Starbucks carbure au café

Aller chez Starbucks, c’est un rêve d’Amérique à vivre en trois minutes quand on se trouve dans l’entre-deux du voyage. Un lieu familier où on n’est nulle part et partout à la fois.

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Starbucks avant d’être une success story à l’américaine, avec ses excès teintés d’impérialisme yankee et ses foules de détracteurs altermondialistes, c’est d’abord une expérience. Une expérience que l’on s’offre pour le prix d’un café. On entre dans un décor cosy, digne du Central Perk de la série Friends, où l’on s’adresse à vous en anglais, fût-ce avec une pointe d’accent liégeois. N’imaginez par entrer chez Starbucks et demander "un café", simplement. On vous regardera comme un extraterrestre. Pour passer commande, il faut montrer patte blanche et prouver sa maîtrise des codes de la marque. Dites plutôt: "un Caffè Americano, tall". En effet, chez Starbucks le plus petit des cafés se nomme grand, "tall" en anglais. La commande est alors délivrée avec un sourire inévitable au son de votre prénom qui claque comme une bise trop sonore. On peut alors soit s’installer profondément dans un fauteuil plus confortable que celui de son salon et profiter du wifi gratuit (si vous ne disposez par d’un smartphone ou d’une tablette, ne songez même pas à vous asseoir) ou quitter les lieux avec une tasse en carton au logo vert et traverser la ville avec l’assurance d’une personnage de série qui lance sa start-up en crowdfunding et qui a nécessairement besoin d’un très haut degré de caféine pour mener à bien sa passionnante journée. Cette expérience coûte autour de 4 euros. Le double, si vous vous laissez faire par un Carrot Cake Muffin with Pecans. Ce qui peut, il est vrai, être tentant.

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Le pire dans tout ça? C’est que malgré le ridicule de situation (ou peut-être même à cause de lui) et le prix exorbitant, on continue d’aller chez Starbucks et d’y trouver, oui, du plaisir. Comment expliquer ce phénomène paradoxal? Retour aux sources.

La story

C’est une histoire qui débute à Seattle, une ville où il pleut beaucoup. Un détail qui, quand on évoque la chaleur réconfortante d’une tasse de café, peut avoir son importance. Nous sommes en 1971 et jusqu’ici les Américains ne connaissent du café que celui servi dans les diners où le pot du percolateur reste au chaud sur la plaque électrique jusqu’à plus soif. Trois potes un brin intellos - un prof d’histoire, un prof d’anglais et un écrivain -, tous passionnés de café de qualité (ils le découvrent chez un torréfacteur local du nom d’Alfred Peet) décident d’ouvrir ensemble un commerce de grains et de machines à café au 2000 Western Avenue à Seattle. Ils lui donnent un nom: Starbucks d’après un des personnages de Moby Dick. Et un logo: une sirène à deux queues et aux longs cheveux. Pendant les premières années, les trois compères achètent leur café non torréfié chez leur ami Alfred  Peet. Mais rapidement, ils se fournissent en direct auprès des producteurs et ouvrent quelques points de vente dans la ville.

En 1981, Howard Schultz - l’actuel président de Starbucks - travaille comme commercial auprès d’une multinationale de la photocopie quand il croise le destin de Starbucks. Impressionné par leur parcours, il devient leur directeur de marketing et rêve de faire de la chaîne un lieu de convivialité où les gens ne se contenteraient pas d’acheter leur café en grains mais viendraient aussi consommer du petit noir entre amis comme cela se fait en Italie. Mais les trois fondateurs refusent de transformer la chaîne en "café". Schultz crée alors sa propre chaîne, "Il Giornale" dont Starbucks sera actionnaire et qui, elle, propose des dégustations sur place. En 1987, la filiale rachète la maison mère avec l’aide de Bill Gates Senior (le père de l’autre): les anciens propriétaires de Starbucks cèdent aussi la marque et les droits associés. C’est la naissance de Starbucks Corporation comme on la connaît aujourd’hui et dont Schultz prend le contrôle.

Starbucks est, à ce jour, la plus grande chaîne multinationale de cafés au monde avec un chiffre d’affaires de 14,89 milliards de dollars (2013) et 50 millions de consommateurs par semaine (oserait-on dire 50 millions d’amis?). En 20 ans Schultz est parvenu à transformer une chaîne hyper-locale en géant affichant 20.519 points de vente dans plus de soixante pays. Mais aussi, et peut-être à son grand dam, à faire de Starbucks une marque qui symbolisait un certain statut social sur le mode "si je sais ce que "barista" veut dire, je ne suis plus tout à fait un plouc", un emblème d’hyper-standardisation façon McDo qui signifie… exactement le contraire.

Le troisième lieu

Dans un pays comme les USA, qui ne possédaient pas vraiment de café du coin, Starbucks a été une petite révolution.Howard Schultz définit, dans sa biographie officielle, sa vision de Starbucks comme celle d’un "troisième lieu", à côté de la maison et du travail où passer un moment dans un endroit familier et confortable, à la façon de ce qui existe depuis toujours dans les villes européennes. "Starbucks a créé à lui seul le marché du café gourmet", explique le professeur Bryant Simon dans livre Consuming Starbucks (2008). Pour son projet, le professeur de la Temple University à Philadelphie a visité des centaines de Starbucks dans le monde entier."Starbucks vend plus que du café: il vend notre désir de statut social" , explique-t-il dans une interview donnée à Libé avant la sortie de son livre. "L'idée est que les gens se sentent bien en dépensant leur argent. Acheter une boisson Starbucks est une forme de thérapie." Et on le suit sur ce coup-là. La meilleure preuve? Dans la comédie You’ve Got Mail, Tom Hanks affirme que "Les gens qui n’ont aucune idée de qui ils sont peuvent, pour seulement 2,95 $, s’offrir non seulement une tasse de café mais une définition absolue de soi: grand! Décaf'! Cappuccino!". Et ça, aujourd’hui, c’est vrai que ça fait du bien.

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