Jean-Paul Philippot: "J’ai de vrais doutes"

A quoi ressemblera la télé publique de demain? Plus de séries belges, moins de pubs au milieu des films... mais aussi plus d'économie!

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A l'occasion de la signature du nouveau contrat de gestion de la RTBF, réactions exclusives, et un peu énervées, de son administrateur général.  

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Septante-cinq pages et plus d’une centaine d’articles. La nouvelle "constitution" de la RTBF pour les cinq prochaines années a été votée.

Ce contrat ne dit sans doute pas grand-chose au téléspectateur, mais cet accord conclu entre la RTBF et la Fédération Wallonie-Bruxelles redessine cependant le futur de notre audiovisuel. C’est dire si le moment est historique.

D’autant que ce contrat a été adopté à l’unanimité. Oui, mais… C’était sans compter sur les modifications votées ensuite par le gouvernement de la Fédération qui ont fait l’effet d’une petite bombe à Reyers. Car si cet "accord" renforce les missions de service public via l’éducation, la médiation ou le soutien à la production locale, il réserve également quelques mauvaises surprises à la RTBF...

Alors, qu’est-ce que ce fameux texte va changer pour le téléspectateur? Et pour les 2.000 employés du groupe? En exclusivité, l’administrateur général Jean-Paul Philippot nous donne sa lecture de cette nouvelle bible et revient sur dix années passées à la tête du service public.

Quel est votre sentiment à quelques jours de la finalisation de ce contrat?
Jean-Paul Philippot - Les dernières heures me laissent un goût amer. La conclusion de ce contrat contraint la RTBF à poursuivre les économies après dix ans d'efforts incessants. Je suis peut-être un peu parano mais j’ai de vrais doutes sur la volonté politique de doter la Fédération Wallonie-Bruxelles d'un audiovisuel public fort et indépendant. Le gouvernement nous dit d'aller plus loin mais il nous dit aussi que les moyens financiers ne vont pas suivre. C’est schizophrène!

D’un autre côté, c’est la crise pour tout le monde, non?                                            
Ce contrat nous impose des économies, des améliorations de productivité, des réductions de moyens humains et financiers bien plus rigoureuses que celles imposées au reste des pouvoirs publics wallons-bruxellois. Je n'ai clairement pas l'impression que ces économies sont partagées par tous de la même manière…

Combien demandiez-vous pour éviter les licenciements?
Pour compenser l'augmentation de la charge salariale en gardant le même effectif, nous avions besoin de 68 millions jusque 2017. On va en recevoir 33,5. On va donc faire des efforts pour plus de 25 millions et un peu de gymnastique pour le solde. On évite un plan de licenciements mais on reste dans une situation très précaire.

Cela veut-il dire que certains départs à la retraite ne seront pas remplacés ou que vous allez vendre une partie de votre patrimoine?
Ce sont des options parmi d’autres mais c’est trop tôt pour le dire et aucune décision ne sera prise avant fin 2013.

Quelles sont les grandes avancées de ce contrat de gestion?
Le renforcement des valeurs de service public et de notre indépendance éditoriale. Ce contrat stipule également que la RTBF du 21e siècle sera digitale et multimédia. C'est donc désormais explicite: Internet et les réseaux sociaux doivent être des médias à part entière de la RTBF. Enfin, notre programmation sera aussi beaucoup plus ancrée dans les réalités économiques, sociales et culturelles de la Wallonie et de Bruxelles.

Concrètement, comment cela va-t-il se traduire à l’écran?
Notamment par la création de séries belges hebdomadaires et populaires. On vient d’ailleurs d’approuver des investissements sur notre site liégeois de MédiaRives pour pouvoir tourner ces séries. La Fédération a avancé de nouveaux crédits, nous sommes en discussion avec Wallimage (fonds de soutien de l’image en Wallonie) mais aussi avec des partenaires privés. Certains nous ont dit qu'on ne le ferait jamais. Eh bien, on va le faire dans les mois et les années à venir. Les auteurs et les réalisateurs sont déjà au travail. 

Est-ce aussi un pare-feu contre les déferlantes internationales et formatées qui envahissent le paysage audiovisuel?
Evidemment. Et cette ambition dépasse de loin notre territoire. On veut plus d'heures à présenter dans les salons internationaux, plus d'images et de scénarios wallons et bruxellois sur les antennes en France, en Suisse ou au Canada. C’est un levier considérable!

Ce contrat marque également des avancées dans la limitation de la publicité. Qu’est-ce qui va changer exactement?
On confirme l’absence de pub sur La Trois et dans les programmes jeunesse mais aussi dans le prolongement de ceux-ci sur le Net. D’un commun accord, on a également limité nos revenus publicitaires sur nos sites d’info, initié la fin des coupures dans les films à partir de 2015 et interdit la pub pour les partis politiques.

En revanche, la fin du placement de produit dès cet été sur vos antennes était visiblement une clause non négociable… 
Ce contrat s’est déroulé dans une ambiance constructive mais il s’est conclu de manière brutale par l'imposition de certaines décisions de dernière minute sans aucune concertation avec l’entreprise. Cette partie du contrat n'est en effet plus négociée et s'apparente davantage à un oukase.

Vous pensez vraiment que ce type de pub a sa place sur le service public?
Vous savez, la pub n’est pas présente à la RTBF pour faire plaisir aux annonceurs ou pour polluer le téléspectateur. Elle est là pour compenser l’absence de financement suffisant de la part des pouvoirs publics! Et je me serais réjoui qu’on n’ait plus recours au placement de produit dans nos émissions si les moyens financiers qu’on générait par ce dispositif étaient compensés. Dans la même réunion, le gouvernement dit que la RTBF a une insuffisance de financement et autorise d’ailleurs un déficit de 6,5 millions en 2013, mais il nous interdit par ailleurs cette pratique publicitaire. A la RTBF de tirer son plan. Amen.

A combien vous évaluez ce manque à gagner?
Environ deux millions d’euros, ce qui représente deux années d’augmentation de notre dotation. Ça me fait penser à l’interdiction de la pub après 20 h sur France Télévisions ou aux décisions similaires du gouvernement espagnol. Regardez les difficultés financières que rencontrent ces deux services publics aujourd’hui! Et comme je m’interdis de licencier du personnel pour compenser cela, on devra forcément aller chercher ces moyens ailleurs.

[...]

Que pensez-vous avoir apporté à la RTBF?                                                                           
J’essaie de faire honnêtement mon travail et d’y investir toute mon énergie et mes compétences. Mais la modernité qu’on nous reconnaît et l’amélioration de nos audiences reviennent à nos collaborateurs. Sans ces 2.000 personnes, je n’aurais strictement rien apporté à la RTBF. 

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