
La blockchain, c'est quoi ?

"Nous pouvons désormais imaginer un monde dans lequel les films ne seraient plus piratés”. Plutôt gonflée, la punchline est signée Jeremy Culver. Mais quel mouche a piqué ce producteur hollywoodien ? En pleine promo, celui qui est également réalisateur et scénariste s’apprête à sortir en juin No Postage Necessary, le premier film distribué via la blockchain. La quoi ? Nouveau buzzword dans le monde high-tech, la blockchain (“chaîne de blocs”) est une technologie qui permet de stocker et transmettre des informations de manière transparente, sécurisée et sans organe central de contrôle. Un peu comme ces réseaux “peer to peer” utilisés pour pirater les productions audiovisuelles mais dans lesquels tous les échanges seraient consignés, scellés dans un registre.
La blockchain, c’est donc une sorte de grande base de données qui contient l’historique de tous les échanges réalisés entre ses utilisateurs. À priori, rien de bien révolutionnaire. Sauf que la grande particularité de la blockchain est son architecture décentralisée. Cette base de données n’est donc pas hébergée par un serveur unique, une personne ou une entreprise, mais bien par ses utilisateurs. Un solide blindage contre les pirates puisque si l’un de ces serveurs s’arrête de fonctionner, tous les autres continuent à stocker ce fameux registre. De même, personne ne peut modifier les données contenues dans un bloc (une transaction financière, par exemple) sans être immédiatement repéré.
Au diable donc, aussi, les intermédiaires puisque chaque utilisateur est désormais en mesure de vérifier lui-même la validité de la chaîne, de la base de données. Prenons l’exemple concret du bitcoin, l’application blockchain la plus connue du grand public. Chaque transaction financière est scellée dans un bloc et chaque bloc est validé par ses utilisateurs. Voilà donc une monnaie accessible à tous mais qui n’appartient à aucun pays, aucun gouvernement et aucune banque. Mais la blockchain ne se résume pas aux cryptomonnaies et entend bien révolutionner de nombreux autres secteurs.
Une 4e révolution industrielle
Sortir un film via une plateforme sécurisée blockchain n’a d’ailleurs pas pour seul avantage de lutter contre le piratage. Cela permet également de court-circuiter les intermédiaires et de rémunérer directement le producteur ou le réalisateur. Même logique en ce qui concerne l’industrie du disque. Aujourd’hui, si un artiste souhaite vendre son album sur un site de streaming musical, par exemple, il doit payer à ce dernier une commission de 20 à 30 %. Tandis que sa rémunération à lui interviendra en bout de chaîne lorsque tous les intermédiaires auront été payés. Avec la technologie blockchain, en revanche, il serait rémunéré automatiquement et en temps réel dès qu’un de ses titres est consommé. Une révolution qui vise donc potentiellement tous les secteurs où l’on s’échange de la valeur.
Axa propose ainsi une assurance automatisée pour les retards de vol d’avion. Basée sur la blockchain Ethereum, cette couverture est en réalité un “smart contract”, un contrat intelligent qui déclenche un remboursement automatique une fois que le retard a été constaté. Génial. Et ce n’est qu’un aperçu. Le secteur bancaire et celui de l’assurance étant bien entendu les premiers terrains convoités par cette technologie révolutionnaire. De concert avec le Programme alimentaire mondial (PAM), la Belgique va d’ailleurs investir dans la blockchain pour la distribution d’argent liquide dans les camps de réfugiés syriens de Jordanie. Grâce à cette technologie, les transferts seront plus sécurisés, transparents et meilleur marché.
Testé à Lyon pour s’échanger de l’électricité entre particuliers, ce réseau 2.0 débarque également dans la grande distribution. Le géant Carrefour vient en effet d’annoncer la création de la première blockchain alimentaire en Europe. Concrètement ? Grâce à ce registre sécurisé et transparent, la marque compte offrir une traçabilité complète des produits commercialisés. Via un QR Code présent sur l’étiquette, le consommateur pourra ainsi visualiser sur son smartphone le parcours de l’animal jusqu’au rayon de son magasin : lieu et mode d’élevage, alimentation reçue (nourri aux céréales, sans OGM…), absence de traitement antibiotique, lieu d’abattage, etc. L’Europe surfe également sur la vague. Le 10 avril dernier, 22 pays ont signé une déclaration sur la création d’un partenariat européen de la blockchain. Lequel servira de véhicule de coopération entre les États membres pour échanger leurs expériences et leur expertise dans les domaines techniques et réglementaires, et préparer le lancement d’applications blockchain à l’échelle européenne dans le marché unique numérique.
Un système de confiance décentralisé
“La blockchain est un nouveau monde où l’on pourrait s’auto-organiser grâce à la technologie et en se passant des intermédiaires dans lesquels on n’aurait plus confiance”, plaide Claire Balva, CEO de la société de consulting Blockchain Partner, dans ses conférences TEDx. Un clin d’œil aux banquiers, mais aussi à de nombreux autres intermédiaires. Appliquée au domaine foncier par exemple, ce qui est déjà le cas en Afrique, cette base de données d’un nouveau genre signerait par la même occasion l’arrêt de mort des notaires. Claire Balva tempère: “On aura toujours besoin d’intermédiaires et ceux qui disparaîtront seront recréés ailleurs. C’est la même chose avec le bitcoin. On ne passe plus par une banque mais on passe par une plateforme de change”.
Un jeu de chaises musicales qui ne risque pourtant pas de faire marrer nombre d’acteurs historiques. À commencer par ceux qui se nourrissent de nos données personnelles. Ce système d’échange ultra-transparent est en effet le candidat idéal pour rétrocéder aux utilisateurs le contrôle de leurs données. “La blockchain n’est pas la solution à tous nos problèmes, mais c’est un moyen de changer radicalement nos organisations et notre société. Reste à savoir ce qu’on veut vraiment en faire…” Une chose est sûre, cette nouvelle technologie offre pour la première fois depuis des millénaires l’opportunité d’avoir un système de confiance décentralisé, sans aucun intermédiaire. Certains y voient même le contrat social de la 4e révolution industrielle. C’est dire si la blockchain ne se résume pas à une vulgaire suite d’algorithmes.