
L'avenir des émissions culture à la RTBF

Soyons lucide: sur des chaînes comme RTL-TVI ou AB3, le mot "culture" recouvre une notion totalement abstraite. Au mieux, on y trouve quelques évocations promo des sorties cinéma de la semaine, en bout de JT. Et à condition qu'il s'agisse de blockbusters! Pour tout le reste - musique, théâtre, expos, histoire, littérature, etc. -, une seule direction possible: la RTBF. Parmi les chaînes belges francophones (hormis les télés locales), elle est la seule à déployer une offre culture à tous les étages. Une chaîne qui éduque et informe en prônant l'ouverture d'esprit et l'invitation à la découverte, ça a quelque chose de rassurant. Et de nécessaire.
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Néanmoins, entre la création de l'INR en 1930 et aujourd'hui, les temps ont changé. Et si la mission culturelle du service public était évidente à l'origine, la réalité économique a petit à petit transformé les choses. La concurrence, l'irruption de la publicité, les variations de budgets ou les plans de redressement (dont le fameux plan Magellan) ont chaque fois provoqué une mini-tempête au Boulevard Reyers qui, coûte que coûte, a continué à défendre ses valeurs mais dans une position de plus en plus fragile. Du coup, aujourd'hui, on a l'impression que la culture se trouve en danger perpétuel. Alors, testons 5 idées reçues sur l'offre culturelle de la RTBF. Pour la défendre, Anne Hislaire, productrice responsable du secteur des magazines culturels de la chaîne. C'est elle qui fait vivre (survivre?) CinéStation, Livrés à domicile, Hep taxi! ou encore Noms de dieux.
1. La RTBF est obligée de faire des émissions culturelles
FAUX. Aucune des émissions culturelles de la RTBF n'est mentionnée comme obligatoire dans le contrat de gestion. La culture y est nommément citée, mais elle n'obéit pas à un ordre précis et, contrairement à ce que l'on croit, il n'existe aucun quota ni pourcentage. "Le seul quota qui est mentionné, c'est par rapport au théâtre et à l'agenda du milieu associatif (l'émission Ça bouge), précise Anne Hislaire. Mais nous ne sommes pas obligés de faire une émission sur le cinéma, une autre sur la littérature ou encore une sur la philosophie. Cela dit, bien sûr, si on supprimait toutes nos émissions culturelles, on nous regarderait d'un mauvais œil."
Impossible: la culture est l'une des marques de fabrique du service public, et ce depuis sa création. Elle fait également la spécificité de la RTBF par rapport à tous ses concurrents. "Rien que dans mon secteur, je m'occupe de sept émissions culturelles, et ça ne comprend pas la musique (D6bels est produit par Philippe Longtain - NDLR). C'est beaucoup, vous savez… Regardez les autres chaînes et même le service public français: je crois que nous sommes les seuls à offrir un tel éventail. On ne peut ni rougir, ni se plaindre. On sort d'ailleurs des négociations budgétaires pour 2012, et je vous assure qu'aucune de ces émissions n'a été remise en cause."
2. Ces programmes sont "fauchés" et n'évoluent pas depuis des lustres
VRAI et FAUX. Inutile de rêver: le portefeuille alloué à ce type d'émission est incomparable par rapport à celui accordé aux magazines d'information ou d'investigation de type Questions à la une. On ne fait pas une enquête de plusieurs semaines comme on interroge un écrivain ou un philosophe. Et le créneau de l'info reste l'arme de séduction la plus précieuse de la RTBF. "C'est vrai, on travaille avec des budgets inconfortables. Prenons un exemple précis: on n'a droit à aucun "marbre", c'est-à-dire que tout ce qui a été tourné doit être exploité à l'antenne. Si on fait un reportage coulisses pour CinéStation, on ne peut pas se dire en cas de déception qu'on va tourner autre chose. On doit trouver des solutions au montage. Quant aux équipes, elles sont hyper-réduites: environ 4 personnes par émission (sans les équipes techniques), soit un réalisateur, une script, une responsable de coordination et moi-même. C'est minuscule…"
Comment, dès lors, continuer à faire exister ces programmes? Avec de la créativité, tout simplement. Et quand on dit que les magas culturels ne changent pas leur fusil d'épaule depuis Mathusalem, on se trompe. Ils ont d'abord évolué sur le fond: avant, des émissions comme Cargo de nuit ou Courant d'art ratissaient large, avec un panorama culturel très étendu dans un même menu. Aujourd'hui, le cinéma, la musique, la littérature et les arts existent dans des émissions qui leur sont spécifiquement dédiées. Sur la forme, l'évolution est tout aussi significative. "Premier exemple: Livrés à domicile, présenté par Thierry Bellefroid. Comme dans son ancêtre Mille-feuilles, on parle toujours de bouquins. Mais cette fois, on a amené l'auteur vers le domicile du lecteur, et c'est devenu une nouvelle émission, avec un nouveau concept et une vraie interactivité. CinéStation, c'est pareil: ça n'a plus rien à voir avec L'envers de l'écran. C'est un vrai travail. On doit rebondir, imaginer, changer, repenser… Mais toujours avec le même budget modeste!"
