
Restos du coeur: Une solidarité qui passe mal la frontière...

Dans les bureaux du siège de la Fédération des Restos du Cœur de Belgique, outre l’odeur du café, il règne comme un parfum d’incompréhension. Et de gêne. Et ce depuis que la présidente a reçu une lettre de la part de Véronique Kantor, l’ex-femme de Coluche.
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"Je ne comprends vraiment pas: je ne peux plus utiliser l’image de Coluche… Comme si on utilisait Coluche pour vendre des chaussettes, comme si on utilisait Coluche pour se faire de l’argent", confie Yvonne L’Hoest qui depuis 5 ans dirige l’association.
vonne brandit la lettre lui interdisant d’utiliser l’image du comique français et soupire: "Vous vous rendez compte, c’est Coluche lui-même qui voulait qu’on crée les Restos du Cœur en Belgique… Le pire, c’est qu’on a essayé par tous les moyens, courrier postal, e-mails et coups de téléphone d’obtenir au moins une explication de la part de "Mme Colucci" et de la part du siège français des Restos du Cœur. "On a transmis votre demande", c’est tout ce qu’on me dit. Ce n’est quand même pas compliqué, pourtant, un petit coup de téléphone, un petit e-mail… Vous avez peut-être eu plus de chance que nous…"
De la chance? Non, pas vraiment. On explique que ça fait des semaines que nous faisons le siège du département communications des Restos du Cœur français, un département qui décidément porte bien mal son nom: les responsables ne communiquent sur rien et répondent sur un ton qui va de l’irritation au mépris à peine déguisé.
Cette attitude, outre l’agacement, suscite des interrogations bien légitimes quant aux motifs qui sous-tendent la volonté de "Mme Colucci". Patrick Dejace, le directeur des Restos du Cœur belges, tente un début d’explication: "Ce que l’on sait, c’est que Mme Kantor, qu’on appelle ou qui se fait appeler "Mme Colucci" ou encore la "veuve de Coluche" - mais elle était divorcée de Coluche depuis 5 ans lorsqu’il est mort! -, a déposé "Coluche" comme marque. Si vous ajoutez à ça le procès que ses fils ont fait à Paul Lederman, le producteur de Coluche, vous avez quelque chose qui ressemble à une histoire de gros sous… on est loin de l’esprit de Michel."
Loin de Coluche
On ne pourra qu’acquiescer. Lorsque, en juin 1985, Coluche lance l’idée qu’il est insupportable de constater que des milliers de personnes ne mangent pas à leur faim tandis que les frigos des surplus alimentaires européens débordent, il créé une véritable onde de choc dans l’Hexagone.
Grâce à Michel Colucci, un tsunami de partage et de générosité est en train de naître. Les pouvoirs publics accusent le coup devant leur impuissance face à la misère, l’opinion publique s’emballe. Le 1er Resto du Cœur voit ainsi le jour en décembre 1985. Et ce mouvement de solidarité, relayé une nouvelle fois par Coluche sur les ondes d’Europe 1, franchit nos frontières presque immédiatement: en novembre 1985, dans les caves de l’auditoire Janson de l’ULB, une poignée d’étudiants appartenant à l’Ecole de Commerce Solvay décident de mettre en place une logistique qui permette de servir quelques milliers de repas aux sans-logis. Puis, le 22 février 1986, Coluche himself vient à Liège pour inaugurer le 1er Resto du Cœur belge.
Dans la foulée, il demande à des artistes de participer bénévolement à une tournée au profit des Restos du Cœur. Dans un premier temps, certains auraient refusé et Coluche leur aurait dit: "Vous êtes vraiment une bande d'enfoirés." Tel est, vraisemblablement, l'origine du nom du regroupement d’artistes qui, chaque année, partira en tournée, enregistrera un CD et un DVD au profit de l’association. Jean-Jacques Goldman écrira, à la suite, un tube en une semaine. "Aujourd’hui on n’a plus le droit ni d’avoir faim ni d’avoir froid" est repris en chœur par la crème du showbiz de l’époque: Jean-Jacques Goldman, Yves Montand, Nathalie Baye, Michel Platini et Michel Drucker et Coluche bien sûr.
"Aujourd’hui on a plus le droit d’avoir une tournée des Enfoirés en Belgique",parodie Yvonne L’Hoest qui rappelle avec un sourire un peu forcé le 2e coup dur infligé par le grand frère français aux Restos du Cœur belges: l’annulation à la dernière minute du passage de la tournée des Enfoirés en Belgique.
"On avait déjà réservé les salles… Heureusement, les gens ont été compréhensifs. Mais rendez-vous compte, annuler au dernier moment une date à Forest National, cela aurait pu nous coûter très cher…" La présidente explique sans détour que les "pressions" exercées sur les artistes qui auraient voulu participer à un concert belge étaient réelles et qu’elle en a eu confirmation. "Eh bien, c’est très simple, ceux qui auraient participé à la tournée belge auraient été virés de la tournée française. Vous savez, participer aux Enfoirés, c’est important pour la carrière et la notoriété d’un artiste… On est vraiment loin de l’esprit de Michel, n’est-ce pas? Lui, tout ce qu’il voulait, c’était donner à manger à ceux qui n’ont plus rien."
Gros sous et ventres vides
Dans le Resto du Cœur de la rue de Bosnie de Saint-Gilles, l’un des plus anciens de Belgique puisqu’il a ouvert ses portes en 1986, on est, de fait, très loin des querelles juridiques d’héritiers et des histoires de gros sous. Les regards sont battus, tendus, fiévreux. Ils appartiennent à des hommes et des femmes qui ont lutté toute la journée contre le froid et l’humidité. Un peu gênés, un peu honteux. Pas désireux du tout de se faire prendre en photo. "Vous comprenez, mes voisins, mes amis ne savent pas que je viens ici",se justifie une jeune femme. D’autres évitent le contact parce qu’ils ont peur. "Beaucoup sont sans papiers, ils se méfient", explique la responsable de l’établissement. On y parle portugais, espagnol, russe, arabe, polonais et un peu français. Mais on parle peu. On mange.
La chaleur dégagée par la nourriture et par les radiateurs du réfectoire a une action visible sur l’assemblée: au bout de quelques minutes, les visages se détendent et les corps se décontractent. Çà et là, un rire fuse, même. Des bénévoles encadrés par des travailleurs sociaux sont à la manœuvre pour servir un repas chaud aux dizaines de personnes qui se présentent deux fois par jour. Ce soir, c’est un peu le stress: il reste très peu de colis contenant les vivres qui permettront de tenir jusqu’au lendemain matin. "On va tomber à court", s’alarme-t-on. On ne peut s’empêcher de songer qu’une partie des 20.000 repas que la tournée en Belgique des Enfoirés aurait dû rapporter n’aurait pas été de trop, ici. Dans un coin, un homme seul sauce son bol de soupe avec un quignon de pain. Sous le regard bienveillant d’un portrait de Coluche. Un portrait qui trône là depuis plus de 25 ans. Mais pour combien de temps encore?
Pour faire un don
Si vous voulez aider les Restos du Cœur belges: faites un don sur le n° de compte IBAN BE44 2400 3333 3345 avec la communication 01G007082010 ou achetez le single "Ma Liberté" sur iTunes.
Attention: le profit généré par la vente des DVD et des CD de la tournée des Enfoirés sur le sol belge remplira les caisses de l’association française. Et rien qu’elles.