
50 nuances de consentement

Tous des porcs, les hommes? Toutes des victimes, les femmes? L’anthropologue féministe Françoise Héritier, qui vient de nous quitter, avait fait de l’idée d’un prétendu désir irrépressible masculin le combat de sa vie. Elle dénonçait ce soidisant désir débordant et conquérant pourtant devenu le nerf de la guerre des sexes, les féministes dénonçant une culture du viol dans laquelle nous baignons. Françoise Héritier a disparu au moment où déferlait une vague de révélations détaillant la fesse cachée de Hollywood, puis celle de notre réalité sexuée en général. La séduction devient une opération sous haute surveillance de la bien-pensance. Certes, cet assaut de vérité était nécessaire: on a fermé les yeux pendant des années sur cette violence gravissime que sont les viols, et 10 % d’entre eux seulement arrivent en justice.
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Mais aujourd’hui, on met sur le même pied un sifflement dans la rue et un viol. La clé pour évoluer vers une forme de maturité, c’est le consentement. Mais il s’agit là d’un équilibre fragile, précaire, reconnaît d’emblée Valérie Lootvoet, directrice de l’Université des femmes. Sur la notion de consentement, on n’est pas très loin ni en Belgique ni nulle part ailleurs. “Le consentement, c’est une forme d’accord qui inclut une demande”, définit Valérie Lootvoet. Or, développe-t-elle, du baiser volé à la prostitution, on baigne dans une société qui estime que les hommes doivent avoir accès au corps des femmes au nom de pulsions prétendues que les hommes devraient assouvir à tout prix. “La relation homme-femme n’est pas symétrique. Ils et elles ne sont pas socialement égaux. Les femmes sont priées de répondre à des attentes physiques avant tout. Les hommes, d’être forts.”
“Le consentement, c’est donner un accord clair et ferme à quelqu’un de telle sorte que ce dernier le comprenne”, renchérit Chris Paulis, anthropologue à l’ULg. Pour cela, il faut le même langage. Un silence, ce n’est pas adéquat. L’un comprendra le dicton “Qui ne dit mot consent”. L’autre se taira parce qu’elle se sent tétanisée, paralysée par la situation. Globalement, les codes de base de respect entre partenaires de rencontre sont altérés par des croyances. Des idées “bizarres” sont véhiculées, du genre “Une femme qui dit non, c’est oui”.
Tu veux ou tu veux pas?
La séduction ou la drague n’ont jamais été simples. Cela devient très compliqué dans une situation de méfiance extrême. “C’est très compliqué d’être un homme sur ces questions. Le présupposé machiste annule les réflexions et nuances qu’on peut apporter. Le débat s’est complètement polarisé et il n’y a plus qu’un seul son de cloche chez les féministes”, estime un expert homme qui préfère rester anonyme. “Tout ceci est pourtant beaucoup plus subtil que de dire simplement que les jeunes considèrent toutes les femmes comme des morceaux de viande.”
L’Europe et la Belgique prennent le chemin nord-américain. Depuis des années, au Canada ou aux États-Unis, des hommes se sentent obligés de faire signer un papier de consentement avant d’oser un baiser. Le baisemain, accompagner le coude d’une femme qui monte dans un ascenseur, ces gestes de la politesse de la fin du XIXe siècle sont devenus dangereux là-bas. “Cette méfiance rend absurdes tous les systèmes de séduction. Or, la séduction, c’est attirer à soi, se montrer sous son meilleur jour, se rendre unique aux yeux de l’autre. Si on doit toujours demander, plus personne ne pourra même se toucher par amitié. On est en train de faire exploser les choses dans tous les sens”,dénonce Chris Paulis qui en appelle au bon sens.
Le bon sens? Si on considère qu’il y a consentement à partir du moment où il n’y a pas de refus, cela ne correspond pas pour autant à ce qui se vit dans l’existence de tous les jours. Il s’agit aujourd’hui de comprendre que ce n’est pas parce qu’une femme laisse entrer un homme chez elle et l’embrasse qu’elle a envie de faire l’amour. Ce n’est pas parce qu’une femme a dit oui une fois qu’elle a envie une deuxième ou troisième fois. Or, bien des hommes considéreront que c’est acquis. “Ce n’est pas le bon modèle de rapports amoureux que de dire si elle ne dit pas “non”, c’est “oui”. En même temps on ne voudrait pas accuser n’importe quel homme de viol après un rapport pour lequel il n’y a pas eu de “oui” explicite et affirmé”, admet Manon Garcia, chercheuse à l’université Harvard et philosophe française qui a consacré sa thèse au consentement.
On nage en plein paradoxe
Des études montrent que le coût d’un non à un rapport sexuel peut être très élevé pour une femme. La fille a peur de refuser, de mettre l’homme dehors, de provoquer sa colère. “Évidemment une femme qui a dit “oui” pour être gentille, ce n’est pas du viol au même titre qu’une femme qui s’est opposée clairement”, signale Manon Garcia. Au-delà, le vrai drame est que l’homme a été éduqué à penser qu’une fille qui dit “non” ou pas vraiment “oui” veut en fait dire “oui”. C’est ce qui est véhiculé dans les films, d’Indiana Jones à James Bond en passant par la princesse Leia dans Star Wars. Les filles, elles aiment bien être bousculées, un peu violentées, et après elles tombent amoureuses. Et cette croyance n’est pas l’apanage des hommes. En pleine affaire Weinstein, on passe à la télévision 50 nuances de Grey, carton auprès des femmes, qui montre qu’elles aiment un peu de domination. “On nage en plein paradoxe. C’est gênant”, conclut Chris Paulis. Un peu de violence, mais par jeu, alors? Comment faire quand on ne capte plus de signaux clairs?