne disposent donc pas d’un budget supérieur à d’autres détenus. Ils ne peuvent pas s’acheter tout ce qu’ils veulent. On tente par ailleurs de leur éviter les incidents, les insultes, la violence, le racket dont ils pourraient être la cible en raison de leur statut".
Merry Hermanus a officié pendant 27 ans au cœur du système PS; il fut le chef de cabinet de Guy Spitaels et de Guy Mathot ou encore secrétaire général de la Communauté française. Cet homme de pouvoir a lui aussi fait l’expérience de l’incarcération: deux mois de préventive, en 1997, à la prison de Lantin. C’était l’époque d’Agusta-Dassault, une affaire de corruption liée à l’achat, en 1988, d’hélicoptères pour la Défense belge. L’argent sale devait notamment servir au financement du parti socialiste.
Identifié comme un "porteur de valise", Merry Hermanus a donc connu les murs de Lantin. Dans son livre paru en 1999, L’épreuve, il relate cette incarcération. Il évoque aujourd’hui sans trop d’amertume ces deux mois de prison. "J’étais comme tous les autres prisonniers, sauf que j’étais seul dans ma cellule, ce qui constitue quand même une chance énorme, explique ce Jettois, aujourd’hui âgé de 71 ans. A mon arrivée à Lantin, j’ai d’abord passé 15 jours de détention "sévère": je sortais une heure par jour, je restais dans ma cellule sans TV. Le directeur de la prison m’a plus tard expliqué que cette procédure servait à faciliter l’acclimatation du nouveau détenu dans l’univers carcéral. J’ai ensuite eu droit à deux promenades par jour, plus deux heures où je pouvais rester dans le couloir. C’est là que les détenus faisaient la file devant le téléphone. Les cartes avaient de la valeur, elles servaient de monnaie d’échange".
Les gardiens craignaient que Merry Hermanus se suicide. "En principe, ils devaient me surveiller toutes les 7 minutes 30 mais personne ne venait… La surpopulation était vraiment pénible. Des gars se retrouvaient au cachot non pas parce qu’ils étaient turbulents mais faute de place ailleurs. Mais on leur appliquait quand même la procédure; ils devaient se tenir en caleçon". Pour occuper son temps, l’ancien secrétaire général de la Communauté française proposait ses services d’écrivains publics à ses codétenus. "Je répondais à mon courrier et je rédigeais des lettres pour les prisonniers qui le demandaient. C’est étrange à dire mais je n’avais plus une minute à moi". Merry Hermanus ne bénéficiait d’aucun luxe particulier, il n’avait pas de lit attitré. "Je dormais sur des gros blocs en mousse dégueulasses. Je ne demandais pas un lit à baldaquin mais bon… Puis un jour, un voisin de cellule est sorti de prison et un gardien m’a proposé son lit".
L’ancien cadre du PS remontait par moments le moral des gardiens. "Beaucoup font ce qu’ils peuvent dans des conditions pas faciles, certains se demandaient vraiment ce qu’ils foutaient là. Parfois ils se bougeaient pour que les prisonniers reçoivent de la meilleure nourriture et en quantité suffisante". Merry Hermanus pense qu’on a voulu le faire craquer. "On voulais que je parle d’Agusta, du PS, affirme-t-il. La préventive, c’est de la torture douce". Et la prison, un enfer pour de nombreux prisonniers plus mal lotis que lui... "Un jeune gars était là parce qu'il avait frappé une vieille dame pour lui voler son sac. Il se faisait tout le temps tabasser par les autres qui imaginaient leur grand-mère à la place de la victime..."
Au final, pourtant, l’ex-détenu retire presqu’un sentiment positif de son expérience. "J’ai pu découvrir un monde à mille lieues du mien, bien au delà de la classe ouvrière qu’un socialiste comme moi pouvait côtoyer, explique-t-il. Là, c’était le quart-monde. Certains n’avaient rien, ni argent ni proches. Quand la plus jeune de mes filles venait me voir en prison, je lui demandais de mettre plusieurs montres à son poignet pour les donner aux prisonniers."
Kubla, Gozzi et Croci ont-ils également pu tirer quelque bénéfice de cette difficile expérience?En quittant la prison de Forest après deux nuits derrière les barreaux, Massimo Croci s'est en tout cas permis un peu d'ironie. "On me disait que ce n’est pas le plus grand hôtel de Bruxelles mais j’y ai passé trois jours pas mal"...
Contrairement à la Belgique, certains pays disposent d'ailes de prison spécialement réservées aux "personnalités". C'est le cas de la France. A Paris, la prison de la Santé comprend un quartier "VIP" baptisé le "quartier des particuliers" par l’administration. Les cellules, plus spacieuses (13m2 au lieu de 7m2), sont situées dans un secteur isolé. Les détenus y ont droit à des activités et à des promenades séparées des autres. Dans les années 1930, on y plaçait les banquiers qui avaient les moyens d’améliorer leur quotidien. Aujourd’hui, les prisonniers du "quartier chic" sont avant tout protégés des médias. Plusieurs personnalités de renom y ont séjourné: Guillaume Apollinaire, Yvan Colonna (pour l’assassinat en Corse du préfet Claude Erignac), le trader Jérôme Kerviel, l’acteur Sami Nacery, Bernard Tapie… Au Maroc, à Casablanca, la prison de Zaki comprend elle aussi un quartier VIP. De luxueuses cellules climatisées sont réservées à des détenus d’exception; les notables et les politiciens y côtoient notamment les barons de la drogue... L'occasion de nouer d'excellentes relations.