
Les Ardentes sous les mots bleus

A septante ans, Christophe ne se contente pas de publier l'album de l'année comme il l'a fait en avril dernier avec « Les vestiges du chaos ». Il n'en fait qu'à sa tête. Après cinquante ans de carrière, il avance toujours, cherche les nouveaux sons, défriche sans fausse nostalgie son passé, avance encore et encore avec ses propres codes. Ce vendredi, sur la scène Aquarium, a l'heure de l'apéro cocktail, il montre qu'il est à la fois un vétéran toujours dans le coup et aussi le dernier hussard de la chanson française. Alors que la salle archi-bourrée (par des festivaliers eumêmes même passablement bourrés), lui réclame à chaque interruption Aline ou Les mots bleus, Christophe Bevilcaqua prend le temps d'imposer les plages de son dernier disque, fruit mûri d'un travail de sept ans. Il est au milieu de la scène, assis sur un tabouret. Deux claviéristes équipés comme s'ils jouaient dans une production de son pote Jean-Michel Jarre, un batteur, une bassiste, un guitariste et un multi-instrumentiste l'accompagnent dans ses pérégrinations sonores nocturnes. Dès l'intro, il donne le ton. « Définitivement, je suis vivant », chante-t-il de sa voix bourrée d'effets.
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Etre « vivant » pour Christophe, ça signifie innover en 2016 et ne jamais mettre le genou à terre. Il déclare son amour à l'énigmatique Stella (Stella Botox), nous arrache des larmes avec son hommage à Lou Reed et « à sa guitare amnésique », se lance dans un duo avec Alan Vega via un juke-box (Tangerine) et, au grand dam de certains spectateurs, évite le best of façon Chanson à la Carte ou soirée hommage sur TF1. Ce n'est pas que Christophe renie son passé. Il assume tout. Non, ce soir, il souhaite faire découvrir ses nouvelles chansons. Et si on se rapproche des premiers rangs pour oublier le brouhaha et qu'on s'enferme, comme lui, dans une bulle, ces "Vestiges du chaos" ne sont que du pur bonheur. Après avoir visité la quasi intégralité de son chef-d'oeuvre, il se lève, fait signe à ses musiciens que le moment est venu de donner l'estocade et balance une version crépusculaire d'Aline « comme une épave sur le sable mouillé ». Il n'y a pas photo. A septante balais, Christophe a offert la prestation la plus radicale de cette troisième journée de festival. Le vrai rebelle, ce ne sont pas les pinpins de PNL ou les dj's venus mixer avec leur clef USB, c'est Christophe. De l'audace, de l'abnégation, de la poésie, des mélodies qui tutoient les anges. Il a tout compris. Il a tout bon. On le reverra dans de meilleures conditions, au Cirque Royal le 11 février 2017.
La nuit est tombée sur Les Ardentes. Scène principale, c’est un revenant qui prend les commandes de la soirée. Charles Bradley. À 68 balais, l’homme incarne l’esprit de la soul à lui tout seul. Né en Floride en 1948, l’artiste a couru pendant soixante ans derrière un succès tardif. Sorti de l’ombre en 2011 par les passionnés de l’écurie Daptone Records (Sharon Jones), le bonhomme s’est rappelé aux bons souvenirs des livres d’histoire en publiant trois disques aux charmes intemporels. Sur scène, ce vendredi soir, le prince Charles nous sort le grand jeu : costume de scène à paillettes, pas de danse de starlette, voix en feu, émotions à fleur de peau. Derrière lui, les cuivres claquent, les guitares matraquent. Authentique, le show caresse le mythe de James Brown. Le rêve américain. Une ride au front, une larme à l’œil, Charles Bradley descend finalement dans la fosse pour partager son plaisir avec le public. Papouilles, hugs, high five, embrassades et câlins. Décidement, c’est beau l’amour…
Quelques minutes plus tard, au même endroit, les Dewaele Brothers nous refont le coup des 2 Many DJ's. On a beau les voir arriver de loin, ces deux là ont toujours un bon disque sous le coude. Dans la discothèque idéale des frangins, ça brasse large et ça tape sec : Telex, Frankie Goes To Hollywood, Tame Impala, Audion, Guns N' Roses, Jaydee et Prince en bouquet final... Pieds en arrière, mains en l’air, on traverse la ligne du temps en dansant sur des tubes d’anthologie, remixés pour dynamiter le début de l’été. Toute grosse soirée !
Au rayon énergie communicative, je demande aussi les Jurassic 5. Débarqués en fin d'après-midi, les papas du rap, avec leurs dégaines à la cool, leurs joggings et leurs tee-shirt basiques détonnent face à la clique hip-hop ultra-lookés et tatoués à la Young Thug, Lil Wayne, Wiz Khalifa ou encore 2 Chainz. Faut dire que ces Dalton de l'ancienne école n'ont pas besoin de fioritures pour assurer le show. Ni d'expression dédaigneuse ou nonchalante d'ailleurs, si prisées sur les scènes des concerts hip-hop ces derniers temps, eux sont manifestement adeptes de la feel good attitude et c'est extrêmement rafraîchissant. Portée par les beats des génies Cut Chemist et Nu-Mark, la formation californienne (recomposée en 2013) chauffe la foule à coups de clins d'oeils, de chorégraphies et de sourires de gamins et balance les meilleurs titres de son répertoire avec générosité comme What's Golden, Concrete Schoolyard et surtout le puissant Freedom. L'esprit des morceaux, les mélodies qu'on reconnaît de loin aux premières notes, les flows maîtrisés et les voix réjouissantes,... Le groupe actionne les manettes de notre mémoire avec dextérité. Avares, ils ne sont pas en cadeaux non plus, puisqu'ils arrosent la foule de goodies et de bouteilles d'eau. Une pure partie de plaisir. Merci pour ça.
Dix minutes de retard. Dix minutes de branlette. Dix minutes de titres en featuring... tout seul (ce qui revient à regarder un clip avec un mec devant qui chante 30 secondes par morceau). Ça fait beaucoup de temps perdu sur un concert d'une heure. Et c'est plus ou moins ce qui résume la prestation de Ty Dolla Sign ce vendredi soir. On ne va pas blâmer le rappeur californien, le son du HF6 était particulièrement pourri lors de son show, ce qui n'a pas aidé à faire prendre la sauce (la sauce). On aurait aimé s'attendre à vibrer sur un titre comme Violent, à profiter du démentiel Stand For ou de la force de frappe de Saved, au lieu de ça on aura souffert à cause des infra-basses et de la saturation. Too bad.
Texte: Marie Frankinet, Nicolas Alsteen, Luc Lorfèvre
Photo: Vincent Kmeron Philbert