
Les lecteurs de Moustique ont rencontré Laurent Voulzy

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Vous êtes un des rares artistes en chanson française à fédérer les générations. Comment expliquez-vous ce phénomène?
Laurent Voulzy - C'est difficile, voire impossible, à analyser comme phénomène. La vraie réponse à cette question, c'est qu'un artiste ne sait pas pourquoi ça fonctionne auprès de tel ou tel public. Mais je vais essayer de vous donner une explication qui vaut ce qu'elle vaut. Une chanson, c'est un texte et une mélodie. J'essaie toujours que les textes de mes chansons soient écrits d'une manière qui ne se démode pas. De même, la plupart des thèmes que je développe sont intemporels. Et puis le style musical que j'exerce, appelons ça la pop anglo-saxonne, a toujours traversé le temps et les générations depuis sa naissance à la fin des années cinquante.
Pensez-vous qu'au fil des années, le fossé entre les générations s'est peu à peu comblé?
Oui. Enfin, en musique du moins. Plus on avance dans le temps, moins il y a de conflits. Dans les années soixante, j'étais un ado heureux parce que ma mère écoutait aussi du rock. Mais beaucoup de parents ne comprenaient pas que leurs enfants puissent s'intéresser à ça. Aujourd'hui, Sting ou Radiohead peuvent être appréciés par les jeunes comme par des cinquantenaires. La musique est présente et disponible partout. Elle est donc moins ciblée. Tout le monde peut être confronté à de la techno, de la chanson française ou du hip-hop. Ce n'est pas tant la question de l'âge qui compte, mais celle du goût.
Quel genre de fan de musique êtes-vous?
J'ai toujours été perméable à tous les styles musicaux. Le tri s'est fait de manière très naturelle. Lorsque j'ai pris une guitare dans les mains pour la première fois, j'ai acheté une partition d'une chanson de Georges Brassens. Puis j'ai été très vite happé par le tourbillon de la pop des sixties. C'était une époque merveilleuse. Chaque semaine, il y avait des nouveaux 45 tours qui sortaient. J'entendais tous ces sons à la radio et j'essayais de les recopier à ma manière. Au même moment, j'ai aussi été influencé par la musique brésilienne et par la musique des Caraïbes qu'écoutaient mes parents. Le classique, je l'ai découvert durant les années où j'étais interne au lycée. Je ne sais pas pourquoi, mais tous les surveillants jouaient de la guitare. Deux d'entre eux étaient passionnés de Bach, deux autres de jazz et moi, j'arrivais avec mes accords des Beatles ou des Shadows. A la fin des années 70, je me suis pris une grande claque avec Police qui reste un groupe majeur à mes yeux. Et, comme vous le savez, les eigthiessont également primordiales pour moi. Les mélodies étaient très fortes durant cette décennie et j'ai toujours aimé le son des synthés. J'ai l'air moins con aujourd'hui avec ma passion pour le son des années 80 parce que c'est redevenu à la mode.
Si on vous laisse le choix de vous entourer du groupe de rock ultime, quels musiciens convoquez-vous?
Paul McCartney à la basse, Pete Townshend à la guitare, Manu Katché à la batterie, Andrea Corr du groupe The Corrs au chant et Roger Hodgson de Supertramp au piano.
Château fort et figurines
Votre dernier album "Lys & Love" s'inspire du Moyen Age. D'où vient votre attirance pour cette époque?
Tout part d'un château fort que m'offrent mes parents à l'âge de dix ou onze ans. Ce jouet m'accapare plus que mon garage ou ma dînette au point de devenir l'objet de tout mon intérêt. Mon argent de poche est dépensé dans des figurines de chevaliers et, en même temps, je découvre tous les livres que ma mère possède sur l'histoire de France. Cette attirance m'a habité toute ma vie. Il ne se passe pas un voyage sans que j'aille visiter des ruines. Dès je rentre dans une librairie, je me dirige vers la section "Histoire". J'écoute aussi beaucoup de musique médiévale, surtout la nuit et souvent quand je suis seul. Je mets des bougies, je me sers un verre de vin et ça me fait beaucoup de bien.
Au Moyen Age, il y avait des épidémies, des guerres, des exécutions publiques...
Oui, je sais, mais il y avait aussi beaucoup de choses merveilleuses comme la musique, la littérature, les codes de l'amour inventés par les troubadours, l'art en général. La grande différence avec notre époque, c'est qu'aujourd'hui, les discours officiels condamnent les guerres et la violence alors que c'était accepté au Moyen Age. Les familles allaient voir les exécutions publiques comme une attraction foraine. Mais dans les faits, rien n'a changé. La cruauté est présente plus que jamais dans nos civilisations.
Votre chanson En regardant vers le pays de France fait d'incessants allers et retours dans l'espace et le temps. Quelle est son histoire?
