
Terrorisme: “Je suis policier, ma vie a changé ”

Stade Edmond Matchens, dimanche 20h30. C’est là, dans ce qui fût le domicile du Racing White Daring Molenbeek, le mythique RWDM, que nous avons rendez-vous avec le commissaire Johan Berckmans. Ce soir, c’est le huitième de finale des Diables contre la Hongrie et la rencontre est retransmise sur écrans géants. L’agenda du policier de 53 ans est si chargé que nous le retrouvons dans le poste de commandement qui coordonne la sécurité des lieux. Pas d’autre possibilité. Et, parlant de sécurité, on ne plaisante plus: les spectateurs sont soigneusement fouillés à l’entrée, le périmètre est bouclé et pour y accéder, il faut montrer patte blanche.
L’homme est courtois, solide, avenant. Et lucide: il note l’effet dévastateur de l’ambiance tendue qui règne sur le pays. Les lieux sont prévus pour accueillir 2.500 personnes; ce soir ils ne seront que 300 à assister à ce qui sera un match fabuleux. Deux fois moins que contre la Suède. Les perquisitions, les arrestations, les alertes de ces derniers jours ont, encore, accentué la méfiance de la population envers la foule. Un sacré manque à gagner pour les organisateurs. Mais il n’y a pas que des conséquences financières (voir ci-dessous) ou comportementales à pointer dans le nouveau chapitre sécuritaire de l’Histoire de la Belgique…
Depuis un peu plus d’un an, votre métier aussi a basculé…
Johan Berkmans - Oui. Juste après les attentats de Charlie Hebdo, lorsque la cellule terroriste de Verviers a été mise hors d’état de nuire. Tout le monde a commencé à parler terrorisme et comme il y avait des liens directs entre Verviers et Molenbeek, nous nous sommes retrouvés dans l’œil du cyclone. Il y a eu à la fois une prise de conscience de tous les policiers travaillant à Molenbeek et à la fois une stigmatisation de la population arabo-musulmane. Nous avons senti le danger qu’il y avait, en tant que policiers, à tomber dans l’amalgame. On est des gens de terrain: ce genre d’erreur peut avoir des conséquences désastreuses que l’on aura de toute façon à gérer…
Vous avez ressenti, à l’époque, personnellement, une inquiétude pour votre sécurité ?
J.B. - Nous sommes des gens formés à gérer l’inquiétude. Dans un premier temps, ce sont les proches des policiers qui étaient inquiets; pas les policiers eux-mêmes. Mais très vite, on a été beaucoup plus sur le qui-vive.
Vous avez changé vos habitudes ?
J.B. - Oui, moi et d’autres. D’abord beaucoup ont supprimé leur profil Facebook. Il était devenu évident que cela pouvait être une source d’information pour ceux qui voulaient nous atteindre. Il ne faut pas oublier que le but, entre autres, des membres de la cellule de Verviers était d’attaquer un commissariat. Et puis nous pouvons garder nos armes lorsque nous sommes en civil et certains le font. Il n’y a pas encore eu d’incidents dans la vie privée des policiers – je touche du bois – mais cela les rassure. Et il faut bien cela: deux véhicules de police ont été incendiés la semaine dernière… Même si l’on sait que ce n’est pas un “acte terroriste”, c’est un élément qui nous pousse à rester très vigilants. On fait d’ailleurs maintenant des doubles patrouilles. Cette obligation de vigilance est répétée lors de tous les briefings y compris, bien entendu, dans celui d’aujourd’hui…
Donc le niveau de stress reste très élevé…
J.B. - Oui. Et assez paradoxalement, ce stress a des conséquences positives. Ainsi, il a conduit à prendre des mesures très concrètes. Et très rapidement: le danger ressenti a été un facteur d’efficacité. Par exemple, nous avons très vite pris conscience que nos armes de poing ne suffisaient plus. Et la hiérarchie également. De sorte que, maintenant, nous disposons dans nos véhicules, de ce que l’on appelle des “armes collectives”, un rack avec des fusils automatiques. On a, grâce, quelque part, à ce stress - ressenti personnellement, mais traduit collectivement - de quoi neutraliser, quelqu’un qui tirerait dans une foule.
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