
Marc Delire: "J'espère sincèrement que Michel Lecomte va se calmer."

S'il y a bien une chose qu'on ne peut pas reprocher à Marc Delire, c'est son manque de caractère. Après quinze années passées au boulevard Reyers, il a rejoint AB3, puis Belgacom et, indirectement, RTL-TVI. Un parcours dont il assume chacune des étapes et qui apparaît aujourd'hui comme l'un des plus riches parmi le noyau de nos journalistes sportifs. Pour en parler, l'homme nous a invité chez lui, dans un superbe manoir de Wépion (Namur) acquis il y a quelques années. Sur sa terrasse, entouré de ses deux enfants, il a enchaîné les clopes et les cannettes de coca en ne reculant devant aucun sujet. Même ceux qui, ici ou là, ont provoqué des remous dans son sillage...
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Quel est votre rôle exact, maintenant que votre employeur vient de lancer la nouvelle chaîne de foot Belgacom 11+?
Marc Delire - Disons qu'on devient une vraie chaîne de foot, avec 550 matches par an et plus de 200 piges pour les consultants. On m'a nommé responsable éditorial francophone. J'ai dû bâtir une équipe, je dois m'occuper des plannings et je regarde plein de matches pour pointer les erreurs ou apporter des améliorations aux commentaires. Je dois gérer des ego et j'ai un degré d'exigence très élevé. Il est évidemment hors de question que les abonnés nous prennent pour des amateurs.
On dit que vous comptez proposer une sorte de Tribune version Belgacom...
Oui, j'ai la volonté de développer le produit. Et ça passera par des magazines et des émissions, qui compléteront les matches en direct. Par rapport à La Tribune, j'aimerais qu'il y ait plus d'images, qu'on parvienne à mieux synthétiser nos analyses et qu'on survole moins les choses. Idéalement, j'aimerais aussi que ce soit plus "bordélique". Alors, bien sûr, je sais que ça ne plaît pas à certaines personnes. Mais tant mieux: ça prouve qu'on fait du bon boulot. Je préfère être craint que trop respecté.
Quitte à vous fâcher avec Michel Lecomte? En essayant de recruter Benjamin Deceuninck, vous l'avez énervé...
Oui, mais je différencie le Michel Lecomte, directeur des sports de la RTBF, et le Michel Lecomte qui est le père de mon filleul. Pour moi, dans ces cas-là, ce sont deux personnes différentes. Benjamin, au-delà du fait qu'il a été mon stagiaire, est mon ami et un mec doué. Et je rappelle que la liberté des travailleurs existe. Que Michel Lecomte ne soit pas content, je comprends. Mais Benjamin reste quand même libre de ses choix. Il avait signé avec Belgacom. La RTBF a fait une contre-offre et l'a récupéré. Tant mieux pour eux. J'espère sincèrement que Michel Lecomte va se calmer. Moi, je suis prêt à aller boire un verre avec lui.
Ces négociations de droits et ces transferts de journalistes, ça commence à ressembler aux coulisses du foot lui-même. C'est la jungle?
On peut résumer cela comme ça, oui. Tous les trois ans, c'est la bagarre. Moi, la négociation, ce n'est pas mon domaine. Mais quand on me demande mon avis sur l'acquisition éventuelle du championnat anglais, par exemple, je le donne. Et je peux vous dire que les mecs qui doivent négocier ça, ils se préparent longtemps à l'avance. C'est la réalité d'aujourd'hui. Nous ne sommes plus à l'époque où la RTBF avait à la fois le championnat, la Ligue des Champions et les Diables rouges. C'est terminé, ça.
N'empêche: Belgacom et RTL ont signé un contrat. Bosser pour "l'ennemi" de la RTBF, vous avez imaginé ça un jour?
Pas forcément, mais ça ne me dérange pas. Je suis très pote avec Bérénice et Jean-Michel Zecca. On s'est toujours dit qu'un jour, on bosserait ensemble. Bérénice est d'ailleurs la première personne à qui j'ai annoncé ce partenariat. Du côté néerlandophone, un animateur qui bosse pour deux chaînes concurrentes, ça ne choque personne. Ici, les mentalités changent plus lentement...
La preuve avec Stéphane Pauwels, qui a aussi fait le grand saut. C'est un ami?
C'est un bon pote, avec qui je serai ravi de bosser. Il y aura des échanges. Je vais travailler sur l'Europa League pour Club RTL, et lui viendra sur Belgacom pour la Ligue des Champions, voire pour le multi-live de la Jupiler League le samedi soir. C'est quelqu'un que j'aime bien, qui est très différent entre une caméra éteinte et une caméra allumée. Je regrette de ne pas avoir eu l'occasion, dans La Tribune, de rivaliser verbalement avec lui. Je crois d'ailleurs que ça l'a desservi. Ça l'a isolé, et ça lui a collé cette image de vilain sniper. C'est peut-être aussi l'une des raisons qui l'ont poussé à partir...
