

Il fait de la télé, mais il n'est pas très client. Même s'il a regardé The Voice Belgique... Il comprend mal pourquoi on s'intéresse à ce point aux personnalités du petit écran. Il saisit l'impact de la télévision, mais il ne conçoit pas qu'on puisse se pencher sur ceux qui la fabriquent. D'où un démarrage d'interview un rien crispé. Pas facile de passer de l'autre côté de la banquette et de répondre aux questions, pourtant bienveillantes, des lecteurs qui ont tenu à le rencontrer à l'occasion du 200e numéro de Hep Taxi!
Curieux, admiratifs et à l'aise, neuf lecteurs qui ont fait tout le boulot. Et très bien même, amenant Jérome Colin jusqu'à la confidence, voire au scoop. "Ça fait quatre ans que j'écris un roman qui tourne indirectement autour de Hep Taxi!, raconte Jérôme. L'histoire d'un taximan qui doit prendre une décision et qui, en attendant de prendre cette décision, rencontre des gens. Ces rencontres sont toutes inspirées d'invités de Hep Taxi! C'est un livre que je ne ferai jamais lire à personne: je n'ose pas. Ce serait comme si je me mettais à poil... Je le fais pour moi, et peut-être pour satisfaire mon père qui, un jour, m'a dit: "Est-ce qu'un jour tu termineras un truc que tu as commencé?""
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Dans quel esprit et avec qui travaillez-vous sur Hep Taxi?
Jérôme Colin - On est une petite dizaine à travailler sur l'émission, on essaie que tout se fasse de manière démocratique. Par exemple, je n'ai pas de droit de veto sur le choix des invités. Si les autres veulent faire un invité que je déteste, je le fais. Même si, à l'écran, ça se sent... C'est ce qui me plaît aussi dans Hep Taxi!,c'est que ce n'est pas une émission branchée, et ce qui m'intéresse le plus dans les invités, c'est d'abord les êtres humains...
Comment préparez-vous vos interviews?
J'écoute Sophie Dasnoy, la journaliste de Hep Taxi!, qui s'occupe du dossier de l'invité. J'ai une réunion avec elle et le réalisateur et elle me raconte la vie de l'invité. Je lui pose toujours la même question - "Qu'est-ce que tu sens de cette personne?" - et je me base sur ses intuitions. Après, c'est moi qui chapitre l'émission... J'ai un copion collé dans le taxi que je ne regarde jamais. Mais il ne faut pas croire, je bosse beaucoup, je suis très préparé, parfois peut-être même trop.
Vous êtes toujours très préparé?
Bon, honnêtement, il m'est arrivé d'arriver à l'interview en ayant moins bien bossé et je dois avouer que ça n'a pas été les pires émissions. Quand ça arrive, on essaie de combler ce manque de travail par une plus forte concentration, et ça pousse à être plus créatif. Mais on n'a jamais eu de vraies catas...
Toutes les émissions enregistrées ont-elles été diffusées?
J.C. - Oui, toutes sauf une. L'émission avec Dieudonné existe, elle est montée, mais elle n'a jamais été diffusée. Je n'aime pas son travail, mais je trouve le personnage intéressant... Après le tournage, il s'était encore passé des choses autour de lui, et la RTBF, par prudence, a décidé de ne pas passer l'émission.
Lorsque vous leur dites au revoir, vos invités ont l'air d'avoir passé un bon moment... Comment faites-vous pour mettre à l'aise les personnalités?
Le dispositif, la voiture, le trajet, le paysage y sont pour beaucoup et créent une intimité. Mais c'est dans ma nature. J'aime parler aux gens et je suis curieux. Vous me lâchez seul dans un bar, après une heure et demie, je connais tout le monde! J'adore refaire le monde jusqu'à 4 heures du matin en buvant du vin. Dans quel boulot vous vous retrouvez dans une discussion intime avec une personne trois minutes après l'avoir rencontrée? Les invités sont à l'aise et veulent bien donner un peu d'eux s'ils sentent que je veux bien donner un peu de moi. Il m'arrive de raconter plus de choses sur moi qu'on n'en montre. Après, on coupe au montage.
On a aussi la sensation qu'il n'y a pas de tabous dans votre taxi.
Il n'y a aucun tabou. Il faut être naturel et aller jusqu'où la discussion nous mène. Je ne demande pas aux gens ce qu'ils font à l'horizontale. Encore que... c'est déjà arrivé. Quand Adamo verse une larme, c'est troublant. Et ce n'est pas du bluff. Julien Doré aussi... Louise Bourgoin, j'ai senti que je ne devais pas aller plus loin. Quand je lui demande pourquoi elle n'a pas d'enfant et que je lui dis "par manque d'envie ou par manque de géniteur?",elle me répond: "C'est personnel, ça ne vous regarde pas".
