

Nous l’avions connu anxieux, voire carrément nerveux. Aujourd’hui, à 64 ans tout juste, l’homme face à nous est totalement apaisé et souriant. Julien Clerc est parfaitement en phase avec ce qu'il dit dans Les souvenirs, magnifique chanson extraite de son nouvel album "Fou, peut-être": "Je veux m’asseoir devant ma porte à regarder couler les ans". "Ça colle parfaitement à mon état d'esprit actuel, confirme l'intéressé. Je suis à un moment de ma carrière où je n’ai plus rien à prouver. Je cherche juste de l’amusement et des émotions."
Zen et confiant, Julien Clerc se livre sans barrière sur ce 42e enregistrement de sa carrière. Poussées par une orchestration symphonique, ces chansons gagnent en tonicité et évoquent parfois les rythmes enlevés de son classique euphorique Si on chantait. ""Fou, peut-être" se rapproche effectivement de cette époque de ma discographie. J'ai souhaité revenir à des mélodies plus enjouées et insuffler davantage de vitalité dans le chant."
En enfilant douze chansons classe, qui donnent presque envie de faire du porte-à-porte pour y convertir la planète entière, Julien Clerc prouve que même des recettes déjà éprouvées peuvent dégager un délicieux fumet. Bref, c’est du "Juju haut du panier". Parfois naïf (Le temps d’aimer), mais jamais daté et toujours bien écrit. "J’ai travaillé avec des paroliers de tous les âges. Des jeunes comme Julien Doré et Alex Beaupain, mais aussi des anciens comme Gérard Manset ou Maxime Le Forestier. Il y a un bel équilibre des générations."
Dans la chanson Fou, peut-être, Maxime Le Forestier évoque votre récente paternité mais aussi le thème, récurrent chez vous, de l'enfance. Qui en a eu l'idée?
Julien Clerc - Je lui avais commandé un texte sur la paternité à mon âge (Léonard, son cinquième enfant, est né en 2008 - NDLR). Et il est revenu avec ces lignes très bien vues. Cette chanson dresse le parallèle entre mon enfance, la vie qui s'écoule et une naissance qui vient rappeler que tout recommence.
Vous vous sentez bien dans votre rôle du patriarche?
Lors de mon dernier anniversaire, en octobre, ma compagne a eu la bonté et l’amour de réunir tous mes enfants et leurs mères. Ça m’a rendu très heureux. Même si j'appréhende quelque peu les fêtes de famille et les anniversaires, je chéris en fait de plus en plus ces moments-là. Et la position de patriarche me déplaît de moins en moins. C’est fou, peut-être, comme le dit le titre du disque.
"Fou, peut-être", ça veut aussi dire raisonnable sans doute?
Pas faux. Une amie m’a dit que j’étais né sous le bon signe du zodiaque. À savoir la balance, le signe de la folie, mais courtoise. À 64 ans, on connaît mieux son sujet quand on avance dans l’âge. On devient plus philosophe et on mesure donc mieux la chance de pouvoir goûter aux petits bonheurs de la vie. Pour moi, ce sont de petites choses, comme un repas en famille ou une journée passée seul à écouter de la musique classique, qui constituent mes grains de folie. Vous voyez, je suis assez conventionnel, finalement…
Vous faites chaque fois appel à de nouveaux auteurs, une pléiade de collaborateurs, mais chacun de vos disques sonne du Julien Clerc et vous ressemble dans les textes. Quelle est la recette?
Je prends un vrai plaisir ludique à mettre des textes en musique. Ce travail me passionne. J’éprouve un vrai amour envers la langue française. Je sais lire sous les mots. Quel que soit l’auteur, si c’est un bon texte, je sais détecter le rythme intérieur de l’écriture de la personne. J’essaie toujours passionnément de transformer un texte en chanson populaire.
Vous ne vous êtes toujours pas décidé à écrire quelques chansons vous-même?
Non et je ne m’y mettrai jamais. Je n’ai pas ce talent. J’aime être habité par les textes des autres.
Est-ce parfois pénible de chanter et chanter encore un morceau excessif et empathique comme Femmes je vous aime?
Cela n'a jamais été évident. Avec Etienne Roda-Gil, l’un de mes paroliers les plus loyaux, nous avions toujours pris soin de ne jamais dire "Je t’aime" dans une chanson. Et j’étais fasciné par sa façon d’écrire très policée, tout en paraphrases. Quand il est venu avec Femmes je vous aime en 1982, j'ai d'abord trouvé ça trop direct, et même un peu brutal. Miou-Miou, ma compagne de l’époque, était furieuse car je dise "Femmes" au pluriel. J’ai reculé la date de l’enregistrement. Mais quand je me suis finalement retrouvé en studio, à Londres, une jeune amie punk a pleuré sur cette chanson. C’est là que je me suis dit que ces paroles devaient dégager quelque chose d’universel.
C’est le public qui fait une grande chanson?
Lorsqu'une chanson est composée, je la joue d’abord à un cercle d’intimes. Si certains de mes amis, qui ne sont pas dans le milieu de la musique, ne m’opposent rien de négatif, c’est que je suis sur la bonne piste. Ce nouveau disque compte douze chansons. Si deux d’entre elles passaient encore à la radio dans cinq ans, ce serait déjà merveilleux. Quand j’y pense… Cinq ans, c’est une éternité à mon âge… Je ne sais même pas où je serai.
Le 24/2 à Forest National.
Julien Clerc
Fou, peut-être
EMI