En regardant vers le pays de France est la chanson emblématique de cet album. C'est une mise en abyme. Avec "Lys & Love", je voyage entre la France et l'Angleterre, le Moyen Age et aujourd'hui, le rock et l'électro, une chanson de trois minutes et une pièce de onze minutes comme La 9e croisade où je mélange la langue de Molière, celle de Shakespeare et la poésie arabe.
En tant qu'artiste, qu'est-ce qui vous apporte le plus de satisfaction aujourd'hui: l'écriture, l'enregistrement ou les concerts?
Une chanson, c'est comme un flirt. La création d'une chanson, c'est l'approche amoureuse et donc un moment formidable. Mais une fois que le morceau est enregistré, la relation est différente. Ça peut être magique mais aussi pénible. La scène, c'est autre chose, on n'est plus dans le domaine de la création mais dans celui de la performance instantanée. Si vous ratez une note, celle-ci est ratée définitivement, il n'y a plus rien à faire. Les concerts, c'est bien pour le contact avec le public, pour l'interprétation mais aussi pour la peur. Quand je crée une chanson, je n'ai pas peur. Sur scène, oui. Là, je baigne en plein bonheur car je partage mon temps entre les concerts et l'écriture de l'album commun que je réalise avec Alain Souchon.
Quelle chanson de votre répertoire vous apporte le plus d'émotion quand vous l'interprétez sur scène?
Paradoxal système. Ça peut sonner très prétentieux, mais même lorsque j'entends cette chanson à la radio, elle me fait de l'effet, un peu comme si ce n'était pas moi qui l'avais composée. Chaque morceau a son histoire, mais celui-ci est particulier. J'avais enregistré la musique et je suis parti en Bretagne pendant deux semaines avec Alain Souchon pour écrire les textes qui allaient finalement se retrouver sur l'album "Caché derrière" en 1992. Nous n'avons rien trouvé pour ce morceau et je commençais à désespérer car, au fond de moi, je sentais qu'il se passait quelque chose avec la mélodie. Plus tard, j'ai eu un véritable flash lorsque je roulais en voiture sur le périphérique de Paris, porte de Bagnolet pour être précis. Je me suis dit: c'est ici que cette chanson se passe, elle est urbaine, terrestre, en mouvement.Je voyais des rails, du brouillard, du déplacement. On ne sait pas toujours ce que je cherche dans cette chanson, mais je vais vous le dire. C'est la Belgique. Chaque fois que l'interprète, je me vois en déplacement vers la Belgique. C'est la vérité.
Est-ce que vous avez toujours su que vous alliez faire de la musique votre métier?
Je l'ai su quand j'ai commencé à jouer de la guitare, à l'âge de 15 ans. Deux ans plus tard, avec des potes, on a formé un groupe et nous avons même réussi à passer une audition chez Polydor. Notre but était de devenir les Beatles français. Je me suis un peu calmé au niveau des ambitions et tout en continuant à jouer, je me suis dit qu'il me fallait un job cool. Et suis allé postuler dans une agence de voyages avant d'être rattrapé par le virus de la musique.
Entre vos albums parus dans les années 80 et 90, vous sortiez régulièrement des singles, un format particulièrement bien adapté à votre rythme de travail. Pourquoi avoir arrêté?
Si j'ai toujours fantasmé sur le format single, c'est plus parce que j'ai grandi avec ça que pour faire patienter les gens entre deux albums. Comme artiste, c'est un challenge de sortir un morceau et d'espérer qu'il passe à la radio une semaine après. Rockcollection, Bubble Star, Idéal simplifié, Les nuits sans Kim Wilde, Le soleil donne sont nés de ce désir. Dès que ces chansons étaient terminées, elles me brûlaient les doigts.
Pourquoi votre discographie n'a jamais fait l'objet d'une intégrale?
En 2001, ma firme de disques avait eu le projet de rassembler mes albums studio dans un livre illustré et puis l'idée est tombée aux oubliettes. J'y repense souvent parce que ça m'amuserait de ressortir des maquettes intéressantes ou des versions en espagnol ou en italien de certaines de mes chansons.
Comment vous voyez-vous dans dix ans?
Il y a une époque où je me disais: l'idéal pour moi serait d'accepter le temps qui passe, la vieillesse et la mort.Pour comprendre tout ça, j'ai songé sérieusement à me retirer dans un monastère. Leonard Cohen a bient fait ça dans un temple bouddhiste, après tout. Mais entre-temps, je me suis réengagé dans la vie avec une femme et un enfant que j'ai envie d'élever. Et puis, j'aime toujours les guitares électriques et l'amour physique, ce qui n'est pas très compatible avec les ordres (rire).
Photos: Julien Bosseler
Le 21 juillet, scène Pierre Rapsat, 22h15.