
Attentats de Paris : tous victimes

Le Président de la République termine son intervention. Il annonce 127 victimes, et déjà en bas d’écran, un déroulant aggrave le bilan, peut-être 140 morts et 250 blessés. Dans les minutes et les jours qui viennent, les chiffres et les informations vont se bousculer, se contredire, se corriger. De toute façon, ils échoueront à rendre compréhensible l’inimaginable : un massacre terroriste à Paris par une douce soirée de week-end.
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Les faits
Deux attentats suicides au bord d’un Stade de France rempli de familles venues assister à un match de gala entre les Bleus et les champions du monde allemands. Et, quasi simultanément, six attaques à l’arme automatique dans le quartier de République qu’on n’oserait plus qualifier de vivant, terminées par ce qu’on a d’abord cru être une prise d’otages au Bataclan alors qu’il s’agissait de l’exécution systématique des spectateurs dans la salle. Une exécution seulement interrompue par l’assaut du RAID et la neutralisation des quatre terroristes (trois ont actionné leur ceinture d’explosifs).
Le bonheur assassiné
Bien des questions entourent la matérialité et le sens profond de ces faits. Mais il est aussi des vérités incontestables. Elles expliquent l’émotion de chacun, en France, et ici, juste derrière la frontière, et dans tout l’Occident. Reprenant quasiment des mots prononcés par le président Obama, François Hollande a parlé d’attentats contre l’humanité. Derrière ce concept abstrait, il y a des réalités toute simples. Les attentats de janvier dernier sonnaient comme une vengeance horriblement absurde contre le peuple juif et contre des « blasphémateurs ». C’était bien sûr injustifiable, mais on avait le sentiment que les terroristes s’attaquaient à ce qui, après des années de luttes et de progrès, est un aboutissement quasiment luxueux de nos démocraties : la tolérance religieuse et la liberté d’expression. Hier, leur victime était le bonheur même de vivre au quotidien dans une société, certes imparfaite, mais ouverte, libre et bienveillante.
Notre nouveau monde
Hier, comme en août dernier si l’attaque du Thalys n’avait échoué, les attentats n’étaient pas ciblés ou plutôt, et c’est encore plus dramatique, ils visaient tout le monde, tous ceux qui, un vendredi soir, après une semaine de boulot, s’offre un peu de joie, une rencontre de foot, une terrasse de café ou un concert de rock. Cette nuit, Paris, c’était du sang, des corps sur le bitume, une femme enceinte accrochée dans le vide à une fenêtre (secourue au dernier moment). C’était aussi des couples effrayés se serrant sur la pelouse du stade de France après le match, des mères qui réconfortaient leurs enfants en pleurs, des pères gens pendus avec anxiété à leur téléphone, pour rassurer des proches ou s’inquiéter de leur sort. La peur, la révolte, la tristesse, l’incompréhension, tout ce que les caméras nous ont montré très distinctement dans ce qui fut le vert paradis de la France bleu blanc beur, c’est devenu notre monde. Probablement pour longtemps.
La bonne stratégie anti-terroriste ?
Aujourd’hui, Paris est changée en ville morte (tout, même Eurodisney, est fermé et les gens sont invités à ne pas sortir). La France a installé l’état d’urgence sur tout son territoire (une première) pour répondre à un « acte de guerre ». La Belgique, sa voisine, s’inquiète (deux victimes sont belges, une voiture immatriculée chez nous aurait servi cette nuit… après l’agresseur du Thalys monté à Bruxelles, la cellule de Verviers et les assassinats au musée juif de Bruxelles). Alors que l’organisation terroriste Etat islamique revendique des attentats qui concrétisent sa volonté de « frapper partout » et promet qu’il ne s’agit que du « début de la tempête », on peut s’interroger sur l’efficacité de notre stratégie anti-terroriste. Frapper modestement là-bas, en Syrie, en Irak, voire au Mali, n’éradique pas le terrorisme ici. Symbole de cette déroute : ce vendredi a commencé avec l’annonce de l’exécution par un drone de « Jihadi John », un bourreau de Daech, et s’est achevé par le décompte des dizaines de victimes parisiennes de l’EI ! Aux attentats ciblés, ont succédé des attentats suicides indiscriminés. Quatorze ans après le 11 septembre, ce n’est pas le signe d’une amélioration, ni de l’inéluctable victoire finale de la démocratie sur la barbarie promise par Hollande. Il faudra peut-être choisir : entrer dans une guerre totale ou se désengager totalement. Et ce sera long et douloureux, impossible d’en douter.
Jean-Luc Cambier
Rédacteur en chef