
Leurs histoires finissent dans la rue

C’était le mois dernier à l’hôtel de ville de Bruxelles. “On peut créer des places partout, sauf au cimetière!”, crie une voix dans l’assemblée. La voix est cassée, mal assurée mais véhémente. Chacun aura reconnu qu’elle appartient à quelqu’un qui a connu les nuits dans l’espace public plus souvent qu’à son tour. L’homme à qui elle s’adresse, c’est Alain Courtois, le Premier échevin de la Ville de Bruxelles, qui préside la cérémonie d’hommage à la mémoire des “habitants de la rue” décédés en 2016.
On craint un instant que l’invective ne déclenche un mouvement plus vaste. Après tout, l’assemblée est composée de pas mal de ces “habitants de la rue” et le hâle de monsieur Courtois va si bien au costume bleu nuit sur mesure qu’il porte… On se dit qu’un tel contraste entre la notoriété, la richesse, les vacances à la montagne et le teint crayeux, les cheveux gras, les traits bouffis par la bière peut s’enflammer. Il n’en est rien. La salle au décor gothique de l’Hôtel de Ville en impose. Il y a des travailleurs sociaux, des bénévoles membres du collectif “Les Morts de la Rue”, un collectif qui vient en aide aux SDF, qui agissent comme des modérateurs. Et puis l’ambiance pèse comme une chape. C’est la 12e année qu’a lieu un tel hommage. On est un peu abasourdi lorsqu’on en prend conscience. Douze éditions d’affilée. Douze coups de minuit pour des centaines d’âmes qui se sont évaporées des trottoirs. En 2005, ils étaient, déjà, 23. Deux par mois. Et ce chiffre n’a fait que croître. Pour atteindre la moyenne mensuelle de six. En tout, depuis 2005, ce sont 494 “habitants de la rue” qui ont quitté leur dernier domicile.
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40% sont des Polonais
Mais le plus inquiétant est à venir, dans le bilan qu’on tirera pour 2017. “Nous en sommes déjà à 77, et nous ne sommes même pas à la moitié de l’année”, nous confie Jacques, l’un des bénévoles de “Morts de la Rue”. “Des Belges, bien sûr, mais beaucoup, beaucoup de Polonais. Pourquoi? Je n’en sais rien, mais l’ouverture des frontières et la possibilité de pouvoir travailler en Belgique ont amené de nombreux artisans de Pologne. Et notre pays, perçu comme un réservoir de chantiers, n’a pas dû tenir toutes ses promesses.”
Ainsi, plus de 40 % des personnes trouvées mortes dans l’espace public bruxellois sont des Polonais. Un chiffre si important que l’ambassade de Pologne a dépêché une jeune diplomate qui affirmera, devant l’assemblée, que son pays est prêt à aider à rapatrier ses compatriotes SDF. Qu’une fondation privée polonaise est prête à fournir passeports, transports et un accueil en Pologne. C’est impressionnant, cette solidarité “officielle” réaffirmée par une nation envers ses citoyens. Ça ferait presque des jaloux. “Je demanderais bien l’asile là-bas”, plaisante un grand gaillard au regard triste.
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