Rencontre avec Marion Cotillard, star de Cannes

plus proche des gens qu'on ne le croit, l'actrice qui cartonne à Hollywood a  parfaitement sa place dans le cinéma des Dardenne. Acclamé ce mardi à Cannes, sa prestation dans 2 jours, une nuit des Frères, la place en pôle position pour le Prix d'Interprétation féminine pour ce festival de Cannes 2014. Une interview de Jérôme Colin.

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Il y a un peu plus d'un an, la nouvelle tombait: les frères Dardenne avaient choisi Marion Cotillard pour interpréter le premier rôle de leur prochain film Deux jours, une nuit. L'info avait de quoi étonner. En effet, Marion à Seraing, c'était aussi étonnant que le Grand Jojo égérie du nouveau parfum de chez Dior. C'est que la jeune fille incarne aux quatre coins du monde le charme français, a reçu l'oscar de la meilleure actrice à Hollywood pour La Môme, et tourne dans des films dont le coût de production avoisine le PIB de la Belgique. Ne citons, dans ce créneau, que Public Enemies de Michael Mann aux côtés de Johnny Depp ou Inception et Batman de Christopher Nolan. On est donc loin des plateaux de la sidérurgie liégeoise.

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Oui, nous l'avouons, nous avons eu de stupides a priori. Et puis nous avons vu le film. Ce Deux jours, une nuit, l'histoire d'une ouvrière mère de famille récemment licenciée qui lutte pour sa survie, et que Marion habite de la première à la dernière minute. Ensuite, nous avons rencontré la comédienne en chair et en os. Et nous avons compris qu'elle n'était pas qu'une jolie plante qui défile en robe longue sur les tapis rouges. Mais avant tout une actrice engagée pour faire sens dans son métier. Assoiffée de travailler avec les meilleurs: Jacques Audiard, Jean-Pierre Jeunet, Woody Allen, James Gray... Et aujourd'hui les Dardenne. Des artistes chez qui on ne va pas pour faire la belle. Mais avec lesquels on construit une carrière dont on peut être fière.

Le cinéma a beau avoir tenté de la réduire à ses débuts à une paire de très beaux yeux (la série des Taxi par exemple), Marion Cotillard s'est pourtant construit un chemin vers les plus hautes marches de Hollywood. Gardant par ailleurs la tête froide. Et si elle est une star et qu'elle sait aussi en jouer, elle avoue très franchement que ses idoles ne sont pas des actrices de cinéma, mais bien des femmes qui se donnent corps et âme pour leurs convictions. Rencontre avec une jeune fille dont on nous avait vanté le mauvais caractère. Et qui s'est avérée, à l'opposé, charmante, posée, souriante et attentive. Comme quoi, il ne faut jamais écouter ce que les gens racontent...

Vos parents étaient tous les deux acteurs de théâtre. En débutant cette carrière, vous saviez déjà que ce ne serait pas simple... Que les chances de réussite étaient maigres?

Marion Cotillard - Oui, je savais que ce ne serait pas un long fleuve tranquille. Quand on se lance dans une carrière d’acteur, il faut avoir un tout petit peu d’endurance et savoir qu’on va rencontrer beaucoup d’échecs. Mais ce n'était pas non plus un acte courageux de devenir actrice. C'était plutôt une évidence. Le courage, c’est autre chose. Ce sont les gens qui sont menés par leur foi et leurs convictions, et qui dédient leur vie à leur pays ou leur combat. Des gens qui se battent et mettent leur vie en danger.

Vous êtes engagée notamment auprès de Greenpeace. Vous avez donc aussi des convictions pour lesquelles vous vous battez!

M.C. - Oui. Mais à mon petit niveau. Je ne suis pas Wangari Maathai (militante politique et écologiste kényane, Prix Nobel de la paix) ou Aung San Suu Kyi qui ont des luttes qui définissent leur vie, ce qu’elles sont et ce qu’elles font. Ça, c’est le courage. Moi, qu’est-ce que je fais? Je fais des films, donc on va un peu se calmer... C'est super, hein, d'avoir un oscar, j'ai adoré ça. Mais si je ne l’avais pas eu, j’aurais été heureuse pareil. Parce que encore une fois, ce n'est que du cinéma. J'adore ça mais je n'y associe en rien la notion de courage.

Vous êtes l’héroïne, justement courageuse, du film des frères Dardenne. Et il y a une très belle phrase dans le film: "On s'est bien battus!"