3. Leurs audiences sont confidentielles
VRAI. Là encore, il ne faut pas se voiler la face: la culture ne rameute pas les foules même si c'est bon pour l'image de marque. Anne Hislaire s'incline: "Le pourcentage de gens qui consomment de la culture est faiblard, c'est vrai. Toutes nos émissions connaissent des petites audiences. Et si la culture était rentable au niveau publicitaire, ça se saurait. Mais il faut le répéter: nous ne sommes pas dans une logique strictement commerciale. Nous nous efforçons d'apporter du sens à nos émissions, avec une façon de s'adresser aux gens qui n'a rien d'abscons ou d'hermétique. Oui, on regarde les audiences. Aujourd'hui, même Arte s'en soucie! Mais on n'est pas là pour vendre des espaces publicitaires à un prix maximal. Nous produisons, nous créons et, l'air de rien, nous progressons".
Des progrès, vraiment? Oui. Même dans les "petites" audiences, on peut observer des évolutions significatives. C'est le cas de Livrés à domicile et de CinéStation qui, depuis leur nouvelle formule, connaissent un réel engouement sur La Deux. "On n'atteindra jamais les audiences d'un gros film en prime time sur La Une, bien sûr. Mais on avance à petits pas. Comment? En essayant d'attirer un public plus large que la cible première, par des formules d'émissions plus attrayantes. CinéStation, par exemple, ne s'adresse pas uniquement aux cinéphiles. Et Hep taxi!, depuis 10 ans, est un rendez-vous qui s'adresse à tout le monde par l'éclectisme et le prestige de ses invités." Notons que l'émission de Jérôme Colin, avec Screen l'agenda présenté par Cathy Immelen, représentent les deux émissions culturelles les plus regardées…
4. Les séries et la téléréalité vont balayer la culture
FAUX. C'est un discours maintes fois entendu, mais la culture est peut-être le dernier bastion contre la bêtise ou l'américanisation de la télé. Finira-t-elle forcément par plier? Même sur la RTBF, les séries made in USA se sont installées avec panache, tandis que la téléréalité est en train de pointer le bout de son nez. On pense à The Voice, bien sûr. Mais aussi à Comme un chef, Une famille au top et, bientôt, à Starter,sorte d'entrepreneurs academy.
La réponse d'Anne Hislaire est pourtant claire: "Ce sont des émissions qui ne sont jamais programmées en même temps. Elles arrivent par à-coups, de manière saisonnière. Cela ne menace pas les émissions culturelles, et ces deux genres peuvent parfaitement cohabiter. The Voice? Partons du principe que c'est avant tout un divertissement. Si mes souvenirs sont bons, on n'a jamais évoqué de menace sur la culture quand Pour la gloire ou Ma télé bien-aimée sont arrivés". Quant à la disparition de l'émission Ce jour-là (présentée par Elodie de Sélys), la productrice lâche des aveux à demi-mot: "C'est vrai que là, on peut se poser la question. C'était une bonne émission, connue et reconnue, qui avait relativement bien réussi son arrivée sur La Une en prime time. Est-ce que la machine The Voice a provoqué sa chute? Peut-être… Mais sachez que nos autres émissions culturelles n'ont pas subi de restriction de budget".
5. À terme, toute l'offre "culture" finira sur La Trois…
FAUX. Il fut un temps où la culture s'émancipait joyeusement sur La Une. Aujourd'hui, pas de doute: elle se fait plus discrète. Sommée d'aller penser ailleurs. Sa visibilité s'est atténuée et dispersée. La raison? Petit à petit, les émissions culturelles ont rejoint La Deux. Et on le sait: les chaînes "secondaires" restent moins plébiscitées par les téléspectateurs. "L'objectif était de donner une identité culturelle à La Deux", note Anne Hislaire. "Aujourd'hui, je crois que les gens identifient très bien le fait que la culture se trouve sur cette chaîne-là, et nulle part ailleurs. Mais c'est vrai qu'on a perdu en visibilité. De plus, la culture y est plutôt diffusée en troisième rideau, vers 23 h. Avant, c'était plutôt vers 22 h. C'est un manque d'audace." Faible visibilité, marginalisation des émissions culturelles…, c'est la crédibilité même de ces émissions qui est menacée. Et, mis à part Hep taxi!, force est de reconnaître qu'elles doivent alors compenser la qualité inégale de leurs invités par des brochettes de chroniqueurs superflus.
L'arrivée de La Trois? "Une très bonne chose pour la culture", insiste notre interlocutrice. "C'est un beau laboratoire. Cette chaîne ne produit pas, hormis pour les enfants avec Ouftivi, mais elle rediffuse nos émissions à une heure plus accessible, vers 21 h. CinéStation passe dès le lendemain de sa première diffusion, et Livrés à domicile deux jours plus tard. C'est un plus. Une vraie alternative pour un public plus tête chercheuse." Est-ce que, dans un futur proche, La Trois représentera l'unique demeure de la culture à la RTBF? Ce n'est pas à l'ordre du jour, non. Déjà que la culture n'a plus pignon sur La Une à l'heure qu'il est, reléguer des productions maison sur une troisième chaîne, ce serait tout de même la plus étrange des bizarreries. "Même si chez nos voisins, ils ont réussi: France 5 est le plus beau des exemples", conclut dame Culture.