L’été des attentats

L’EI perd du terrain au Moyen-Orient. Mais ailleurs, son emprise s’étend. Ces six dernières semaines, les “soldats” de Daesh ont assassiné 600 personnes sur quatre continents. Et tant l’origine de ses kamikazes que le choix de ses cibles sont de plus en plus difficiles à détecter. Malgré les nouvelles mesures, le risque zéro n’a jamais si peu existé…

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C'est un simple fond blanc, traversé de deux lignes, une rouge et une bleue, verticales. Et un récapitulatif: “Je suis Charlie”, “Je suis Paris”, “Je suis Bruxelles”, “Je suis Orlando”, “Je suis Istanbul”, “Je suis Nice” et “Je suis épuisé…”. Chaque attentat d’envergure inspire son lot d’hommages aux victimes, de prières, d’indignation, et évidemment de messages haineux. L’attaque de Nice, le 14 juillet dernier, n’a évidemment pas fait exception. Mais ce dessin en particulier, parmi ceux, toujours nombreux, apparus sur Twitter après le carnage, traduit un autre sentiment: la résignation. Un état d’esprit plus qu’une émotion, sans doute lui aussi largement partagé, quoique moins souvent affiché, sur des réseaux sociaux où l’on se distingue plutôt par l’affirmative.
On peut tout à fait comprendre ce sentiment. Le Premier ministre français, Manuel Valls, a beau déclarer depuis l’Élysée que la France est une grande démocratie qui ne se laissera pas abattre dans la guerre que lui livre le terrorisme. Mais la lutte contre la terreur peut-elle connaître une véritable fin? Un ennemi sans armée pourrait-il vraiment déposer les armes?

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On pourrait se bercer d’illusions avec une analyse strictement militaire. En 2014, suite à plusieurs offensives victorieuses, les troupes de l’État islamique s’étaient constitué un territoire de la taille de la Grande-Bretagne, à cheval entre l’Irak et la Syrie, pour y installer un califat autoproclamé. Depuis, l’EI aurait perdu près de deux tiers du terrain conquis en Irak et 20 % de ses bases syriennes, suite aux coups de boutoir assenés par ses ennemis locaux et la coalition occidentale. Et ce n’est que le début d’une reconquête dont l’ampleur devrait s’intensifier ces prochains mois. D’ici le 20 janvier, date à laquelle il quittera la Maison Blanche, Barack Obama aura à cœur d’afficher des résultats plus probants encore, fût-ce pour montrer, en pleine année électorale, que les démocrates, eux, peuvent gagner des guerres en Irak. Parallèlement, en Syrie, les frappes coordonnées par Moscou et Washington gagnent enfin en efficacité.
Après la perte de Tikrit, de Fallouja et très bientôt sa capitale irakienne Mossoul, après avoir été bouté hors de Minbej et Tall Abyad, ses points d’approvisionnement clés en Syrie, le projet séculaire du califat touche déjà à son terme. Ses revenus mensuels de 80 millions de dollars ont été réduits plus que de moitié. Le flux de ses recrues se tarit: l’État islamique attirait 1.500 à 2.000 combattants chaque mois en 2015. Ils seraient moins de 200 aujourd’hui. Quant à ceux qui se battent déjà à ses côtés, leur moral est en berne, à en juger par les défections de plus en plus nombreuses.

Cette déroute militaire, les dirigeants du groupe terroriste la reconnaissent et l’annoncent même publiquement dans leurs allocutions. Sauf que le combat de Daesh n’est pas militaire. En témoignent le nombre, la diversité des modes opératoires et la dispersion géographique des attentats commis depuis le début du mois de juin, malgré les défaites enregistrées sur son terrain. Sur quatre continents, de la voiture piégée (Bagdad) au camion fou (Nice) en passant par l’attaque au domicile d’un couple de policiers (Magnanville), ils ont tué près de 600 personnes.

“Ubérisation” du terrorisme

Sur ce point, les experts du renseignement occidental ou les sources anonymes interrogées au sein même de l’EI par les médias s’accordent: la vague d’attentats perpétrés, en Occident ou ailleurs, n’est pas près de s’arrêter. Comme le confiait récemment un cadre de l’EI au Washington Post: “Des gens nous contactent tous les jours pour nous proposer de rejoindre le califat. Nous leur disons de rester dans leur pays et d’attendre. Il y a mieux à faire là-bas”. Et ce même cadre d’annoncer que malgré la réduction de ses infrastructures en Irak comme en Syrie, l’État islamique a pu délocaliser son commandement, ainsi que ses ressources “médiatiques” et financières dans d’autres pays. On rappellera par exemple que les auteurs des récents attentats à l’aéroport d’Istanbul, attribués à Daesh, étaient des ressortissants russe, ouzbek et kirghiz.
Mais on peut se demander si l’EI a encore réellement besoin d’une base opérationnelle centralisée. Dans une interview accordée au magazine Le Point, le criminologue français Alain Bauer expliquait, en juin dernier déjà, que la thèse du loup solitaire insaisissable, qu’on a peut-être un peu vite par le passé sortie comme excuse pour masquer leur incompétence, comme avec Mohamed Merah à Toulouse, était cette fois en train de trouver sa véritable actualité. À côté de militants centralisés, certes autonomes mais pas indépendants, œuvrent désormais des terroristes de proximité. “On assiste à une ubérisation du terrorisme. Concernant les attentats d’Orlando ou de Magnanville, la revendication de l’État islamique était en substance: “Dieu a permis qu’un soldat du califat…”, autrement dit: “N’importe qui, chez vous, peut passer à l’action”.

Pire encore que le risque de leur prolifération, les attentats visant les populations occidentales devraient également être de plus en plus difficiles à éviter, et leurs cibles de plus en plus aléatoires et difficiles à protéger à mesure de la multiplication des modus operandi. Agissant plus comme un “label de qualité” qu’une plateforme logistique, Daesh n’est en fait plus nécessairement tenu de participer aux attentats commis en son nom. Les franchises spontanées naissent désormais n’importe où et n’importe quand. Comme à Orlando, le 12 juin dernier, où Omar Mateen, dont les liens passés avec d’éventuels djihadistes resttent flous, n’a finalement choisi de prêter allégeance à Daesh que dans les derniers instants qui ont précédé son raid meurtrier dans une boîte gay pour y tuer 49 personnes. Comme à Magnanville, le lendemain, où Larossi Abballa, qui n’a jamais fréquenté de camp d’entraînement au djihadisme en Syrie, a conclu son processus de radicalisation locale par le meurtre d’un couple de policiers devant les yeux de leur enfant de trois ans. Comme à Nice, où Mohamed Lahouaiej Bouhlel, un père de famille jusque-là inconnu des services de renseignements, a, semble-t-il, fait l’objet d’une radicalisation extrêmement rapide, lui qui quelques semaines auparavant était décrit par ses voisins comme quelqu’un de non religieux, sortant en boîte de nuit et buvant de l’alcool régulièrement. Des derniers éléments de l’enquête, il semblerait que l’auteur des attentats de Nice avait soigneusement planifié son expédition meurtrière sur la promenade des Anglais. Et qu’il avait peut-être bénéficié de complicités locales. Mais il n’est même pas certain que Daesh ait été au courant qu’une attaque d’envergure était prévue le 14 juillet…

La suite de notre dossier consacré aux attentats dans le Moustique du 20 juillet 2016

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