
États-Unis: le massacre des innocents

Chaque jour aux États-Unis, sept jeunes sont victimes d’armes à feu. C’est la deuxième cause de décès parmi les moins de 19 ans (la première dans la communauté noire). On ne parle pas de tueries de masse comme à Columbine, mais de meurtres de voisinage, d’accidents du quotidien ou de règlements de comptes familiaux. Contre l’abstraction de cette moyenne, Gary Younge, alors correspondant en Amérique du prestigieux journal anglais The Guardian, a choisi une date au hasard et a enquêté sur les dix enfants tués le 23 novembre 2013. Pour rendre à leur mort le poids d’une existence rayée, il les a rendus à la vie le temps d’un chapitre dans son formidable livre Une journée dans la mort de l’Amérique (Grasset). Il a rencontré les reporters du coin, les proches, les policiers… Il a raconté l’accumulation d’absurdités ou de folies qui ont mené au massacre ordinaire de ces innocents. Quand ça dérape dans un pays surarmé (300 millions d’armes), les risques encourus sont évidemment létaux.
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Écrit avec un art de romancier, le livre est aussi un travail de journaliste qui relie les drames particuliers aux vérités générales et réfléchit à leurs explications. Et Younge n’a guère d’espoir. Après les 58 morts de Las Vegas, Trump n’a pas fait une seule allusion à une limitation de la détention d’armes. Mais même en 2012 sous Obama, la tuerie dans l’école primaire de Sandy Hook n’a rien changé, malgré ses 20 enfants blancs assassinés. On précise “blancs” car cela fait toujours une différence en Amérique. Mais la pauvreté, la couleur de peau ou même le puissant lobby pro-armes (la National Rifle Association) ne sont pas seuls en cause. Toute l’Amérique, y compris des parents de victimes, continue à tenir à ce 2e amendement de la Constitution qui permet de porter une arme parce qu’il incarne une vieille mythologie d’individualisme, de libertarisme, d’autodéfense et de virilité. Comme les petites victimes d’accidents de circulation ne re-mettent pas en cause la voiture, les enfants abattus suscitent l’émoi, mais pas de nouvelles lois.