Le chagrin des Juifs belges

Des plus en plus de Juifs de Belgique pensent à quitter le pays. Vers Israël, ou ailleurs. Ils disent ne plus pouvoir vivre sereinement ici. Par peur des attentats. Mais pas seulement…

1291215

De plus en plus de Juifs d'Europe, et de Belgique en particulier, se sentent mal dans leur pays au point d'envisager de le quitter. Cette réalité, souvent assourdie, nous a été rappelée par l'invitation faite aux Juifs d'Europe de rejoindre Israël, réitérée par Benyamin Netanyahou au lendemain des attentats de Copenhague (notamment contre une synagogue). Si les Juifs danois ont décliné l'offre, l'émigration séduit de plus en plus de Français (on prévoit 10.000 départs en 2015!), mais aussi de Belges. Souvent, il ne s'agit pas tant d'une attirance pour la Terre promise que de la "fuite" d'une Europe malade de son antisémitisme. Les récentes profanations d'un cimetière juif près de Strasbourg n'en sont qu'un exemple parmi (bien trop) d'autres.

Nos dernières vidéos
La lecture de votre article continue ci-dessous

"J'adore la Belgique, c'est mon pays. Mais pour la première fois de ma vie, je pense à partir" , confie Chantal, 52 ans. C'est également l'état d'esprit des personnes qui ont participé à la vidéo (visible sur Youtube) "Je suis Belge. Je suis Juif aussi… Dois-je partir?", à l'initiative du Collectif belge contre l'antisémitisme. On sent chez eux un déchirement. Ils n'ont pas envie de quitter la Belgique mais ne peuvent plus y vivre sereinement. Il n'est pas seulement question de la menace terroriste. La plupart des Belges non-juifs ne soupçonnent pas les ravages quotidiens de l'antisémitisme de moins en moins "latent" qui prévaut dans notre pays. Comme l'a rappelé le Premier ministre Charles Michel, il y a quelques jours, dans son discours leur demandant de rester, "la lutte contre l'antisémitisme est un échec". Nous avons demandé à des Juifs d'en parler. Et avouons-le, le malaise de ces compatriotes nous a fait honte.

40 % pensent à partir

Selon les données de l'Agence juive, les départs ont progressé de manière relativement stable en Belgique: une centaine par an dans les années 1990, environ 150 la décennie suivante et 250 depuis les années 2010. Proportionnellement, c'est moitié moins qu'en France. Mais nous sommes peut-être à la veille d'un "exode" plus important. Une étude indique que, face à l'augmentation de l'antisémitisme ces cinq dernières années, 40 % des Juifs de Belgique envisagent de quitter le pays. Signe des temps, le premier Salon de l'Alyah (émigration des Juifs vers Israël) se tiendra à Bruxelles le 1ermars.

"Tous les jeunes de 30 à 40 ans avec lesquels j'en ai discuté parlent de partir. Je suis effaré: tous!" , rapporte, inquiet, Maurice Sosnowski, président du Comité de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB). Selon lui, une moitié d'entre eux envisage de s'installer en Israël et l'autre moitié se répartit entre les Etats-Unis, le Canada et l'Australie. Même écho chez Chantal, dont les deux enfants aînés étudient en Israël pour l'instant. Elle ignore s'ils s'installeront là-bas, mais elle est convaincue qu'ils ne reviendront pas en Belgique. Ce pays où ils sont nés et qu'ils adoraient pourtant.

Car si l'antisémitisme était déjà présent il y a dix ans (refus de "serrer la main d'un Juif" et crachat à la fin d'un match de foot, salut nazi d'un passant quand cette autre maman dépose ses enfants à l'école juive), il ne les "empêchait pas de se sentir bien en Belgique", dit Chantal.

Elle-même, née en Belgique et "très intégrée", n'a jamais souffert d'antisémitisme, jusqu'à il y a peu. "Quand j'entendais des Juifs s'en plaindre, je me disais qu'ils étaient un peu paranos ou qu'ils restaient trop entre Juifs", se souvient-elle. C'est que pendant des décennies, des Juifs pouvaient vivre en Belgique (même à Molenbeek, comme Viviane, sans souci. "Après la Shoah, pendant une cinquantaine d'années, il y a eu une baisse de l'antisémitisme, explique Maurice Sosnowki. Comme si le monde s'était senti coupable de ce qui s'est passé. Mais maintenant, le monde revient à son antisémitisme "habituel"." Comme si cette accalmie n'avait été qu'un "accident" dans l'histoire.

Depuis quelques années, "l'étau se resserre", observe Viviane. Beaucoup de Juifs européens se réfèrent même à la situation de 1933, en Allemagne. En 2013, une étude européenne de l'Agence pour les droits fondamentaux montrait déjà qu'un Juif belge sur trois avait été victime de harcèlement antisémite dans l'année écoulée! Une étude parmi d'autres, qui allaient toutes dans le même sens. On l'a lu et entendu, mais c'est comme si cela ne percutait pas.

"Aucun politique n'a expliqué à la population combien les Juifs en Belgique avaient besoin d'être protégés", relève Viviane. Quand il avait six ans, son fils lui a demandé, en passant devant le Lycée français: "Où sont les gardes?" "Si on a besoin d'être protégés à ce point, c'est qu'il y a un problème dans la société. Et cela, il ne fallait pas attendre qu'il y ait des morts pour le dénoncer", regrette Viviane qui confie se sentir beaucoup plus en sécurité en Israël (pourtant en guerre) qu'en Belgique parce que, dit-elle, "l'Etat hébreux a pris toutes les mesures de sécurité adéquates pour que les gens puissent avoir une vie normale".

La question que beaucoup de Juifs se posent, confirme Maurice Sosnowsi, c'est:"Pourquoi risquerais-je ma vie ici alors que les autorités n'essaient pas de faire face à cet antisémitisme violent?" Le président du CCOJB est bien placé pour le savoir, lui qui refuse depuis des années toute protection policière. Il dit simplement "espére(r) arriver à la fin de (son) mandat", qui se termine cette année. Glaçant.

La suite de notre article dans le Moustique du 25 février 2015.

Débat
Sur le même sujet
Plus d'actualité