

Pourtant, dans notre esprit, la Corée du Sud ne doit pas tout à ce personnage numérique. Loin de là.
Pendant que Kim Jong-un menace d’expérimenter l’arme nucléaire depuis la Corée du Nord, en face, Psy poursuit sa grande et bruyante entreprise d’éducation des masses. Mais comment ce garçon qui a une tête de jambon, qui est sexy comme un parpaing et qui a inventé une chorégraphie où l'on doit faire le petit cheval peut-il à ce point intéresser le monde? Bien sûr, il y a quelques années, nous avons inventé une danse où l'on devait faire le petit canard, mais le phénomène n'a pas dépassé les réunions de famille, les fêtes scolaires et les troisièmes mi-temps qui partent en vrille.
Psy, qui n'a donc pas le monopole de la débilité, est pratiquement connu sur la Lune où le drapeau planté par les Américains est à deux doigts de s'adonner au Gangnam Style, cette chanson gadget popularisée par une vidéo qui comptabilise 1,5 milliard de vues sur Internet. L'œuvre peut déjà se vanter d'être la chose la plus vue de l'histoire de YouTube, mais aussi la chose la plus déroutante de cette crise dont elle est la bande-son. Un monde qui, pris de panique par l'état de ses finances, fait sauter la soupape en mimant un chanteur auquel il ne comprend rien, et qui, l’espace de trois minutes, se prend à rêver qu’il chevauche une monture invisible, est un monde qui croit encore en l'universel et qui, dans le fond, sait garder le sourire.
On ne voit vraiment pas quelle autre explication on pourrait donner à ce triomphe qui est aussi celui de la culture du buzz. Purs produits de notre société connectée, Psy et son Gangnam Style doivent une partie de leur succès à cette nouvelle tyrannie du "tout le monde en parle". Une nouvelle forme de pression sociale qui pousse même ceux que ça n'intéresse pas à aller voir à quoi ressemble ce truc dont la portée esthétique, on le sait d’avance, est très limitée. Si, hier, il ne fallait pas mourir idiot, aujourd'hui, il ne faut pas mourir de honte à table le samedi soir. Triomphe de la médiocrité? Echec de l'Internet? N'exagérons rien.
Mais ceux que Psy agace ne sont pas près de le voir disparaître... La vidéo de sa nouvelle chanson, Gentleman, a fait éclater les compteurs du Web avec, une semaine après sa publication, plus de 100 millions de vues. Si Gangnam Style était un clin d’œil aux mœurs bon chic bon genre d’un quartier huppé de Séoul où, dit-on, on aime pratiquer l’équitation (d’où le petit cheval!), Gentleman est une ode à la vulgarité d’une certaine misogynie qui correspond tout à fait à l’esprit trash nourri par certains sites fréquentés par les jeunes.
La vidéo est purement ridicule (encore plus que la première) et met en scène le chanteur qui s’amuse à faire le vilain garçon en piégeant des filles simplement pour le plaisir de les voir se casser la figure ou sentir l’odeur de ses flatulences… Un mini-manuel des mauvaises manières qui a poussé la télé publique coréenne à en interdire la diffusion sous prétexte qu’elle pourrait "nuire à l’ordre public".
Chanson idiote, chanteur moyen, intérêt général. On ne peut donc pas s’empêcher de penser que le phénomène Psy est l’expression d’une fascination pour cette culture de pacotille qui a fait la réputation de la Corée du Sud devenue une sorte d’eldorado pour les nouvelles générations. La K-pop, la musique pop coréenne, est au centre de toutes les préoccupations pour une certaine jeunesse qui n’a pas besoin des médias, et certainement pas de la télé publique, pour satisfaire son besoin de fun, de couleurs et de mauvaises blagues. Internet permet de vivre cette passion pour la Corée du Sud qui, outre son statut d’Etat indépendant, a aussi celui du pays numérique. Une passion dont on ignore encore si elle sera passagère ou inspirera des vocations.
Faire dans le grossier, on a déjà connu Psy plus subversif en Corée du Sud où l’artiste s’est longtemps vanté d’être un antiaméricain de premier choix. Dans des déclarations ou des chansons, que nous n’avons pas eu le bonheur de connaître, l’artiste s’est fait connaître par son dégoût des Etats-Unis, fustigeant la présence militaire américaine dans son pays ou l’intervention en Irak. De cette période anti-yankee, il reste cet air - étrange et violent - qui disait, à propos des Américains: "Tuez leurs filles, leurs mères, leurs belles-filles et leurs pères. Tuez-les tous lentement et douloureusement." Une preuve supplémentaire de la finesse du garçon qui présente ses excuses aux médias américains et passe le poste-frontière la queue entre les jambes lorsque, en 2012, il est invité partout aux Etats-Unis. Des shows télévisés les plus regardés à la Maison-Blanche où Barack et Michelle Obama l’invitent pour un show sous le sapin tout ce qu’il y a de plus fidèle à la tradition américaine.
C’est que Psy, Park Jae-sang de son vrai nom, a eu une vie avant Gangnam Style. Il en aura sans doute une après - et des plus confortables puisque le disque, en dépit des téléchargements illégaux (une habitude de ses fans geeks), aurait rapporté autour de 3 millions d’euros. A 37 ans, ce garçon proche de la marionnette, déjà très populaire en Corée du Sud avant que nous n’ayons la chance d’être présentés, vit sa vie publique comme un personnage de manhwa (manga coréen) et, en dix ans sur le devant de la scène, s’est déjà distingué par cinq albums. Cinq disques bourrés d’électro de kermesse composée à la fraiseuse qui font passer David Guetta pour un chanteur engagé et dont on avouera ne pas les avoir écoutés dans leur intégralité.
Dossier complet Corée du Sud dans le Moustique du 24 avril.