Intercommunales: 20 ans de travaux inutiles

On voudrait croire que la mauvaise gouvernance n’est pas une fatalité. Notre enquête dans les archives wallonnes n’incite pas à l’optimisme. Voici les dates-clés de ce chemin de croix.

kanar2

En 2013, Paul Furlan, ministre des Pouvoirs locaux, désormais démissionnaire mais alors chargé du grand nettoyage, balançait à un parlementaire en pleine commission: “On me dit: “N’en faites quand même pas trop, vous n’avez pas tout à fait carte blanche et si vous pouviez vous casser la figure, on serait particulièrement contents””. Il n’avait pas tort… Plus de trois ans et l’affaire Publifin ont passé sur cet instant de lucidité et de sincérité. Et une nouvelle fois, tous les partis rivalisent de bonnes résolutions. Paul Magnette, ministre-président wallon, a même annoncé la révolution. Entre “ce qui doit être fait” et “ce qui est promis”, il veut aller vite. Il n’est pas le premier. 

Nos dernières vidéos
La lecture de votre article continue ci-dessous

1996 La transparence demain

En 1996, la Région wallonne instaure une représentation politique proportionnelle dans les trois organes de direction des intercommunales… Cet acte est posé en réaction à la loi fédérale de 1986 qui imposait la présence de mandataires politiques, mais pas la représentation proportionnelle. Déjà, le principal reproche alors formulé contre les intercommunales était le manque de transparence de leurs organes de gestion. Cinq ans plus tard (11 septembre 2001), le gouvernement wallon institue une commission “des 27” chargée de faire des propositions pour réformer les institutions locales. Elle est présidée par le tout jeune ministre des Affaires intérieures Charles Michel et a un peu plus d’un an pour réduire de moitié le nombre des intercommunales. Mais dès le 6 décembre 2001, les ministres wallons Charles Michel et Van Cau ont un tête-à-tête de trois heures à l’Élysette. Un compromis en ressort. Le PS défend l’emploi généré par les intercommunales. Il n’est désormais plus question de la date butoir du 31 décembre 2002 pour atteindre l’objectif de 50 %… Mais de mi-2004. 

2005 Le scandale de la Carolo 

La réforme des intercommunales se poursuit. Lentement. Jean-Claude Van Cauwenberghe pour le Hainaut, Michel Daerden pour Liège, Philippe Courard pour la province de Luxembourg, Charles Michel pour le Brabant wallon et Namur, la bande des quatre dit avancer. En décembre 2003, Charles Michel dépose un texte de modification du décret sur les intercommunales pour élargir le droit de contrôle à tous les élus communaux (droit de suite renforcé). Il s’étonne de trouver des intercommunales à l’objet aussi absurde que la liégeoise “Association pour la promotion des intercommunales liégeoises”… “Mon souhait est d’organiser le droit de consultation et de visite au profit de l’ensemble des conseillers communaux des communes associées.” Le 5 septembre 2005: l’affaire de la Carolo éclate.   Olivier Chastel présente le dernier rapport en date rédigé par la Société wallonne du logement au sujet de la Carolo. Les démissions s’enchaînent: Despi, Van Bergen, Liesse… 

2006 Un peu d’éthique au programme 

Le MR est éjecté du gouvernement wallon en 2004. Stéphane Hazée, actuellement chef de groupe Écolo, mais à l’époque directeur politique adjoint d’Écolo, tire un bilan sans concession de l’avancée du dossier des intercommunales: “Fin 2005, la problématique de leur fonctionnement restait un enjeu essentiel qui avait été bloqué en 2001 par les tensions PS-MR. Et PS comme cdH ont rejeté plusieurs amendements déposés en cette matière lors des débats relatifs au Code de la démocratie locale”.
Mais début 2006, le ministre PS Philippe Courard reprend la réforme de Charles Michel à l’arrêt depuis 2002 qui visait à réduire les intercommunales de 112 à 56, limiter les mandats politiques d’administrateurs et adopter un décret réformant la gestion des intercommunales. La taille des conseils d’administration est désormais réglementée: 5 élus pour 50.000 habitants avec un nombre maximal limité à 30. Le collège des commissaires et le comité de surveillance ont été supprimés au profit d’un “comité de rémunération” chargé de définir la politique de rétribution des mandataires. En outre, la représentation proportionnelle des élus est menée jusque dans les organes restreints assurant la gestion quotidienne de l’intercommunale. Toujours dans un souci de meilleure gouvernance, chaque intercommunale doit depuis lors se munir d’un règlement en matière d’éthique. 

