
Michaël Youn: "Il ne faut pas être aimé par tout le monde"

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Une croyance populaire prétend que les vrais gourmands sont généralement des gens très équilibrés, vous confirmez?
Michaël Youn - Oui. Malgré l’image que j’ai parfois pu donner par le passé, je me sens aujourd’hui parfaitement en phase avec moi-même. Mais ça n'a pas été facile. Trop souvent, les médias m'ont réduit à l'homme qu'ils voyaient devant la caméra. Ils n'ont pas pensé que j'étais dans la vie plus épais que ce que je pouvais montrer à la télé, dans les clips ou dans mes films.
Est-ce pour essayer de changer la perception que l’on a de vous que vous passez à un registre plus classique avec cette comédie bien balisée "à la française"?
Même si ce film marque une rupture car il constitue la première comédie traditionnelle de ma filmographie, ce n’était pas une volonté absolue de changer de genre. Je suis juste curieux de tout. Et j’ai été ravi d’explorer l’univers d’un réalisateur que je ne connaissais pas, en l’occurrence Daniel Cohen. Qui a commis le très burlesque Les deux mondes et qui change donc lui aussi de registre avec Comme un chef. Ce film montre à travers son filtre et le mien que personne n’est monolithique. Qu’il est toujours très réducteur de vouloir apposer une étiquette sur qui que ce soit.
Alors que l’industrie du divertissement adore, justement, étiqueter les comédiens!
Vous avez raison. Mais tant pis! J’enfonce les portes. Je fais ce métier pour les gens qui vont voir mes films ou mes spectacles, pas pour ceux qui n’y vont pas. Je ne réfléchis pas en fonction de ceux qui ne m’aiment pas. De toute façon, il ne faut pas être aimé par tout le monde, ce n’est pas sain.
Récemment, Jean Dujardin expliquait que, depuis que tout le monde l’aimait, il craignait le consensus mou. Du genre de celui qui ne vous fait plus avancer…
Je comprends ce qu’il veut dire. Même si, à mon avis, dans son cas, c’est surtout de la modestie. Car, s’il y a bien un acteur français qui a réussi à s’imposer dans tous les genres en combinant succès public et reconnaissance critique, c’est bien lui. Et puis, à choisir, je préfère le consensus mou aux insultes dont j’ai souvent été victime. Quand je rencontre des gens qui me disent qu’ils détestent ce que je fais, je l’accepte. Et s’ils ne sont pas trop bornés, il arrive même que l’on en discute. Par contre, je refuse qu’on me dise un truc du genre: "Je ne vous aime pas" ou pire: "Je vous déteste". Parce que là, on glisse sur le terrain personnel. On ne peut détester que ceux que l’on connaît intimement. Et puis, détester, c’est un concept grave. Je n’apprécie pas certaines personnes, mais je ne les déteste pas pour autant. Détester, c’est faire l’acte concret de ne pas aimer. C’est dégager un maximum d’énergie négative à l’encontre d’une personne.
N’avez-vous pas donné le bâton pour vous faire battre?
Je n’ai en tout cas jamais cherché la controverse, et à peine la provocation. Même des trucs comme Fous ta cagoule ou Les connards, je les ai faits avec le cœur. Je sais que cette expression peut paraître incongrue pour des ovnis de ce genre, mais je persiste et signe. Quand je me lance dans une entreprise, que ce soit pour émouvoir, faire rire ou déconner, il y demeure toujours une constante: je fais le mieux possible. Même sur le texte des Connards, je vous jure qu’il y a du boulot. (Il rit.) Un artiste met de la sueur dans chaque projet, même dans l’expérience la plus délirante. Avant, je bossais dans un état de transe assez hallucinant. Ce qui a sans doute donné les résultats que l’on connaît. Là, je me suis calmé…
Qu’est-ce qui vous a calmé?
(Il sourit.) Alors, je pourrais te faire le cliché de la maturité. J’ai 38 ans et bla-bla-bla... Je pourrais aussi te la jouer magazine people, genre la rencontre avec ma femme m’a fait comprendre que je n’étais qu’un sale con auparavant, et tout et tout. Mais en fait, c’est beaucoup plus simple: j’ai déjà trop donné dans le registre de l’humour gras. Et j’espère bien continuer à faire rire, car c’est dans ma nature. Mais sans devoir en faire des tonnes.
En suivant l’exemple de qui?
Peter Sellers a tout fait dans le registre de l’humour. Du burlesque au plus introverti. Mais il n’a à rougir de rien. Un beau modèle à suivre.
On vous voit moins en télévision. Pourquoi?
Parce que le système médiatique français est devenu fou. Aujourd'hui, on va à la télé pour se faire taper dessus. On n’y parle plus vraiment de cinéma, ni de musique d’ailleurs. Toutes les vraies émissions de cinéma peinent à attirer des spectateurs. Il faut donc malheureusement en déduire que les gens aiment voir les stars dans d’autres situations, mais pas dans des émissions de cinéma.
Et donc?
On a assisté à la naissance de toute une série de programmes où l'on veut uniquement montrer ce qu’il y a de mauvais en l’être humain. Si on m’agresse, ça fait forcément ressortir ma façon épidermique de réagir. Et ce n’est jamais ce qu’il y a de meilleur. Quand j’accueille quelqu’un chez moi, je lui urine rarement dessus dès qu’il a passé la porte. Je suis comédien, c’est un acte à la base généreux et innocent. Que l’on soit indifférent à moi, je l’accepte. Mais qu’on me traîne dans la boue, c’est insupportable.
On se souvient notamment d’un numéro d'On ne peut pas plaire à tout le monde de Marc-Olivier Fogiel où vous aviez quitté le plateau, excédé par les critiques. Vous réagiriez comment aujourd’hui?
Sans doute pas très différemment. C’est une question de caractère. Donc, maintenant, pour ne plus risquer de monter dans les tours, je refuse d’aller dans ces émissions où les invités sont là pour se faire démonter.
Par peur de dire le mot de trop, aussi?
C’est, de fait, l’un des risques majeurs. Je suis un angoissé, et je ne veux pas que le tour de manège s’arrête. Pas question qu’un métier que j’adore me ferme toutes les portes parce que j’aurais dit un truc que je regretterais de toute façon la seconde suivante. Donc, je me protège contre moi et contre les autres en n’allant pas où il règne trop d’énergie négative. Je ne supporte plus la méchanceté. Dans mon travail, je suis parfois lourd, mais jamais méchant. Sauf une fois. À l'occasion d’une caméra cachée pour le Morning de M6 où l'on avait montré de face des gens qui allaient voir des prostituées, et je l’ai regretté. En résumé, à l’inverse de Dieudonné, je ne vexerais jamais une communauté juste pour faire un bon mot.
Dans le film de Daniel Cohen, Jean Reno incarne la sagesse et vous restez malgré tout un chien fou. Même si vous vous êtes un peu calmé...
Disons qu’à la différence de Jean Reno, je ne suis pas passé par dix ans de rôles discrets pour construire une carrière. Ma première fois à l’écran, c’était sur M6, directement en prime time. Où je me suis créé devant trop de gens, sans filet et sans expérience. Je n’ai jamais eu la chance d’être un débutant.
Comme un chef
Réalisé par Daniel Cohen (2011). Avec Jean Reno, Michaël Youn - 85'.