Aux armes, citoyens ?

Les autorités redoutent que la population, face aux terroristes, en vienne à se défendre elle-même. Des craintes justifiées? Nous avons voulu savoir quelle ambiance régnait dans les clubs de tir belges. 

Stand de tir ©Isopix

Pierre (prénom d’emprunt) ne sourit plus. L’information qu’on vient de lui communiquer l’a complètement désarçonné. Oui, un des terroristes islamistes du Bataclan a bien fréquenté un club de tir parisien peu de temps avant les attentats du 13 novembre 2015. Voilà qui contredit les propos rassurants qu’il nous a  tenus tout le long de l’entretien. Notre interlocuteur pratique le tir sportif depuis dix bonnes années et il est lui-même le fils d’un instructeur de tir mais il n’a jamais entendu parler d’une histoire pareille. “Là, le système a foiré, manifestement, et c’est très gênant…” 

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Pour autant, la France n’est pas la Belgique et jusqu’à nouvel ordre ce cas particulier est une exception. Devenir membre d’un club de tir (sportif ou autre) ne s’improvise pas. Du moins en Belgique. Autrement dit, les terroristes en devenir, mais aussi ceux qui auraient dans l’idée de “s’équiper” afin de se protéger contre une éventuelle attaque terroriste, en seront pour leurs frais. Ils ne pourront qu’envier la souplesse de certains de nos voisins en matière d’obtention d’armes défensives, létales ou non. Car, situation exceptionnelle oblige, le rapport aux armes à feu est bien en train de changer partout sur le continent.

Des clubs saturés en France

Pour un nombre croissant d’Européens, il semble désormais que la protection offerte par les autorités publiques ne suffise plus. Ils redoutent le pire et veulent être capables d’assurer leur propre défense si besoin était. D’après les observateurs, les ventes d’armes ont nettement augmenté dans certains pays de l’Union européenne, de même que les inscriptions dans les clubs de tir. Ce qu’un armurier, sous couvert d’anonymat, nous a par ailleurs confirmé. “Il y a une nette augmentation ces derniers mois. Un grand fabricant a récemment mis sur le marché un lot de 300 ou 400 pistolets et tout est parti en quelques jours. Du jamais vu!” C’est que, outre les attentats de novembre 2015, l’arrivée massive de réfugiés en provenance du Proche– et Moyen-Orient ou encore du Maghreb a décuplé les angoisses, justifiées ou non, et provoqué une ruée chez les armuriers, tant en Autriche qu’en Allemagne, en Tchéquie ou en Suisse. En France, le nombre de tireurs licenciés a augmenté de 50.000 unités en deux ans et les clubs de tir arrivent maintenant à saturation.

La Belgique, pourtant touchée elle aussi par les attentats et “base arrière” du djihadisme européen, n’a pas connu une hausse importante de la fréquentation des clubs de tir ou des ventes d’armes à feu. Joël Robin, président de l’Union royale des sociétés de tir de Belgique, aile francophone (URSTBF), une ASBL qui regroupe plus d’une centaine de clubs de tir et compte un peu moins de 20.000 affiliés, n’a pas constaté d’augmentation spectaculaire des adhésions ces derniers mois, à peine une légère hausse. Au CTM de Wavre, l’un des plus grands clubs de tir de Belgique (quelque 2.200 membres), on n’a pas remarqué non plus beaucoup de nouvelles têtes. L’URSTBF avait enregistré un pic en 2006 avec 22.000 membres. La loi Onkelinx passée en juin de cette année-là a drastiquement changé la donne. La Belgique est depuis l’un des pays de l’Union européenne parmi les plus stricts en matière de détention d’armes à feu. 

Un peu comme du yoga

Daniel Beets, président de l’ASBL Défense active des amateurs d’armes (DAAA): “En Belgique, le parcours à suivre pour l’obtention d’une autorisation de détention est très long: il faut passer un examen théorique et pratique, il faut une attestation médicale prouvant l’aptitude à manipuler une arme en toute sécurité, il faut être inscrit dans un stand de tir, une enquête de moralité est effectuée par la police locale, le casier judiciaire doit être exempt de condamnations énumérées dans l’article 5 de la loi sur les armes et, enfin, il est vérifié si le demandeur est en bonnes relations familiales et de voisinage. Le temps minimum pour une première demande est généralement de 4 mois. De plus, tous les cinq ans il est vérifié si toutes ces conditions sont toujours remplies. Je ne connais aucun pays où toutes ces conditions soient imposées, ensemble, pour l’obtention d’une autorisation”. 

Le grand public assimile souvent l’activité et ses pratiquants aux faits divers sanglants dont les États-Unis sont coutumiers. Pour caricaturer, il s’agirait d’un milieu d’excités ou d’extrémistes notoires étanchant leur complexe d’impuissance en manipulant leurs joujoux phalliques. Pas fréquentables. Du coup, les tireurs et autres amateurs d’armes font profil bas et cultivent la discrétion. Et bien entendu l’atmosphère pesante de ces derniers mois renforce leur réserve voire leur prudence quand on leur demande d’évoquer leur passion. 

Vous avez pourtant très peu de chances de rencontrer des “cow-boys” au sein des clubs de tir locaux. La clientèle se compose plutôt de personnes d’âge mûr, de militaires ou d’anciens militaires, de policiers ou, de manière plus surprenante, de femmes. Le calme et la maîtrise de soi sont de rigueur pour une bonne pratique, l’inverse du cliché trop répandu. Ce que confirme un tireur régulier comme Pierre: “Le tir est un sport de précision par définition et de concentration, un peu comme du  yoga. Il faut respirer profondément. Au moment de tirer, il faut se vider l’esprit complètement. On sait qu’on a quelque chose de dangereux en main”. 

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