2007 Un long vide juridique

En décembre 2007, Tecteo, futur Publifin, participe à la création d’une “association intercommunale” prenant le nom de NewICo où se retrouve une intercommunale d’Uccle en région bruxelloise. La même année, Tecteo collabore avec une commune flamande des Fourons. Désormais intercommunale touchant à trois régions du pays, Tecteo se trouve dans un vide juridique: aucun texte de loi ne prévoit comment désigner la Région responsable de son encadrement. Son cas n’est tranché que le 23 octobre 2013 quand les huit partis qui négocient la réforme de l’État se mettent d’accord. À partir du 1er juillet 2015, le droit wallon devra s’appliquer aux intercommunales interrégionales… Mais la majorité reporte de deux ans cette échéance pour Brutélé, Ores, Publilec et Publifin. 

2013 40 mois de vacances 

Dès fin 2011, Rudy Demotte, ministre-président wallon se dit “ouvert à l’idée d’un cadastre des mandats rémunérables au sein des intercommunales”. Le 12 juin 2013, Furlan se fâche. Il s’était déjà étonné que certaines intercommunales continuent de violer le Code de la démocratie locale à propos du “nombre de membres du conseil d’administration qui ne peut être inférieur à dix unités ni supérieur à trente unités”. Mais là, il n’a toujours pas reçu la liste de tous les mandats rémunérés par les intercommunales wallonnes, liste attendue pour le 7 juin dernier   délai. Pire: rien ne se passe malgré la publication de la liste “des fautifs” (Abattoir de Liège, AIDE, AlEC, AIESH, AIOMS Morlanwelz, AISDE, Bois d’Havré, Brutélé, CFR Robermont, CHAC (Heures claires), CIDESER (Compagnie intercommunale de distribution d’eau de Salles et Robechies), IDETA, IFIGA, IGRETEC, IMAJE, Interregies, Interseniors, IPFH, ISAI (Institut supérieur d’architecture intercommunal), PBE, Piscine Sud-   Hainaut, PNHP (Parc naturel des Hauts-Pays), Publilec, Tecteo). 

Le 18 septembre 2013, au Parlement wallon, un débat se tient sur les missions et le contrôle des intercommunales. La séance est tendue. Pierre-Yves Jeholet, le député MR, constate que “manifestement, certaines structures échappent aux contrôles”. Pour lui, “on n’avance pas sur le débat sur les rémunérations. Quels sont les directeurs d’intercommunales qui bénéficient de 290.000 euros ou au-delà. Je l’ai demandé il y a plus de quatre ans, ce cadastre”. Même le    PS est conscient du problème, la députée Isabelle    Simonis demande “de créer un statut sui generis pour une forme d’intercommunale qui agit dans le champ concurrentiel: un contrôle par un commissaire du gouvernement wallon, l’ouverture des organes de gestion à des administrateurs indépendants, experts dans le secteur, la mise en place de divers outils de contrôle…”. Pour le député Écolo Manu Disabato, il est urgent de “renforcer le contrôle des communes de ces sociétés publiques devenues trop autonomes: garantir la transparence, renforcer la capacité de   contrôle par les communes, permettre l’exercice de la tutelle régionale”.

Kanar 2 Intercommunales ©Moustique

Maxime Prévot, alors député et aujourd’hui vice - président du Parlement wallon, met le doigt sur le vrai problème: “On voit que les réformes ne suffisent pas. Dans le Brabant wallon, on voit par exemple que l’IBW a décidé de faire passer son comité de direction de 7 à 11 membres alors même que le processus impulsé par la Wallonie avait visé à réduire le nombre d’administrateurs et de décideurs. Il y a manifestement, à l’égard de ces structures birégionales ou trirégionales, un déficit de contrôle qui doit pouvoir être comblé. On ne peut pas avoir des titulaires de responsabilité publique qui, d’un côté, dans cette enceinte notamment, votent des textes pour pouvoir renforcer les modalités de régulation et de contrôle et d’un autre côté avoir d’autres titulaires de responsabilité de charge publique qui font preuve d’ingénierie pour éluder ces mêmes contrôles.” 

