
TaxiWars réinvente le jazz aux Nuits

Alors que sous le Chapiteau, les compères JeanJass & Caballero mettent d’emblée le feu aux poudres à l’aide d’un cocktail hip-hop francophile et survitaminé, TaxiWars monte sur les planches de la Rotonde avec l’ambition de repousser la limite d’âge d’un jazz aux senteurs éternelles. Chemise à fleurs, jeans déchiré, Tom Barman s’empare du micro avec l’énergie d’un surfeur prêt à se jeter à l’eau. Aux côtés de la voix de dEUS, le saxophoniste Robin Verheyen et le contrebassiste Nicolas Thys donnent le meilleur d’eux-mêmes pour suivre le tempo épileptique imprimé par un batteur new-yorkais dont le nom nous a échappé (mais bel et bien invité en substitut de luxe d’Antoine Pierre, le titulaire habituel).
Sur scène, le quatuor fait fort. Très fort. Au chant, Tom Barman est véritablement habité par la musique. On ne l’a pas vu dans un tel état de transe depuis… depuis quand déjà ? Exalté par le son, le chanteur se démène dans un registre jazz aux possibilités infinies. Derrière lui, les musiciens s’affirment en passionnés, collectionneurs de sons légendaires. La batterie, déjà, renvoie aux cavalcades rythmiques d’Art Blakey. La contrebasse, elle, trouve un chemin de traverse, quelque part entre Ron Carter et Charles Mingus. Le saxophone, lui, est juste démentiel. Sous les notes cuivrées, le corps s’assouplit et l’esprit divague : on songe nécessairement à John Coltrane, à Pharoah Sanders ou Sonny Rollins. Aux Nuits Bota, La performance délivrée par le quatuor est pleine de vie et totalement maîtrisée. Une prestation quatre étoiles pour TaxiWars.
Du côté de l’Orangerie, la température est montée d’un cran avec les embardées caniculaires servies par Imarhan. Dans une tranchée déjà bien creusée par Tinariwen, les cinq musiciens touaregs tricotent du blues désertique et se réchauffent les chœurs autour d’un grand brasier de folk saharien. Véritable escadron psychédélique, le groupe algérien tient une forme olympique. En concert, les morceaux de leur premier album ("Imarhan") sont sublimés par un surplus d’énergie et un énorme capital sympathie. Une très belle rencontre. À revivre en plein air (fin août, par exemple, lors du Feeërieën Festival de l’AB) ou dans le désert (de préférence à dos de chameau).
Quelques minutes plus tard, au même endroit, c’est Steve Gunn qui prend le contrôle des opérations. Suspendu par-dessus le vide-grenier de l’Amérique, ce ménestrel de Brooklyn récupère les bibelots blues, folk, country et rock pour ancrer de belles chansons dans la modernité. Du sommet des Rocheuses aux plaines arides de l’Arizona, du bitume des grandes villes aux forêts verdoyantes du Vermont, les mélodies psychédéliques du guitariste new-yorkais étrillent le pays d’Est en Ouest. Chercheur d’or, Steve Gunn pose la voix sur quelques trésors intoxiqués : des titres qui annoncent la couleur d’un nouvel album ("Eyes On The Lines") plus ouvert que jamais aux joies de la pop (le morceau "Full Moon Tide" sonne d’ailleurs comme du Beck en Stetson). Entouré par une batterie, un bassiste et une guitare steel, Gunn dégaine quelques stéréotypes sans jamais sombrer dans les clichés de l’americana. La prouesse est remarquable. De quoi lui tirer notre chapeau (de cow-boy).