
Stéphane Cazes révèle Mélanie Thierry dans Ombline. Rencontre.

Pour son premier film, le jeune réalisateur et scénariste français Stéphane Cazes offre à la comédienne et compagne du chanteur Raphaël l’un de ses plus beaux rôles.
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Excusée de promo (elle tourne en ce moment Théorème Zéro, aux côtés de Christoph Waltz, le prochain film de Terry Gilliam), Mélanie Thierry illumine ce premier film choc qui aborde un sujet tabou rarement vu au cinéma : les femmes qui accouchent en prison.
Coup de chapeau pour Ombline et rencontre avec un réalisateur comblé.
C’est un film de prison, mais qui sort des codes de ce genre de film, puisqu’il parle des femmes et pas des gangsters...
J’ai écrit ce film bien avant de voir Le Prophète de Jacques Audiard, qui a marqué le rencouveau des films de prison. Je ne me suis pas inspiré des films de prison pour l’écrire, mais je l’ai toujours abordé comme un film sur la maternité et le lien mère/enfant. Je n’ai pas voulu porter de jugement à l’américaine non plus sur telle ou telle situation. J’essaye de comprendre chacun de mes personnages, de leur donner une légitimité, qu’ils soient devant ou derrière les barreaux.
N’y a-t-il pas tout de même la volonté de tirer une sonnette d’alarme sur la situation des femmes qui accouchent en prison ?
Clairement. J’espère que le film pourra faire changer les choses. Mais mon métier de réalisateur me sert à poser des questions plus qu’à donner des réponses. Chaque spectateur se fera son opinion. Pour moi le fond du problème pourrait être celui-ci : quel est le sens qu’on donne à la peine de prison. L’idée est-elle de faire souffrir le condamné autant que la victime ? est-ce qu’on aide une victime à se rencontruire par la vengeance ? est-ce qu’on pense aux familles des personnes détenues ? on a tendance à oublier que la prison a un impact énorme sur les familles, sur les enfants des détenus. Un enfant dont le parent est en prison vit la prison aussi, pleinement, à travers cette séparation et cette fracture.
Ça vous révolte ?
Oui. Car pour moi la question de l’éducation est au coeur du problème. Avant de travailler sur ce film j’avais des préjugés. Ils sont tous tombés un à un. La réalité n’est pas toujours ce que l’on croit. Il n’y a pas toujours d’un côté des victimes, de l’autre les coupables, comme si les détenus étaient des monstres. Quasiment toutes les femmes détenues ont été battues, violées. Elles ont des histoires de vie hallucinantes. Elles ont été victimes à un moment. C’est peut-être aussi pour ça qu’elle deviennent coupables à leur tour. J’ai voulu montrer cette complexité. Le taux de niveau scolaire en prison est terrible. Seulement 3% des personnes détenues ont le niveau Baccalauréat. Il y a aussi la maladie mentale, la toxicomanie, l’alcoolisme, le chômage, les problèmes de logement. La prison recèle tout ça, indifféremment. Au-delà de la responsabilité personnelle des coupables, il y a des facteurs sociaux terribles à prendre en compte.
Le personnage de Corine Masiero (qu’on voyait aussi dans le film d’Audiard, De rouille et d’os) montre bien ça. Elle interprète une détenue psychiatrique qui tire sans cesse Ombline vers le bas... avez-vous voulu faire du cinéma-vérité ?
Oui, mais j’ai voulu aussi le démarquer du cinéma-vérité, ou du cinéma social qu’on voit aujourd’hui. Je pense aux récents Polisse (de Maïwenn, sur la brigade des mineurs) ou Entre les murs (de Laurent Cantet, sur l’école), ou même au cinéma des frères Dardenne. Je ne voulais pas faire ça.
Pourquoi ?
Par amour d’un certain cinéma. J’aime l’image travaillée, le cadre. J’adore la musique de film. Mais dans ce cadre fictionnel-là, le message est de dire que l’histoire d’Ombline est pourrait arriver demain.
Vous souhaiteriez que le film soit montré en prison ?
Oui, d’ailleurs beaucoup d’associations soutiennent le film. La Ligue des droits de l’homme, l’Observateur international des prisons... ils organisent des projections-débats. J’espère que le film va être utilisé dans ce but. Afin aussi de modifier l’image des personnes détenues. Cette image négative encourage à la récidive. Je veux lutter contre ça. Il faut changer les mentalités, sans pour autant excuser les actes commis par les détenus. Mais c’est dans l’intérêt de tout le monde que ces personnes se réinsèrent dans la société. Je regrette parfois que ceux qui viennent voir le film.
Une star comme Mélanie Thierry permet aussi se sensibiliser un plus grand public à ces questions... parlez-nous d’elle, de sa fièvre, et de la rage maternelle qu’elle dégage.
Elle a tourné mon film juste avant La Princesse de Montpensier de Tavernier. Elle passe d’un univers à un autre avec une aisance rare. Elle a beaucoup travaillé pour mon film. Mélanie travaille plutôt avec la méthode de l’Actor’s Studio. Elle se plonge dans les émotions et dans la réalité. Elle a suivi un Atelier-Théâtre à la maison d’arrêt des femmes de Fleury Mérogis, rencontré de vraies détenues. Elle a appris à se battre, elle a pris des cours de combat de rue, elle a pris du poids, passé beaucoup de temps avec les bébés, avant, pendant et après le tournage. Elle sait être violente et douce. Elle tapait sur des putching-ball avant les scènes de violence pour faire monter sa rage. Elle est magnétique. Toutes les émotions se ressentent sur son visage. Elle est a 100% en permanence. Avec ma chef-opératrice belge Virginie St Martin, on se disait que la performance de Mélanie nous obligeait à revoir la mise en scène; il fallait plus de gros plans. Je voulais que toutes ses émotions soient intactes pour le spectateur. Petit à petit, elle a attiré la caméra sur elle. Elle est vraiment époustouflante !
Vous nous donnez des frissons !
Sur une heure et demi et film, il y a une demi-heure de gros plans, et on se s’en lasse pas. Peu de comédiennes peuvent supporter ça !
Pour terminer, d’où vient le prénom Ombline ?
Au-delà du côté personnel, je voulais un prénom original et lumineux, qui contraste avec la vie du personnage. Opposer le prénom d’Ombline et le visage doux de Mélanie à ce milieu très violent me permettait de faire entrer la lumière. Et de finir sur cette note d’espoir.