

Il y a toujours une goutte qui fait déborder le vase du ras-le-bol. Dans le cas de Weinstein, il s'agissait du témoignage de Rose McGowan. En ce qui concerne les YouTubers, il pourrait s'agir de la vidéo de Logan Paul. Prêts à tout pour générer des vues, certains «influencers» n'hésitent pas à écraser les valeurs morales d'un bon coup de talon. Et dans ce registre, l'américain Logan Paul vient de franchir une nouvelle étape. Mais avant d'y venir, commençons d'abord par nous familiariser avec le personnage: suivi par plus de 15 millions de fans, le jeune homme de 22 ans originaire de l'état d'Ohio s'est fait connaître sur les réseaux en publiant des vidéos plutôt marrantes sur Vine. Il se diversifie en 2016 en proposant des vlogs (blog qui utilise la vidéo pour publier ses contenus) sur YouTube, dans lesquels il relève des défis et fait vivre ses journées à ses abonnés. Ces derniers sont majoritairement des ados ou des jeunes vingtenaires -des «tweens» comme on dit aux USA- pour la contraction de teens et de twenty. Des défis qui ne sont pas toujours de bon goût, mais qui sont majoritairement bon enfant.
Mais ça, c'était avant le 31 décembre 2017. C'est la date qu'a choisi Logan Paul pour publier son dernier vlog, une vidéo dans laquelle on le voit se promener à Aokigahara, au Japon. Le but de sa visite? Présenter la «forêt des suicides» à ses abonnés, où 247 personnes se sont donné la mort sur la seule année 2010. Cette destination doit sa popularité à l'auteur Wataru Tsurumi, qui a rédigé le controversé The Complete Manual of Suicide en 1993, dans lequel il conseille Aokigahara comme «l'endroit parfait pour se suicider». L'idée d'aller s'y perdre est un peu glauque, mais passe encore. Seulement voilà, après quelques centaines de mètres, l'équipe tombe sur le cadavre d'un homme, qui comme des centaines d'autres avant lui, s'est pendu à un arbre de cette forêt tristement réputée. Et c'est là que l'histoire dérape: au lieu de rebrousser chemin, Logan Paul semble ravi de la découverte, décide de le filmer et de poster le tout sur YouTube. Déstabilisant. C'est le premier mot qui vient à l'esprit quand on observe l'air enchanté des protagonistes de la vidéo quand ils comprennent qu'ils sont face à un homme mort. Pour eux, la dépouille est complètement déshumanisée, elle n'est qu'une source de clic intarissable. Ils ont découvert un trésor, un «contenu viral».
Pour eux, la dépouille est complètement déshumanisée, elle n'est qu'une source de clic intarissable. Ils ont découvert un trésor, un «contenu viral».
En moins d'un jour, le vlog sera visionné plus de 6,5 millions de fois. Évidemment, malgré ses précautions - indiquer les numéros de prévention anti-suicide, flouter le visage du mort et alerter les spectateurs qu'il s'agissait d'un contenu déplacé- les réactions choquées des internautes ne se sont pas fait attendre. Logan Paul a été littéralement submergé par les critiques de ses pairs YouTubers, de certaines stars comme Sophie Turner de Game of Thrones, mais aussi de ses abonnés. Il a donc immédiatement retiré la vidéo et présenté ses plus plates excuses, précisant «qu'il ne s'attendait pas à être excusé. Mon but a toujours été de divertir les gens avec mes contenus, de repousser les frontières, d'inclure tout le monde,...» Sauf qu'à trop vouloir, il a dérapé. Dans la vidéo originale, il déclarait guilleret «Je pense que cela marque un moment dans l'histoire de YouTube.» Il n'était pas loin de la vérité, mais pour les mauvaises raisons.
Au-delà du cas précis de Logan, comment expliquer que la plate-forme YouTube ait toléré la publication d'une telle vidéo? Pourquoi les outils de censure n'ont-ils pas automatiquement interdit un vlog dans lequel on observe un cadavre, qui malgré son visage flouté, dévoile des mains bleues glaçantes? Un contenu extrêmement perturbant qui peut causer beaucoup de dégâts. YouTube, dont le modèle économique dépend quasiment exclusivement de personnes comme Logan Paul, est également à blâmer. La plateforme prend 45% des recettes publicitaires générées par les «influencers». Selon SocialBlade, Paul pourrait ainsi rapporter 14 millions de dollars par an. Elle a donc tout à gagner à ce qu'une vidéo soit virale... Quitte à outrepasser certaines valeurs morales pourtant essentielles. Pour seule réponse à ce scandale, la plate-forme a publié un communiqué, expliquant «Nos pensées vont à la famille de la personne qui apparaît dans la vidéo. YouTube interdit les contenus violents ou sanglants publiés de manière choquante, sensationnelle ou irrespectueuse. Si une vidéo est graphique, elle ne peut rester sur le site que si elle est soutenue par des informations pédagogiques ou documentaires appropriées et, dans certains cas, elle sera obsolète.»