Frédérique Ries : "on m'a menacée à la sortie du vote"

On ne parle plus que d'elle. Pour son combat face aux lobbys du tabac et pour la libéralisation de l'e-clope, l'eurodéputée Frédérique Ries est la nouvelle égérie de la cigarette électronique. Réactions à chaud (TEXTE INTEGRAL).

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Nicotine Queen? Alors, uniquement sous forme de liquide pour e-cig. Porté, entre autres, par la députée libérale Frédérique Ries, le Parlement européen a adopté ce 8 octobre de nouvelles directives sur le tabac et autorisé la vente libre de la cigarette électronique. Une législation ambitieuse pour les uns, une énième preuve de la capitulation du politique face aux industriels pour les autres. Cette nouvelle bataille aura au moins le mérite de révéler au grand jour les pressions que subissent les eurodéputés de la part des cigarettiers.

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En tête de liste noire chez Philip Morris, l'ex-présentatrice du JT de RTL-TVI retrouve son statut d'égérie. Du côté des forums réservés aux utilisateurs d'e-clope, surtout, où les vapoteurs belges et français ne tarissent pas d'éloges à son sujet. Rencontre avec l'eurodéputée qui refroidit les cigarettiers.

Alors, c'est une victoire ou une défaite, ce vote? 

Frédérique Ries -Contrairement aux grands effets de manches de certains de mes collègues qui parlent de capitulation face aux pressions des lobbys, je pense que nous avons gagné une manche historique. Même si nous n'avons pas tout obtenu. 

C'est-à-dire?

F.R. -On souhaitait que les photos-chocs et les textes couvrent désormais 75 % du paquet de cigarettes. On a obtenu 65 %. Mais quand on sait que certains eurodéputés ne voulaient même pas en entendre parler et que seuls dix Etats membres sur 28 ont mis en place une telle politique, c'est tout de même une belle victoire. A viser le mieux, on risquait aussi le pire...

Le vote du Parlement a aussi sauvé les cigarettes mentholées...

F.R. -C'est une grosse déception car c'est une arme  redoutable pour cibler les jeunes et les femmes en "anesthésiant" le goût du tabac. Nous avons obtenu l'interdiction des arômes mais le Parlement donne encore huit années aux cigarettiers pour vider leurs étagères de ces clopes mentholées.

Plus de 140 lobbyistes et 1,4 million d'euros dégagés par la seule firme Philip Morris... Comment avez-vous subi cette pression historique de ces enfumeurs?

F.R. -Je vous assure qu'ils n'ont pas perdu leur temps et leur argent avec moi. Ces lobbys connaissent mon point de vue depuis le début et ont dès lors préféré cibler les chapelles potentiellement convertissables. Les lobbys sont nécessaires et présents à toutes les législations mais celui du tabac est un cas classé à part par l'Organisation mondiale de la santé et soumis à des lignes directrices ultra-strictes.

Quelles sont ces consignes?

F.R. - Il est par exemple interdit de rencontrer ces lobbyistes dans son bureau. On les voit donc uniquement  lors d'auditions générales et publiques. Mais ce lobby dispose d'un véritable bras armé au sein de l'Union européenne. 

A tous les niveaux?

F.R. -Ils sont présents du début à la fin et agissent même en amont en sollicitant les ministres, la Commission mais aussi les Etats membres. Il suffit de voir les positions de certains pays pour se rendre compte de l'efficacité de ces lobbys. Si la Pologne s'est dressée comme un seul homme pour défendre les cigarettes ultra-fines et mentholées, ce n'est pas un hasard...

Vous semblez aussi avoir une dent contre les politiques allemands, non?   

F.R. -Contre certains de mes collègues en tout cas dont les positions me laissent sans voix. Il faut dire que lorsque j'ai commencé il y a dix ans, ils prétendaient encore que le tabac ne tuait pas! Il faut savoir que le financement des partis politiques en Allemagne peut être public ou privé et ceci explique cela.

