

Un dimanche vers 14 heures 30 au Centre culturel flamand d'Ixelles, plus d'une dizaine de vélos sont déjà garés sous le porche en face de deux établis recouverts de matériel, et du monde se presse dans le hall d'entrée. Chacun tient son ticket et attend patiemment de remplir le formulaire d'inscription qui permettra de se présenter à l'un des cinq ateliers du Repair Café. Une dame âgée satisfaite s'extrait déjà de la cohue, serrant un mixeur dans la main. "Il y avait encore plus de monde la semaine dernière à Boitsfort", commente Julio, bénévole chargé de distribuer les précieux tickets. Déjà victimes de leur succès, les "Cafés de réparation"?
Le premier a vu le jour en 2009 aux Pays-Bas à l'initiative de Martine Postma, une militante écologique. "La culture de la réparation s'est perdue, nous jetons des objets qui n'ont pas encore fait leur temps", disait-elle alors. En 2010 s'organisait la "Stichting Repair Café" qui affichait l'ambition de lancer 20 Cafés de réparation. L'année dernière, on en recensait 150 en Hollande. En 2012, c'est au tour de la Belgique d'être contaminée par l'envie réparatrice. 22 Repair Cafés sont actuellement actifs en Wallonie et à Bruxelles, 14 autres en cours d'ouverture. "Il y a une réelle demande", confirme Frédéric Vignaux, cofondateur d'un café, bénévole et porte-parole de Repair Together, la plateforme s'occupant de gérer les Repair Cafés en Belgique francophone. "On a clairement dépassé le premier cercle des convaincus de l’utilité écologique et citoyenne de l’initiative. Certaines personnes viennent également par nécessité financière, d'autres pour la rencontre."
Petit mouvement citoyen devenu grand, le projet est porté par des bénévoles uniquement, eux-mêmes portés par l'envie de construire une société plus durable et de lutter contre le réflexe kleenex du je te prends - je te jette. La réparation d'objets achetés est un petit pas dans cette direction et la diffusion de la pratique favorise un changement des mentalités. Quelles solutions pour un lecteur de DVD acheté 30 ou 40 euros et tombé hors garantie une fois qu'il est en panne? Le faire réparer chez le vendeur coûte plus cher que d'en acheter un neuf, ou les pièces de rechange n'existent plus. L'appareil finira au mieux à la déchetterie, au pire dans la poubelle de rue. Remettre en état limite les déchets, réduit l'empreinte écologique.
Le but avoué de ces Cafés de réparation: lutter contre l'obsolescence programmée. Et à plus long terme, passer d'une économie linéaire basée sur le principe d'extraire - fabriquer - consommer - jeter, très énergivore, à un autre modèle dit circulaire, basé quant à lui sur le principe de la fonctionnalité, et dont l'idée principale est la mise à disposition plutôt que l'achat. Comme c'est déjà le cas pour des voitures en leasing, pour lesquelles l'entretien et la réparation incombent… aux fabricants. Eux qui aujourd'hui n'aident pas le consommateur à comprendre le produit acheté: pas de plan de montage ou technique détaillé, pas de mise à disposition de pièces détachées.
Frédéric Vignaux prend l'exemple des cafetières Senseo: "Il a fallu du temps pour arriver simplement à les ouvrir. Quelqu'un a fini par comprendre comment défaire le système de clips de fermeture. On se passe maintenant la marche à suivre de café en café, et on arrive à les réparer". En 2013, sur 5.000 objets présentés, 3.400 ont été réparés. Quand l'objet est irréparable, il peut être laissé sur place et le CF2M, un centre d'insertion sociale et professionnelle, le récupère. Soit pour le réparer autrement, soit pour le démonter, récupérer les pièces et les revendre, soit pour trier les matières premières et les vendre à un industriel.
Les bénévoles qui accueillent les visiteurs autour des cinq ateliers principaux - vélo, couture, informatique, électronique et divers - ont des compétences dans ces domaines. Ces après-midi de réparation leur permettent de valoriser et mettre en pratique leur savoir-faire technique, qu'ils soient rois de la bidouille, fans de DIY, geeks, gens de métier ou personnes âgées ayant de l'expérience.
Fréquenter un Repair Café, c'est aussi l'occasion de redécouvrir des métiers manuels, des métiers d'artisans, comme ceux de ferronnier ou de rémouleur, mot presque oublié désignant une personne qui aiguise les couteaux et les ciseaux. Le café de Berchem propose un atelier de réparation de bijoux. Celui de Liège est itinérant. Chaque lieu possède sa propre personnalité, développe ses particularités, amène ses innovations. Certains nouent des liens avec des écoles et des étudiants en formation technique où des apprentis apportent leur collaboration sous forme de stage. Plus ces cafés jouent la carte locale, plus ils sont ancrés dans une vie de quartier, mieux ça marche.
Les Cafés de réparation sont vite devenus des points de rencontre et d'entraide, et cet aspect-là est primordial. Les bénévoles vont échanger entre eux leurs connaissances mais aussi la partager avec les visiteurs. Autour des établis se nouent des dialogues: le réparateur montre comment réparer l'objet, dans la mesure du possible, et associe le visiteur à la réparation qui devient alors coréparateur. Avec l'idée qu'à l'avenir, il puisse s'y atteler lui-même et se réapproprie le pouvoir d'agir sur un objet. "Il ne s'agit pas d'un service après-vente, souligne Frédéric https://www.ifixit.comVignaux. Au début, nous parlions de gratuité - ce mot est parfois mal compris, il s'agit avant tout d'échanges. En fait, c'est un système de coups de main, comme cela se faisait avant, naturellement, entre voisins." Et ça, c'est du domaine de l'immatériel.
> En savoir plus (infos pratiques, adresses, calendrier…):www.repaircafe.be/fr/
- www.ifixit.com se présente comme le manuel libre de la réparation, ou communauté de gens s'entraidant. Appareil photo, console, voiture, petit électroménager, iPad-Pod-Phone…, des centaines de tutoriels sont mis à disposition en ligne pour aider à chaque étape de la réparation. Le site comprend également un forum et met en vente des kits de réparation ciblés, des outils ou des pièces détachées. www.sosav.fr suit le même modèle.
- www.res-sources.be, le portail de la récup et de la revalorisation: pour tout savoir sur les différentes filières et trouver ses membres.
- Lady DIY organise des apéros-brico à destination des femmes. Des cours de 2 heures pour apprendre les bases du bricolage (sols et murs, électricité, plomberie, menuiserie…). Et ce pour 29 €. www.ladydiy.be