Le militantisme online a-t-il un réel impact ?

S’engager pour la planète depuis son lit est devenu possible avec la profusion de plateformes de pétitions en ligne.

Avaaz est parvenue à convaincre l'Europe de bannir trois pesticides. ©Isopix

Sauver une réserve naturelle brésilienne, stopper l’abattage des bouquetins en Haute-Savoie et protéger le peuple indien Kichwa de Sarayaku en Amazonie équatorienne. Si vous disposez d’une boîte mail, d’un compte Facebook ou d’un profil Twitter, vous avez sûrement déjà vu passer ce genre de pétition vous assurant que “cela ne prendra que quelques minutes de votre temps”. Curieux et ayant le cœur sur la main, vous inscrivez votre nom, prénom et code postal. Quelques clics plus tard, vous venez de sauver le monde depuis votre canapé, et vous pouvez retourner scroller votre feed Instagram avec le sentiment du citoyen accompli. Depuis leurs montagnes, vous entendez presque les bouquetins de Bargy vous dire merci. 

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Dans le jargon, on appelle cela le “slacktivisme”, une forme de militantisme de canapé, mais qui a parfois un impact sur le monde réel. Représentant flagrant de ce militantisme en ligne, le mouvement Avaaz (“la voix” dans plusieurs langues) se targue de compter plus de 47 millions de membres dans 195 pays du monde. Son équipe opérationnelle se compose d’environ 100 personnes réparties dans 18 villes sur cinq continents différents. Les réunions d’Avaaz se font alors de manière virtuelle, via Skype ou Zoom. “Une façon très efficace de travailler” pour Alice Jay, responsable de campagnes du mouvement. Elle en dénombre actuellement une vingtaine. “Un peu plus si l’on compte les campagnes nationales”

Nous ne menons aucune action sans avoir consulté la communauté

Les missions d’Avaaz se déclinent en fait en deux parties distinctes: les campagnes initiées par le staff sur base de sondages envoyés à tous les membres, et les pétitions lancées par n’importe quel membre Avaaz dont les ambitions vont du local au global. Depuis sa naissance en 2007, le groupe a recensé plus de 373 millions d’actions individuelles. Sa force? Fédérer rapidement un grand nombre de citoyens autour de chaque campagne. “Nous ne menons aucune action sans avoir consulté la communauté”, assure Alice Jay. Et les centres d’intérêt de ladite communauté changent constamment: “Une année, il s’agira des femmes, une autre ce sera le bien-être animal, l’absence de produits chimiques dans la nourriture ou encore la guerre en Syrie et l’aide aux réfugiés”.

Cet activisme mondial dont les racines jaillissent de la toile semble fonctionner. Tout récemment, Avaaz a joué un rôle primordial dans l’interdiction à l’échelle européenne de trois pesticides néonicotinoïdes, accusés de tuer les abeilles. Un combat de deux ans qui a mobilisé de nombreuses personnes sur le terrain. “Nous avons lancé une pétition signée par plus de 2,6 millions d’individus, nous sommes intervenus à la réunion des actionnaires du géant des pesticides Bayer, nous avons financé des sondages, fait campagne en Allemagne et en Espagne et organisé des marches partout en Europe avec des apiculteurs”, annonce fièrement le mouvement. Le 27 avril dernier, réunis suite à l’appel d’Avaaz au rond-point Schuman, une cinquantaine de manifestants demandaient aux experts des États membres de voter pour une interdiction totale de ces pesticides. Malgré une abstention de la Belgique, la décision de bannir ces produits a été proclamée. Mais Avaaz est loin de se contenter de cette victoire, et continue aujourd’hui la lutte au-delà de l’Europe.