M.C. - Oui. Notre société a créé l'isolement, le manque de solidarité, la peur et le besoin de trouver sa place. Quand j’ai lu le scénario des Dardenne, ça a fait écho à une information qui avait défrayé la chronique quelques mois auparavant en France: une vague de suicides dans certaines entreprises françaises. Une femme avait laissé une lettre pour expliquer qu'elle se sentait inutile, qu'elle n’avait pas de valeur. Je me souviens avoir été bouleversée par ça. Et remplie de questions. 

Vous vous souvenez du moment dans votre vie où vous vous êtes dit pour la première fois: là je suis à ma place?

M.C. - Oui. Et c'est clairement ce métier qui me l'a offerte, cette place où je me sens juste.

Vous dites ça et en même temps, à l'époque du succès des Taxi avec lesquels on vous a découverte, vous expliquiez à demi-mot que ça ne vous comblait pas...

M.C. - C'est vrai. Mon rêve d’enfant de devenir actrice n’était pas satisfait. J’avais un peu honte parce que je travaillais quand même alors qu’il y en avait d'autres qui ne travaillaient pas, mais j’avais envie de plus. Je faisais de jolis films mais j’avais envie de choses immenses. C’était compliqué d’avoir envie de "plus" alors que j’avais déjà tant. Parce que pour moi, l’ambition était quelque chose de négatif.

Vous avez changé d’avis?

M.C. - Oui. Parce qu’on peut avoir de l’ambition pour soi-même. Et surtout une ambition très saine. Et puis, je me posais d'autres questions à cette époque. J'étais aussi très mal à l'aise avec ce besoin que j'avais d'être regardée et aimée. En bref, je n'assumais ni mon ego, ni mes désirs. Le déclic est venu d'une rencontre en Inde. Un homme m'y a expliqué que tant que je n'accepterais pas mon besoin extrême de reconnaissance, mon expérience d'actrice resterait frustrante. Et lorsque je lui ai dit que j'avais peur que cela revienne à nourrir un monstre, il m'a répondu: "Si tu ne le nourris pas jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus, tu resteras toujours frustrée".

Et que se passe-t-il alors au retour? Comment on fait pour affronter ce démon?

M.C. - Ben, on ne se pose plus de questions. J'ai dit à mon agent que je voulais arrêter un moment, que je ne pouvais pas égratigner mon rêve comme ça, à ne pas être heureuse de ce que je faisais. Il m'a alors demandé d'accepter un dernier rendez-vous. Et là, je rencontre Tim Burton qui m'invite à faire Big Fish. Voilà, je m'apprêtais à faire un film avec un réalisateur qui m'avait toujours fait rêver.

Votre rêve, il avait quelque chose à voir avec le cinéma américain?

M.C. - Le fait d’avoir envie de plus, ce n’était pas forcement l’Amérique. Je voulais notamment aussi tourner avec Claude Chabrol. Mais Tim Burton sera un déclic parce que quelques mois plus tard, je fais Un long dimanche de fiançailles avec Jean-Pierre Jeunet, qui est de la même trempe. On parlait de place tout à l’heure: je crois qu'avec ce film justement, je me suis sentie un peu plus à ma place dans le métier d’actrice.

Et puis, il y a La Môme. César, Golden Globe et ce fameux oscar de la meilleure actrice à Hollywood. Quel regard jetez-vous sur cette tempête, avec le recul?

M.C. - Que c’était magique. Et que c'est un événement qui a changé ma vie. Je le regarde comme une magnifique aventure. Qui m’a appris beaucoup. La Môme, c’était enfin ce "plus" que je voulais... 

Quels sont les autres rôles qui vous ont comblée?

M.C. - Le premier film qui me vient en tête c’est De rouille et d’os, de Jacques Audiard. Et puis, il y a eu Inception, The Immigrant... En fait, à partir de La Môme, j'ai eu le choix. Ceci dit, je me suis plantée aussi, il y a des aventures qui n’ont pas été de bonnes aventures. Mais ça arrive, ce n'est pas grave.

Vous tournez à Hollywood avec les plus grands. Qu'est-ce qui vous a poussée à accepter ce film des Dardenne, très loin des paillettes américaines?

M.C. - La même envie, celle de tourner avec de grands cinéastes. Parce qu’ils font partie des plus grands réalisateurs au monde. Ils font vivre aux spectateurs de grandes aventures du réel. Dans des histoires d'une richesse incroyable et avec une réelle cinématographie. Ils sont immenses... Franchement, c'est l'une des expériences les plus belles et enrichissantes de ma carrière car ils m’ont offert ce dont j’avais toujours rêvé, une osmose entre des réalisateurs et une actrice. Ils ont un niveau d’exigence inégalé. C'est fascinant...

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