
Que reste-t-il du parc Maximilien?

Les étés passent et ne se ressemblent pas. L’année dernière, en Belgique, la fin août faisait grise mine. Une dizaine de degrés tout au plus et de la pluie sans cesse. Les images de lointains ailleurs, d’habitude consacrées à la météo des plages et aux retours de vacances, évoquaient la fuite, la fatigue, la misère. Sur les côtes grecques, des bateaux pneumatiques surchargés débarquaient des familles hagardes et grelottantes. La mer, elle, charriait quelques cadavres. Sur les routes de Macédoine, des cohortes de gens marchaient par milliers, tête basse, telle une armée en déroute. À la frontière hongroise, des pères tendaient leur bébé au ciel au-dessus des barbelés.
Des centaines de milliers de Syriens et d’Irakiens, pour la plupart, fuyaient les zones de combat, Daesh et leur maison bombardée. Pour trouver refuge en Suède, en Allemagne et chez nous.
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"C’est un peu par hasard que j’ai découvert les premiers arrivants” se souvient Élodie Francart, devenue à 28 ans la porte-parole de ce qui bientôt allait être la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés. "Je suis active depuis de nombreuses années dans les associations de soutien aux sans-papiers, et je participais à une manifestation devant l’Office des Étrangers, lorsque j’ai vu une trentaine de personnes qui semblaient exténuées dans le parc qui se trouve juste à côté. J’ai été leur parler et j’ai compris très vite qu’elles avaient passé la nuit dehors en attendant de pouvoir déposer une demande d’asile. Il y avait des hommes seuls, des familles, des enfants parfois très jeunes. Quelques personnes du quartier, des passants, spontanément, amenaient un peu à manger, de quoi boire. C’était le 27 août. Devant l’évidente absence de prise en charge par les autorités et lorsqu’il a commencé à pleuvoir, il ne restait plus qu’une solution: planter des tentes dans le parc pour éviter que ces gens ne passent une nuit dehors sous la pluie" continue celle qui travaille maintenant pour Médecins Sans Frontières. "Mais le lendemain, il y avait bien plus de monde: d’autres demandeurs d’asile étaient arrivés pendant la nuit. Et si on peut "gérer" les besoins de quelques dizaines de personnes en donnant quelques coups de fil, lorsqu’elles sont des centaines, il faut passer à une autre échelle. On a, alors, créé un groupe sur Facebook et en quelques heures, on était des milliers à l’avoir "liké ”. La Plateforme était née.”
"J’ai répondu à la demande de bénévoles postée sur Facebook, se rappelle Joëlle, architecte paysagiste, 44 ans. J’avais organisé ma vie de façon à voyager pendant un an. Je voulais alors travailler bénévolement pour une cause environnementale, redonner un peu aux autres ce que la vie m’avait accordé. Devant l’évident besoin, je me suis dit que je pouvais faire ici ce que je prévoyais de faire ailleurs. J’ai été au parc, j’ai d’abord distribué des repas, puis des couvertures. C’était le 5 septembre. Puis, j’ai intégré l’équipe responsable de l’établissement des tentes. Mon voyage "humanitaire" s’est arrêté à Bruxelles et "l’environnement”, c’étaient ces hommes, ces femmes, ces enfants. C’est enthousiasmant de partager, d’aider et de constater que vous êtes directement utile. Mais la charge émotionnelle est forte” affirme celle qui dirige aujourd’hui la cellule d’aide administrative de la Plateforme.
L’imam et le verre de vin
Car les besoins ont changé. "Le parc a été nécessaire, parce qu’il a fallu un mois à M. Francken, le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration pour prendre la vraie mesure du problème. Notre camp de réfugiés improvisé a hébergé et nourri des milliers de personnes en attendant que l’État fédéral fasse son travail. Lorsqu’il a été en mesure de le faire, nous avons démantelé le camp, certains d’entre nous y étant, d’ailleurs, opposés." Mais, début octobre, les nuits devenaient très fraîches, il aurait été irresponsable de loger des enfants sous tente par des températures flirtant avec le zéro degré.
L’aide du Fédéral aux réfugiés étant loin d’être parfaite, les bénévoles ont alors investi un bâtiment proche du Parc Maximilien, baptisé "Hall Maximilien" dans lequel des activités se sont organisées pour les demandeurs d’asile: distribution de vêtements, école pour les enfants, cours de langue pour les adultes, espace d’accueil dédié aux femmes, antenne médicale, animations culturelles, distribution de nourriture. Et une cellule "hébergement" qui se chargeait de trouver un lit à ceux que le centre de préaccueil de la Croix-Rouge ne pouvait accueillir. Les bénévoles passeront des mois à trouver des places disponibles dans les auberges de jeunesse ou chez l’habitant, à les y transporter, à organiser des dortoirs improvisés dans les églises ou les salles de gymnastique. "Cette période d’hébergement est révolue parce que la fermeture des frontières dans les Balkans et l’accord entre l’Union européenne et la Turquie ont diminué l’arrivée des demandeurs d’asile. Mais nous avons identifié de nouveaux besoins: ceux ayant trait à l’intégration dans notre société des gens ayant obtenu leur statut de réfugié” continue Joëlle qui, désormais, occupe avec quelques dizaines de bénévoles un bâtiment du nord de Bruxelles. "On se charge de faciliter les recherches d’appartements à louer, les recherches d’emploi, on tâche de les guider dans les arcanes de nos administrations.
Tout en conservant une capacité à fournir des vêtements ou à distribuer de la nourriture: des gens arrivent toujours par la Libye via l’île italienne de Lampedusa.”
Interrogée à propos de la dimension "multiculturelle" de la population qu’elle contribue à aider depuis plus d’un an, Joëlle tempère: "Je n’ai pas besoin de vous dire que l’islam n’est pas en odeur de sainteté - si je puis dire - et que les amalgames entre réfugiés "musulmans" et "islamistes" sont courants. Mais quand on fréquente comme moi, tous les jours, ces populations, on ne peut être que frappé par leur distance par rapport à l’islam.
Et c’est finalement bien compréhensible: ils ont fui, pour la plupart, l’horreur produite par une vision tronquée et radicalisée du Coran. Et ils n’ont aucunement envie de replonger dans ce cauchemar. Ce que nous avions organisé pour la rupture du jeûne du ramadan a eu, d’ailleurs, significativement, très peu de succès ”.
Walid Obeed confirme, lui qui est arrivé le 28 août 2015 au Parc Maximilien, a intégré le centre d’accueil de Tournai le 2 septembre et a obtenu son statut de réfugié au mois de juin dernier. Il a été une figure de la révolution syrienne, a réalisé des reportages dans son pays diffusés par la BBC, Channel 4, CNN… "On me dit que certains Belges ne voient pas les réfugiés d’un bon œil. J’ai peut-être eu beaucoup de chance, mais tous les gens que j’ai croisés ont été extrêmement gentils avec moi, généreux, aidants. J’ai beaucoup plus d’amis belges que d’amis arabes. Je me sens bien ici, libre, pas surveillé par un gouvernement ou par un imam” confirme le Syrien, un verre de vin rouge à la main.