T'as écouté ta musique?

Vos enfants écoutent des trucs de m...? Ne vous plaignez pas: ils pourraient ne rien écouter du tout. En effet, la musique stimule à la fois concentration et mémoire. Même Lady Gaga...

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Du bruit. Des "zim boum". Pour les parents de Thomas, 15 ans et demi, voilà à quoi se résume la musique que leur fils écoute à longueur de journée dans ses écouteurs. Pourtant, leur rejeton a baigné dans le classique et dans la chanson française: Bach, Mozart, Brel, Brassens, Barbara… Dès l’âge de huit ans, Thomas a suivi des cours de solfège puis de violon, avant de tout envoyer balader à l’entrée de l’adolescence pour opter pour Michael Jackson, Tokio Hotel et Avril Lavigne.

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Mais que ces parents se rassurent: même si leur fils a des goûts qui diffèrent aujourd’hui des leurs, Thomas a bénéficié des rations de rythmes et de notes nécessaires au bon développement de son cerveau. C’est prouvé scientifiquement: la musique, c’est bon pour les méninges. "Des recherches en laboratoire montrent que la musique modifie le cerveau, augmente les facultés de concentration et de mémoire", explique Sylvie Nozaradan, médecin et chercheuse à l’institut de neurosciences à l’UCL. Cette spécialiste n’est pas la seule à le dire. Plusieurs études montrent en effet que la musique favorise les connexions entre les différentes zones du cerveau et donc le développement intellectuel. Mais l’harmonie s’affiche aussi sur un plan social et émotionnel. D’après John-Philippe Van Tiggelen, chercheur au FNRS, elle facilite "la créativité et l’imagination, la connaissance de soi et des autres, la communication, agit comme barrage contre la névrose et la dépression, affine le sens du beau et de la mesure…".

Pour tout le monde

Ces constats sont dans la lignée de la philosophie de Zoltán Kodály. Ce compositeur et pédagogue hongrois, mort en 1967, voyait la musique comme un droit humain. Il mettait en avant qu’elle ne devait pas être l’apanage de ceux qui ont un don: si l’on est capable de lire une langue, on peut aussi lire de la musique. Celle-ci devrait donc être enseignée au même titre que la grammaire ou les mathématiques.

Or, il faut bien l’admettre: à part certains établissements progressistes, nos écoles laissent d’ordinaire peu de place à la musique. Au mieux, l’enseignant chante juste et peut gratter quelques notes de guitare. Sinon, tant pis. Et en début de secondaire, le prof de musique doit souvent faire face à des adolescents pouffant et rechignant à entonner un refrain ou souffler dans une flûte devant leurs camarades.

Pour tenter d’inverser cette tendance, la Fédération des Jeunesses musicales a lancé des ateliers de "musico-pédagogie" dans des écoles maternelles et primaires de la Communauté française. "Il ne s’agit pas de cours de musique, précise Sophie Mulkers, responsable pédagogique des Jeunesses musicales. Nos animations utilisent la musique comme vecteur d’apprentissage, d’épanouissement de soi et de sociabilisation." Comme dans cette classe de troisième maternelle de l’école communale de Franière, en province de Namur. Assis en cercle devant Madame Laurence, les enfants se présentent en chanson. Ils font rimer le refrain avec chaque prénom. "Bonjour Chloé - félélé, félélé. Bonjour Lucas - falala, falala". Pas si facile en fait, pour ces petits bouts qui doivent anticiper chaque phrase.

La suite de l’atelier aborde, toujours en chanson, le cycle des saisons, thème abordé par l’institutrice dans les semaines qui suivent. "Certains enseignants estiment que cette activité est un loisir, accessoire, alors qu’elle est complémentaire à leur enseignement", souligne l’animatrice. L’institutrice confirme: "Les élèves découvrent la matière dans un autre contexte, ils font des liens, ce qui facilite leur compréhension et leur mémorisation", explique-t-elle. Les élèves ayant bénéficié de ces ateliers amélioreraient ainsi leurs résultats scolaires.

Effet Proust

On l’a tous vécu: quel meilleur outil qu’une chanson pour apprendre l’alphabet ou les jours de la semaine? La musique est d’ailleurs vecteur de savoir depuis la nuit des temps: c’est sur la musicalité des récits que la tradition orale s’est toujours appuyée pour transmettre une histoire et tisser des liens d’une génération à l’autre. Et à l’échelle de chacun, lorsque la mémoire devient déficiente, c’est encore la musique qui relie avec le passé. Comme pour Emile, atteint de la maladie d’Alzheimer. A 90 ans, cet ancien agriculteur récitait encore les épopées légendaires apprises lorsqu’il était enfant. Au milieu d’un repas de famille, il aimait se lever et entamer une de ses fameuses chansons de gestes en alexandrins, interminables, face à sa descendance admirative, attendrie… et patiente. "La musique transporte des émotions, poursuit Sylvie Nozaradan. Elle a un effet "madeleine de Proust" qui réveille les sens et la mémoire." Même situation chez Jean, ancien compositeur et lui aussi sujet à de graves problèmes de mémoire. Alors qu’il ne pouvait plus retrouver le chemin de sa maison, il pouvait encore se produire en concert au piano.

Mais existe-t-il une musique meilleure que les autres pour le cerveau? Mieux vaut-il glisser Henri Dès, Beethoven ou Lady Gaga dans les jeunes oreilles? "Certains ont affirmé la supériorité de la musique classique et notamment de Mozart, note Sylvie Nozaradan. Mais c’est avant tout culturel. En Belgique, nous avons tendance à cloisonner la musique dans des cours académiques alors qu’ailleurs, elle fait partie intégrante de la vie quotidienne. Tous les styles se valent, il n’y en a pas de meilleurs que d’autres. Bien sûr, certains sont plus relaxants." Cette enseignante dans une académie du Brabant wallon confirme mais précise toutefois. "C’est surtout le rythme, qui rappelle les battements du cœur, et la respiration, qui sont bénéfiques. Ces éléments sont moins présents dans certaines musiques indiennes ou chinoises. Je dirais aussi que l’écoute, c’est bien, mais que la pratique, c’est mieux encore!" Alors, en cave ou en chambre, pourquoi s’en priver?

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