Un jour, en plein direct, vous l'avez traité de con. Un mois plus tard, vous qualifiez les supporters du Standard de "veaux". Des regrets?
Je regrette le dérapage verbal. Mais sur le fond, j'avais chaque fois raison. Quand Steph affirme qu'on ne peut pas venir au stade avec un gosse, je trouve ça idiot. Et quand les supporters du Standard ont un comportement déplacé, il faut le dire. Le hic, c'est qu'on est en direct. Et moi, je n'aime ni les garde-fous, ni le politiquement correct, ni l'hypocrisie. Mais attention: ce n'est pas ma volonté de provoquer des clashes. Le jour de Standard/Malines, quand tout le stade se met à crier "Delire, on t'encule", je n'étais pas fier. Par contre, quand on me dit "Delire, t'es qu'une pute: tu quittes la RTBF pour te faire plus de fric", là je m'énerve. Parce que je fais ce que je veux.
Vous faites du sport pour vous détendre?
Oui, oui. Récemment, je me suis découvert une passion pour la natation. Sinon, je cours, je fais un peu de tennis et, dès que j'en ai l'occasion, je joue au foot.
C'est compatible avec la cigarette?
(Rire) Je suis en train de penser à prendre un rendez-vous avec un centre de tabacologie. Le numéro est le 42.32.00, vous pouvez vérifier! Ça fait 30 ans que je fume, j'espère avoir encore 30 ans à vivre. Et comme vous le voyez, j'ai deux merveilleux enfants. Si je pouvais revenir en arrière, je n'aurais pas fumé cette première clope lors de mon premier jour à l'unif...
C'est quoi votre plus beau souvenir sportif, jusqu'ici?
(Il réfléchit) Le plus émouvant, ç'a été la médaille d'or de notre judokate Ulla Werbrouck aux J.O. d'Atlanta en 1996. J'étais à côté de sa maman qui, à un moment donné, m'a serré la cuisse tellement elle était stressée. Quand sa fille a gagné et qu'on a entendu la Brabançonne, on pleurait sans rien pouvoir dire. Encore aujourd'hui, j'ai presque envie de chialer. C'était magnifique.
Un souvenir comique, c'est votre interview avec Michel Lecomte, où la phrase "Qu'est-ce qui ne va pas à Charleroi?" est devenue culte.
Oui! On devait juste réaliser un sujet pour une télévision locale carolo. On n'y arrivait pas. A un moment, le réalisateur a voulu prendre les choses en main. Il a pris le micro à ma place et a lancé à Michel "Qu'est-ce qui ne va pas à Anderlecht?". A partir de ce moment-là, c'était foutu. Le fou rire est désormais un chouchou des bêtisiers. Lors de l'émission Les 100 plus grands... sur TF1, on a même fini dans le top 5!
Revenons au foot. Comment fait-on pour rester passionné par le foot belge de nos jours?
Ça ne s'explique pas: c'est dans le sang. Mon père, Michel, a joué à Charleroi et au Standard, il a été Diable rouge, puis entraîneur. A la maison, il y a toujours eu des godasses et des ballons. Aujourd'hui, quand je passe à côté d'un terrain en me promenant, je m'arrête. Tu trouves toujours quelque chose d'intéressant dans le foot, même si le match est chiant. Alors, c'est vrai, quand tu passes d'un match espagnol à un match belge, ton cerveau doit se mettre au diapason. Mais j'ai appris à ne pas comparer. Sinon, bien sûr, t'es foutu.
On vous donne une baguette magique et les clés de l'Union belge. Qu'est-ce que vous changez en premier?
Je vire tous les gens de la fédération qui n'ont jamais tapé dans une balle... et il y en a beaucoup. Et j'oblige les clubs à avoir une certaine déférence par rapport à l'Union belge. Car pour l'instant, c'est l'inverse: ce sont les clubs qui dirigent le foot et pas la fédération. J'oblige aussi chaque club à jouer avec une majorité de Belges, et avec trois joueurs de moins de 21 ans dans le noyau. Enfin, j'oblige tous nos clubs à avoir des centres de formation...
Les Diables rouges, ils iront au Brésil, selon vous?
Mieux que ça: on va être champions du monde! Et je suis sérieux. C'est une bande de gamins surdoués, à qui il faut mettre un objectif, tout en faisant marcher leur orgueil. Pour moi, l'orgueil peut être une merveilleuse qualité. Un Eden Hazard, tu le places en premier sur la feuille de match, puis tu construis ton noyau autour. Et je pense que Marc Wilmots est l'homme de la situation: il va faire travailler les joueurs sur leur caractère. Franchement, quand je vois le dernier Euro, les Diables ne doivent craindre personne.