Une autre chose qui ressort de Hep Taxi!, c'est la gentillesse et le regard enfantin que vous portez parfois sur vos invités. Il y a toujours quelque chose de positif, une vérité, et ça crève l'écran...
Ça me fait super plaisir! D'autant que je ne suis pas quelqu'un de foncièrement positif, je suis plutôt un angoissé. Mais c'est vachement important pour moi d'aller vers des choses comme ça, des choses belles et essentielles.
On sait que vous avez fait le cours Florent. Et on pense saisir chez vous l'envie d'être acteur...
Je ne sais pas. J'ai 37 ans et je ne sais toujours pas. Je me suis élancé et je n'ai pas sauté. A 17 ans et demi, après avoir vu C'est arrivé près de chez vous avec Benoît Poelvoorde, je me suis barré de chez moi, avec l'assentiment de mes parents. Je suis parti à Paris, au cours Florent, j'ai fait trois ans, j'étais sûr que c'était ma voie, que j'allais faire du théâtre, que j'allais jouer dans un groupe. J'ai paniqué, j'ai vécu une grosse crise d'angoisse et je suis rentré, j'ai abandonné. J'ai rencontré ma femme, très tôt, j'ai étudié le journalisme et j'ai eu des enfants tout de suite... C'est pour ça que j'ai beaucoup d'admiration pour les artistes car eux, ils ont franchi le pas... C'est vrai qu'acteur, j'ai mis ça de côté et maintenant que les enfants grandissent, je me dis que je pourrais le faire maintenant. Mais je ne sais toujours pas.
La culture a-t-elle servi à vous distinguer dans votre milieu?
Oui, je lisais des bouquins que mes parents n'avaient pas lus. Mon père, qui était cheminot, n'écoutait pas les Stones et il n'a jamais voulu lire un roman, il trouvait ça inutile. J'écoutais les Pixies à fond dans ma chambre et il entrait en hurlant: "Tu crois qu'on écoutera ça dans vingt ans?"
Comment vous sentez-vous dans 50° Nord?
Je suis un peu mal à l'aise dans cette émission, je n'ai pas toujours l'impression d'être à ma place... C'est un truc que je dois régler entre moi et moi. Je suis un beauf de base. A la maison, la culture n'était pas centrale. Je n'ai pas fait de grandes études, je n'ai pas étudié l'art, et je n'ai pas de background théorique. En revanche, ce que je sais faire, c'est exprimer ce que j'ai ressenti et j'espère le faire du mieux que je peux.
Pourquoi avez-vous été licencié de Pure FM?
J'ai un problème total avec l'autorité. J'ai une allergie absolue à l'autorité, si vous m'agressez parce que vous êtes un supérieur, ça va très mal se passer. La discussion est impossible, la faute de mon père encore. Quand j'étais gosse, il me disait toujours "Jérôme, fais toujours gaffe à celui à qui on vient de donner un képi". J'ai développé une méfiance vis-à-vis des petits chefs. A Pure FM, je m'éclatais, mais je m'éclatais comme un fou. La radio, c'est le média que je préfère, mon émission était très écoutée, j'avais une liberté incroyable, c'était juste le paradis. C'était mon rêve et c'était ma vie. J'ai toujours eu des angoisses, mais à l'époque, j'allais avoir 30 ans, l'accouchement de notre troisième enfant s'est mal passé et j'ai ressenti un choc. J'ai plongé... Et j'ai commencé à déconner au boulot. Plus rien à foutre de rien. Et j'ai déconné trois fois de trop... Quinze jours avant mes 30 ans, je me suis fait virer, mais je l'avais cherché.
Ce n'était qu'un problème avec l'aurorité?
Non, je n'étais pas tout à fait d'accord avec la direction que prenait la chaîne. J'avais envie de parier sur l'intelligence des gens, j'avais l'impression de ne pas être écouté et comme je suis un peu prétentieux, tout ça s'est mélangé. J'ai pété un plomb, une heure après, j'étais dehors.
Considérez-vous qu'il s'agissait d'un comportement immature?
Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise? Oui, j'étais un sale gosse. A la radio, on vous demande d'être sale gosse à l'antenne, mais pas en dehors. Tu me paies pour être un sale gosse, accepte que, derrière, je te fasse aussi chier!
N'étiez-vous pas dans un trip autodestructeur?
Je l'assume. Si c'est trop bien, il faut tout faire exploser.
Allez-vous refaire de la radio?
Vous voulez savoir si j'ai déjà eu envie d'envoyer un mail à Rudy Léonet? Oui. Vous voulez savoir si j'ai déjà envoyé un mail à Rudy Léonet? Non. Si je pouvais ravaler ma fierté, je l'enverrais, ce mail...