

Un film coup de poing. Mais aussi du rouge, annonciateur du malheur à venir. Qui colle sur la façade d’une maison, dans le vomi d'une tartine à la confiture de fraises… Du rouge dont l’on tente désespérément d’effacer toute trace. Avec le vertigineux Melancholia de von Trier, avec lequel il partage une certaine conception de la fin du monde ou des certitudes, We need to talk about Kevin est la révélation fracassante du dernier festival de Cannes. Mais surtout la remise en question de toutes les théories de Françoise Dolto sur les mystères de l’enfance et de l’adolescence! Car Kevin est un monstre. Depuis sa plus tendre enfance. Un des enfants le plus authentiquement mauvais du cinéma. La méchanceté crasse. Le mal incarné.
Et s’il nous glace à ce point les sangs, c’est parce que Lynne Ramsay ne lui offre pas l’excuse des balises rassurantes du film d’horreur. En adaptant avec un réalisme froid le roman épistolaire de Shriver, la cinéaste a choisi d’évoquer le drame ordinaire de l’incompréhension chronique et douloureuse entre une mère et son fils. Kevin est donc un humain. Monstrueux, mais humain. D’où ce sentiment de malaise. Car au fond, il nous ressemble. Au moins un peu. Alors voilà. Kevin naît dans une famille normale. Sa mère, Eva, a décidé de mettre sa carrière entre parenthèses pour s’occuper de son nouveau-né. Comme à peu près toutes les mamans du monde. Alors où cela a-t-il bien pu déraper?
Il y a bien ce cri perçant de Kevin bébé qu’Eva (éblouissante Tilda Swinton) s’efforce en vain de faire taire. Ce cri qui semble lui hurler, déjà, qu’elle est une mauvaise mère. Il y a aussi les langes que Kevin porte jusqu’à 8 ans. Ou son refus de parler et ses regards chargés d’une haine inconcevable. Et cette terrible sentence, lors d’une tentative de rapprochement dans une sortie à deux, encore vouée à l’échec: "Tu me trouves dur, maman? Mais j’ai été à bonne école, non?"
Ramsay ne juge pas, n’essaie pas non plus de moraliser, et encore moins de donner de réponse toute faite. À travers une mise en scène qui nous enserre comme un étau, elle nous donne à voir l’insupportable possibilité qu’une mère, une maman, puisse détester son enfant. Après avoir plongé dans le gouffre effroyable de la culpabilité. Un film puissant, dérangeant, insoutenable parfois. Et qui en dépit de ce rouge enfin lavé par Eva laisse des traces en nous. Longtemps, très longtemps après.
We need to talk about Kevin
Réalisé par Lynne Ramsay (2011). Avec Tilda Swinton, John C. Reilly, Ezra Miller - 110'.