
Valeria Bruni Tedeschi: un surmoi très imposant

Elle est issue d’une lignée de femmes libres qu’elle qualifie volontiers de “romanesques”. Il y a d’abord la mère, Marisa Borini, épouse du compositeur Alberto Bruni Tedeschi, héritier d’une grande famille de l’industrie italienne forcée de quitter Turin pour Paris sous la pression des Brigades rouges. On est en 1973, Valeria n’a que 9 ans. Vient ensuite la sœur, Carla Bruni-Sarkozy, épouse de l’ex-président français, chanteuse et mannequin planétaire née d’une passion de leur mère pour un amant plus jeune qu’elle.
Une filiation que Marisa Bruni Tedeschi raconte sans fausse pudeur dans son autobiographie Mes chères filles, je vais vous raconter. Où l’on s’attarde sur une photo de famille: Valeria enfant au bord d’une piscine, serrée sur les genoux de sa mère entre sa sœur et leur frère Virginio, disparu en 2006. Après la mort du père et de ce frère tant aimé, la maison familiale du Piémont est mise en vente. De cette histoire tourmentée et viscontienne, Valeria tire la matière des films qu’elle réalise dont le dernier et très beau Un château en Italie . Elle y puise aussi son aura d’actrice, angoissée et fantasque, superstitieuse et profonde, chez Patrice Chéreau, François Ozon ou plus récemment Bruno Dumont (elle épatait en aristo fin de race dans Ma Loute). Entre la sortie de Folles de joie du cinéaste italien Paolo Virzì et le montage de son nouveau film, un documentaire sur la maladie d’Alzheimer, rencontre.
On a de vous l’image d’une grande angoissée mais vous avez un vrai pouvoir comique au cinéma. Quelle est votre vraie nature?
VALERIA BRUNI TEDESCHI - J’aime chercher le clown en moi. Chercher le clown ça n’est pas chercher à faire rire absolument. C’est autre chose. Il peut y avoir de la douleur aussi dans le clown. J’aime les metteurs en scène qui le libèrent. Le clown existe dans tous les personnages, il suffit de le regarder, de le laisser vivre. C’est un travail sur des années, que je fais sur moi aussi. Vous savez, je n’ai pas l’esprit de sérieux.
Tenez-vous cela de votre mère, qui vous accompagne dans tous vos films?
V.B.T. - J’ai choisi ma mère comme mère de cinéma car elle me plaît beaucoup. Elle est très jeune dans sa façon de jouer. Elle ne joue que depuis dix ans, elle est pour moi comme une actrice de 30 ans. J’admire sa vie, et puis avec le cinéma j’ai aussi envie de lui faire plaisir. Pour Un château en Italie, je voulais qu’elle rencontre Omar Sharif, mais leur histoire d’amour n’a pas marché, elle l’a trouvé barbant!
Vous sentez-vous plus italienne ou française?
V.B.T. - Les deux, même si parler italien ou français ça n’est pas la même chose. C’est comme marcher avec des chaussures avec ou sans talons, sortir maquillée ou pas. On est la même et différente. Mais c’est vrai qu’en italien je suis plus reliée à mon enfance. En français, je suis plus adroite, plus adulte. Mais quand vous regardez mes films ils sont dans les deux langues, cela se complète.
Il semble que vous jouez plus en italien qu’avant?
V.B.T. - Parce que le cinéma français ne m’utilise pas assez! Je suis très frustrée. Depuis le Ozon (5 fois 2) et le Kahn (Les regrets), je travaille moins en France et je le regrette beaucoup.
Jouer la folie dans le film de Paolo Virzì, c’est un rôle comme un autre?
V.B.T. - Je n’ai pas abordé la folie au sens médical, j’ai fait un travail sur moi-même. Dans la vie j’ai un surmoi très imposant, vous savez ce policier intérieur qu’on a tous en nous. Et je me suis posé la question: que se passe-t-il sans ce policier intérieur qui contrôle tout? J’ai demandé à mon surmoi de partir en vacances. À mon sens, la folie est aussi une manière de survivre, de ne pas mourir. Béatrice est dans une mythomanie apparente mais au fond, elle dit la vérité.
Votre famille a été l’objet de vos films comme réalisatrice, elle continue de vous inspirer?
V.B.T. - J’ai adapté Les trois sœurs de Tchekhov pour un téléfilm d’Arte avec des comédiens de la Comédie-Française. Cela m’a paru aussi autobiographique que mes autres films. Tout est autobiographique, dès que l’on s’empare d’un sujet, même lointain en apparence, on parle de soi
Belles désaxées
Béatrice (Valeria Bruni Tedeschi, superbe) et Donatella (Micaela Ramazzotti, plus sombre) sont deux patientes de la Villa Biondi, institution psychiatrique pour femmes. Bien qu’atteintes de troubles différents (Béatrice est une bourgeoise mythomane rejetée par sa famille; Donatella, une prolo suicidaire), les deux femmes vont vivre une échappée belle qui va leur redonner le goût de vivre. Folles de joie est marqué, dès les premières images, par l’extraordinaire performance de Valeria Bruni Tedeschi en grande dingue volubile qui ne s’arrête que quand on lui dit “je tiens à toi”, cherchant un paradis perdu dans un luxe et une volupté auxquels désormais elle n’a plus droit. Inspiré par des maisons de soin alternatives dans la campagne toscane, Virzì choisit intelligemment de filmer la folie comme un autre masque de la grande comédie sociale. Valeria Bruni Tedeschi y trouve l’un de ses plus beaux rôles.