Comme on l'a vu dans le Petit Journal de Canal + qui filmait ces stands de cigarettes sous le chapiteau de campagne électorale d'Angela Merkel? 

F.R. -Hallucinant! Il ne faut donc pas s'étonner de la position de certains de leurs eurodéputés. A l'exception des écologistes, les partis allemands sont tous arrosés par les constructeurs automobiles, les industries chimiques et les cigarettiers. Pourquoi croyez-vous que l'Allemagne est totalement opposée à l'interdiction de la vente de tabac sur le Net?

Concrètement, comment cette pression des lobbys se traduit-elle?

F.R. -Ce sont surtout des coups de fil et des visites, mais aussi, visiblement, des dîners, des invitations pour des matchs de foot, des cadeaux...

Vous en avez reçu?

F.R. -Pas un seul! Par contre, des députés ont reçu des bouteilles de vin avec la mention "le vin tue", des cigarettes en chocolat ou des échantillons d'emballage plus écolos que ceux existants...

Quels sont leurs autres moyens de pression? 

F.R. -Envoyer aux parlementaires des amendements clé sur porte! Alors, quand vous voyez des eurodéputés d'horizons différents venir avec des propositions identiques à la virgule près, vous savez que cela vient des cigarettiers!

Jusqu'où ces pressions peuvent-elles aller?

F.R. -A la sortie du vote, je me suis fait menacer par deux experts qui m'ont conseillé de ne pas trop me réjouir en me rappelant que les deux autres (le Conseil et la Commission) sont toujours contre moi.

Ce lobbying manque-t-il encore de transparence?

F.R. -Ces groupes de pression doivent normalement être déclarés. Mais quand j'apprends qu'ils étaient plus de 140 pour Philip Morris et qu'ils ne sont que huit à être enregistrés, je me demande où sont les autres. Peut-être dans ces mystérieuses "sociétés de services et de consultance européenne"?              

On vient aussi de découvrir que Philip Morris fiche tous les eurodéputés. Vous connaissez votre note?

F.R. -Oui, c'est rouge clignotant sur tous les critères!

Par contre, du côté des vapoteurs, vous avez désormais une cote d'enfer. Assumez-vous ce statut de nouvelle égérie? 

F.R. -Ce sont mes assistants qui me l'ont appris... Mais je l'assume complètement. Si on veut être efficace dans la lutte contre le tabagisme, on ne tue pas l'e-clope. Et je ne vois pas pourquoi on vendrait des cigarettes aux caisses chez Delhaize et les cigarettes électroniques uniquement en pharmacie.  

Ce n'était pourtant pas gagné d'avance... 

F.R. -Non! Ce texte était perdu à l'article 18, la Commission voulait noyer le poisson et l'assimiler rapidement à un médicament. J'hallucinais et j'étais la seule. La commission avançait tel un rouleau compresseur avec la ferme intention de confiner la cigarette électronique et elle était suivie par tous les ministres de la Santé! Une pensée unique. J'avais l'impression d'être dans une secte.

Vous savez que l'égérie française des vapoteurs se nomme... Marine Le Pen? 

F.R. -Quoi? Alors je propose aux Français une autre égérie bien plus respectable! C'est vrai qu'elle s'est ralliée à nos positions, mais au dernier moment. C'est un vote d'opportunisme. Mais on se retrouve parfois sur certaines décisions avec des amis dont on n'a pas envie...

Sur les forums, les utilisateurs d'e-clopes commencent néanmoins à critiquer votre amendement...

F.R. -Ils s'inquiètent de la possible interdiction de la vente de liquide nicotiné et du e-commerce mais on est aussi là pour poser des critères de qualité et de sécurité. J'ai donc opté pour une classification comme "produit connexe du tabac" mais je pense qu'on va se diriger vers une certaine latitude de la part des Etats membres sur ces questions. Rien n'est encore fait, mais cette majorité absolue du Parlement nous donne un casque et une armure pour affronter les prochaines négociations et a ouvert une brèche dans cette fumeuse pensée unique européenne!

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