Mais le plus ahurissant sort de la bouche du ministre Paul Furlan: “On demande au gouvernement, par mon intermédiaire, de trouver la formule adéquate, parlant de la transformation des intercommunales. On me dit: “Excusez-moi, pouvez-vous trouver une solution?” Bref, je traduis: “On vous renvoie la patate chaude, maintenant, essayez de dépatouiller ce problème”. La dernière partie de cette analyse sémantique, c’est le propos le plus inquiétant et je l’ai noté: “Nous pouvons contribuer à votre réflexion”. Je traduis: “N’en faites quand même pas trop, vous n’avez pas tout à fait carte blanche et si vous pouviez vous casser la figure, on serait particulièrement contents””.

Ce jour-là, le ministre Furlan poursuit jusqu’au bout son analyse et ses recommandations: “Les élus communaux ont à leur disposition ce que j’appelle l’arme atomique, c’est le fait de refuser ces budgets, de refuser ces comptes, de refuser ces plans stratégiques. Aujourd’hui, chaque compte des intercommunales est analysé, approuvé par les réviseurs d’entreprises à propos desquels on a modifié le décret dont ils dépendent pour garantir leur indépendance et, dès lors, la comptabilité des intercommunales. Tecteo, ou autre, est certifié par un corps indépendant. […] Je plaide pour un projet industriel public et qu’il soit transparent et contrôlé. N’oublions pas que dans les intercommunales wallonnes aujourd’hui, cela n’a pas été dit à cette tribune, il y a 40.000 employés ou ouvriers qui travaillent. En ce qui concerne les rémunérations, débat important, point de l’iceberg de la  rénovation et de la gouvernance, on m’invite à formuler très vite des propositions. Je le ferai”.
Les hypocrisies, les problèmes, mais aussi des solutions inventives et ambitieuses pour demain… Tout est dit dans cette séance au point qu’on peut se demander si les partis ne se sont pas entendus pour partir en vacances pendant trois ans et demi. En tout cas, on ne peut plus croire ces élus qui disent “découvrir la situation”.

2014 Ministre abandonné 

Comme promis, le ministre des Pouvoirs locaux Paul Furlan dépose le 19 décembre 2013 une note de réforme de gouvernance des intercommunales. Elle vise notamment à “rendre corps” à des conseils d’administration parfois considérés comme manquant de poids face au management de grosses intercommunales de secteurs concurrentiels. Le ministre propose par ailleurs la présence “sur place” d’un délégué du gouvernement wallon pour formuler une opposition éventuelle. À cela, le 23 avril 2014, il ajoute la création d’une commission de déontologie et d’éthique. La note est adoptée par le Parlement de Wallonie. 
Depuis, la coalition PS-cdH n’a pas pris les mesures d’exécution. Plus fort: le 28 avril 2014, un décret est adopté pour que des commissaires du gouvernement contrôlent les intercommunales stratégiques… Mais le gouvernement ne l’exécute pas. Le même décret, adopté - nous le rappelons - prévoit qu’un rapport des rémunérations de toutes les intercommunales soit établi et adressé au Parlement. À l’heure actuelle, près de trois ans plus tard, six intercommunales wallonnes n’auraient toujours pas rempli cette obligation, sans aucune sanction. 

2017 Demain la révolution 

François Desquesnes (cdH), ex-chef de cabinet de Benoît Lutgen, démissionne de l’intercommunale Ores le 14 décembre, soit quelques jours avant l’éclatement de l’affaire Publifin. Quelques jours plus tard, Cédric Halin, l’échevin cdH d’Olne, dévoile le scandale des mandataires payés à ne (quasi) rien faire. Après une cascade de démissions et de révélations, la démission du ministre Paul Furlan le 26 janvier 2017 amène le ministre-président Paul Magnette à faire de nouvelles promesses. Après tous les rendez-vous volontairement manqués depuis 1986, comment le croire? La plupart des observateurs du monde politique ne sont guère optimistes et c’était avant que Le Soir nous apprenne que pas moins de 21 membres du PS seront exemptés des mesures lancées par le parti pour limiter le cumul des revenus politiques…

Pour découvrir la suite de notre dossier de la semaine, rendez-vous en librairie ou sur notre édition numérique, sur iPad/iPhone et Android.

Débat
Sur le même sujet
Plus d'actualité