
Laurent Voulzy

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Vous faisiez déjà allusion au Moyen Age sur "Caché derrière" en 1992 et sur "Avril" en 2001. Mais avec "Lys & Love", on peut carrément parler de disque concept.
Laurent Voulzy - Bien sûr, le Moyen Age est le fil conducteur qui relie toutes les chansons de l'album, mais je n'ai pas voulu transformer mes morceaux en épopées. J'évoque une période de l'histoire qui me passionne, mais en y reflétant ma personnalité et aussi mon amour de la pop.
À quand remonte votre premier contact avec le Moyen Age?
J'ai neuf ans et je reçois de ma mère un château fort. C'est une révélation. À douze ans, j'écris une chanson en m'inspirant d'un thème médiéval. Un an plus tard, je lis l'édition du Roman de la rose. C'est écrit dans un vieux français difficilement compréhensible, mais je suis littéralement emporté par le sens des mots. Depuis lors, je m'intéresse à tout ce qui vient du Moyen Age: la musique, la poésie, l'histoire, l'architecture, les rites de l'amour courtois. C'est une attirance inexplicable. Il y a quelque chose dans cette époque qui m'apaise et me met à l'aise.
Le Moyen Age, c'est aussi les guerres, les exodes et les épidémies…
C'est vrai. Dans Le tableau, la chanson qui ouvre l'album, je dis que je veux partir en 1400. Mais ce serait avec un ticket aller-retour. Je préfère vivre dans le monde d'aujourd'hui. La situation est loin d'être brillante, mais tout est possible. Si nous le voulions, toute la population mondiale pourrait manger à sa faim et il n'y aurait pas de guerre. Au Moyen Age, ce n'était pas possible. Nous, on a au moins l'espoir.
Avec ses neuf minutes épiques, La 9e croisade est le morceau le plus long de l'album. Est-ce aussi votre chanson la plus engagée?
Ce n'est pas de l'engagement au sens politique du terme, c'est de l'espoir. Il y a eu huit croisades au Moyen Age qui ont coûté beaucoup de vies humaines. Moi, j'ai préféré écrire une chanson sur une 9e croisadeimaginaire, celle où tous les peuples vivent en harmonie. J'y mélange le français, l'anglais et la poésie arabe. Il y a des chœurs qui évoquent Haendel, de l'électro moderne et de l'oud traditionnel. D'une voix déformée, je demande combien il y a de dieux, combien il y a de façons de s'aimer et combien il y a de vérités. À la fin de la chanson, je réponds "One". C'est naïf, mais je veux y croire. Le Moyen Age et le XXIe siècle se rejoignent. Il y a des boucheries, il y a du chagrin, mais aussi de belles rencontres et de l'amour.
Qu'est-ce que le fan des Beatles que vous êtes a ressenti en pénétrant dans les studios d'Abbey Road?
J'avais déjà fait le pèlerinage Beatles mais façon "touristique", en posant sur le passage pour piétons à Abbey Road et en m'arrêtant devant la grille des studios. Là, j'y allais pour enregistrer. L'entrée, les gens qui bossent, les disques d'or sur les murs, c'est cool. Mais quand vous pénétrez dans le studio 2, le temps s'arrête. Rien n'a bougé. C'est le même piano que dans les années soixange, l'habillage des consoles, la décoration… Rien n'a changé. Je me suis souvent répété "Putain, tu es dans le studio des Beatles. C'est d'ici que sont parties dans le monde entier des chansons comme Yesterdayou Come Together". C'était émouvant parce que j'avais l'impression de vivre un moment privilégié, mais aussi stimulant.
Au fond, vous restez un enfant?
Oui, surtout quand je fais de la musique. Je joue, je m'amuse, je cherche et lorsque le moment magique arrive, c'est comme une bouffée d'air frais ou… comme un coup de foudre. Mais là, ce n'est pas le grand enfant qui vous parle mais l'éternel adolescent.
Quelle est la toute dernière chose que vous avez rajoutée sur "Lys & Love"?
Je devais remettre mon album à Sony Music le 14 novembre à 8 h du matin et ils l'ont finalement reçu à 12h45. La veille, j'ai rajouté in extremis la voix de Roger Daltrey, le chanteur de The Who, sur Ma seule amour,ainsi que des cris de corbeaux sur la chanson Glastonbury. J'ai encore rectifié une partie de guitare sur Si j'étais toi. C'est ce qui explique ce léger retard. Mais quelques heures en plus après dix ans d'attente, ce n'est pas grand-chose.
Prendre votre temps pour enregistrer vos albums, c'est un luxe pour vous ou une manière de montrer votre différence?
Je n'ai jamais eu envie de me distinguer par ma lenteur. Si je pouvais enregistrer plus rapidement, je le ferais. Mon travail en studio relève de la schizophrénie. Il y a, d'un côté, l'homme pressé qui souhaite faire avancer les choses et, de l'autre, le musicien passionné luttant contre les contraintes du temps parce qu'il se considère comme un artisan.
Vous avez soixante-trois ans et seulement cinq albums de chansons originales à votre actif. Regrettez-vous de ne pas en avoir enregistré plus?
Non, car je ne me suis jamais ennuyé. Une décennie sépare "Avril" de "Lys & Love". Mais durant cette période, j'ai toujours fait de la musique: un disque de reprises avec "La septième vague", des réarrangements avec "Reckollection", des tournées, des DVD live, une musique de film pour Jean Becker, des chansons pour Souchon, Marianne Faithfull ou encore Eddy Mitchell. Finalement, cette image d'artiste dilettante qui me colle à la peau est fausse. Je travaille finalement plus que les chanteurs qui sortent des albums tous les deux ans.
En une décennie, vous avez enchaîné un disque de reprises, un hommage à Rockcollection et un album sur le Moyen Age. Vous vivez dans le passé?
C'est faux. Je raconte des histoires du passé avec des sonorités modernes. Et si les gens le pensent, j'espère que ça va leur plaire malgré tout. À la base, "Lys & Love" est un fantasme qui remonte à mon enfance. Ça devait sortir un jour.
À quoi sert un nouvel album de Laurent Voulzy en 2012?
Cette question, j'ai dû me la poser pour "Rockcollection" en 1977. J'étais jeune, c'était mon premier disque et j'avais de grandes ambitions. Depuis, pour tous les albums qui ont suivi, mes attentes et mes sentiments ne diffèrent pas… Je prends un vrai plaisir, parfois proche de la jubilation, à enregistrer des chansons. Ça, c'est de l'égoïsme pur. Après, j'espère simplement que ces mélodies permettent au public de sortir du temps. Je considère que c'est le but ultime d'une création artistique. Un beau disque, un beau film, un beau livre, même un bon repas vous font oublier l'heure qu'il est. Si vous écoutez "Lys & Love" du début à la fin et qu'après vous regardez votre montre en disant "wouah, ça fait plus d'une heure que j'écoute ce truc et je n'ai pas vu le temps passer", ma mission est remplie.