
Pourquoi tant d'amour pour Pink Floyd

En 1977, en pleine fureur punk, Johnny Rotten crache "No Future" avec ses Sex Pistols et parade sur les pavés humides de Carnaby Street avec un tee-shirt portant le logo "I hate Pink Floyd", "Je hais Pink Floyd". Malgré son album "Animals" qui s'écoule alors par containers entiers, Pink Floyd est le groupe à abattre. Un dinosaure préhistorique synonyme d'un conservatisme hypothermique, de morceaux interminables et de disques concepts alambiqués tout juste bons à faire circuler le joint dans les réunions d'anciens universitaires nostalgiques et à aider les vendeurs d'électroménager à fourguer des chaînes hi-fi aux clients.
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En 2014, la donne a changé. Sorti ce 7 novembre, "The Endless River", premier disque de Pink Floyd depuis vingt ans et sans doute aussi l'ultime, est attendu comme le Graal par plusieurs générations de music lovers. Sur les sites de vente en ligne, il figurait dès le mois de septembre en tête des précommandes. A Mons, Classic 21 prépare ses émissions spéciales. Son directeur Marc Ysaye a même été invité par Warner Music Benelux, le label qui distribue chez nous "The Endless River", à donner un cours sur Pink Floyd pour les jeunes membres du staff promo à peine nés quand le groupe chantait Another Brick In The Wall. DJ électro, jeunes alternatifscroisés au récent festival Heures InD à Liègeet même Bryan Ferry que nous avons rencontré en exclusivité à Londres voici quelques jours nous demandent: "Alors, ce nouveau Pink Floyd, vous l'avez déjà écouté?"
Et ce n'est même pas de la simple curiosité. C'est de l'intérêt. Alors, oui, on rassure tout le monde. Comme nous l'annoncions dans ces pages la semaine dernière, "The Endless River" est une indéniable réussite. Long de 55minutes et découpé en quatre plages quasi exclusivement instrumentales, cet album réussit à sonner comme un classique de Pink Floyd à situer entre "Meddle" et "Ummagumma", mais aussi comme une œuvre moderne qui peut toucher les fans de Muse, de Temples ou des derniers travaux solo de Thom Yorke.
Fort logiquement, "The Endless River" se trouvera dès la semaine de sa parution au sommet des charts. Un exploit pour un disque instrumental qui ne contient qu'une seule "vraie" chanson (Louder Than Words). Un exploit pour un groupe qui n'a plus rien proposé de neuf depuis 1994 (le disque "The Division Bell") et n'est apparu sur scène qu'à une seule reprise, pour une prestation de... dix-huit minutes au Live8 en 2005.
Mais la nostalgie et cette longue absence n'expliquent pas à elles seules l'excitation autour de "The Endless River". Durant son silence, Pink Floyd a continué à vivre - et à vendre - par le biais de rééditions soignées qui évitaient les fonds de tiroirs ou les redondances. Le bassiste Roger Waters, qui a fondé le groupe en 1965 et l'a quitté vingt ans plus tard, a rappelé lors de ses spectaculaires tournées solo l'intemporalité d'œuvres comme "The Dark Side Of The Moon" ou "The Wall". Enfin, bien plus encore que les Rolling Stones ou les Beatles, Pink Floyd n'a cessé d'innover dans des styles musicaux complètement différents, touchant ainsi bien au-delà de la cible rock.
En additionnant les délires psychédéliques de Syd Barrett, les solos classic rockde David Gilmour, l'écriture de Roger Waters, les claviers de Rick Wright qu'on pourrait presque qualifier aujourd'hui de new age, en ajoutant encore leur passion commune pour les bidouillages en studio et les scénographies ambitieuses, on comprend mieux pourquoi Pink Floyd fédère aujourd'hui. De la scène indie aux producteurs d'électro minimaliste, de "The Dark Side Of The Moule" (!) de Sttellla au "OK Computer" de Radiohead, on ne compte plus les artistes qui reconnaissent avoir été influencés par au moins un de leurs albums. Et alors que Johnny Rotten regrette aujourd'hui dans son autobiographie La rage et l'énergie (voir aussi p. 46) que les Sex Pistols ont été lancés comme un boys bandpar leur manager Malcolm McLaren, Pink Floyd rappelle, cinquante ans après sa formation, toute sa pertinence. Un juste retour des choses.