Touche pas à mon post

Il ne suffit donc pas d’apposer son nom à un texte en ligne pour que les choses changent. Les actions physiques restent primordiales. “Les gens réalisent qu’il ne s’agit pas de juste signer une pétition. Pour nos membres, la pétition est la première étape. Ensuite, il y a toute une série d’actions à mener”, nous explique Alice Jay qui se réjouit du dernier investissement du groupe: l’achat d’une forêt ombrophile en Indonésie en vue de la protéger. Entièrement financé par ses membres, Avaaz aurait les moyens de ses ambitions. Autrefois en partie subventionné par le controversé milliardaire George Soros (notamment cité en 2017 dans l’affaire des Panama Papers), Avaaz n’accepte plus aucun don provenant de fondations ou de sociétés depuis 2009 et refuse toute donation de plus de 5.000 dollars. Dans un esprit de transparence, ses comptes sont publiés sur son site internet. “Nos boss sont nos membres. Aucune institution et aucun millionnaire ne peuvent nous dicter quoi faire”.

Si tout semble idéal sur le papier, Avaaz est cependant la cible de nombreuses critiques et ses résultats sont souvent mis en doute. Quand le groupe assure avoir sauvé les éléphants du braconnage, d’autres réclament des preuves concrètes. On reproche aussi au mouvement d’être directement influencé par ses fondateurs dans le choix des campagnes dû à la grande proximité de ces derniers avec le Parti démocrate américain. Parmi ceux-ci, on trouve Tom Perriello, un politicien catholique américain, connu pour ses positions antiavortement et défenseur de la guerre contre le terrorisme et du port d’arme aux États-Unis. Sur ce dernier point, l’homme aurait récemment fait marche arrière, mais ses (anciennes) convictions viennent ternir l’image d’un mouvement qui se réclame humaniste et pacifique.

En Belgique, la plateforme fédère 857 072 membres. En mars dernier, la pétition “Maggie De Block: touche pas à mon dépistage” contre la décision de la ministre de la Santé de limiter le remboursement du dépistage du cancer du sein était lancée sur Avaaz par Caroline Cannoot. Elle rassemble à ce jour 38.585 signatures. Pour la créatrice de cette pétition, l’impact a été réel: “En 24 heures, nous avons eu 10.000 signatures, après 48 heures, on était à 25.000 ! Des journalistes m’ont contacté et des partis politiques ont interpellé la ministre.” Maggie De Block s’est alors vue contrainte de suspendre cet arrêté “polémique”. “Nous avons gagné quelques mois, mais au moins le débat est ouvert”. Pour elle, Avaaz est une plateforme bien conçue: “C’est parfait pour mettre des gens au courant de ce qui se décide sans qu’ils soient au courant”. Et si certaines zones d’ombre entourent encore le groupe, comme d’autres plateformes de militantisme en ligne, il permet de redonner un sentiment de citoyenneté à ceux qui se sentent inutiles face aux monstruosités et catastrophes mondiales que chaque militant (en ligne ou non) aimerait éradiquer.

Success stories

Malgré les critiques, de nombreux observateurs reconnaissent l’importance d’Avaaz sur la scène mondiale.

Sa victoire sur les néonicotinoïdes en est la dernière preuve tangible. Un récent mail à ses membres énumère “tout ce qu’Avaaz a fait avec nos dons”. Du financement d’une réserve naturelle à destination de la communauté Massaï à celui d’un réseau offrant des hébergements sécurisés et de l’aide aux personnes homosexuelles en Tchétchénie. Pour Jean-Luc Manise, directeur de la transformation digitale au CESEP (Centre Socialiste d’Éducation Permanente), la démarche d’Avaaz est efficace. “Toutes ces actions cumulées font bouger les choses. C’est vraiment là dedans qu’il faut investir. Les citoyens comprennent qu’ils n’ont pas à être objets, mais bien sujets des réseaux. L’activisme en ligne permet de démultiplier les missions sur le terrain“. Internet devient alors un outil favorisant et accélérant les communications. 

“Mais ça reste un outil. Les dispositifs, les motivations, la gestion des actions restent aux mains de groupes qui sont directement concernés par le sujet”. Cliquer et twitter, oui. Mais se bouger avec les acteurs de terrain aussi. La vigilance est également de mise. “Il est important de contrôler les sources et de voir qui est en amont de l’info. Le problème dans le monde numérique et avec ces plateformes, c’est qu’il y aura toujours des dérives populistes, voire pire. On peut y lire des informations complètement intolérables et qui sont publiées au nom de la liberté d’expression. Sur les platesformes comme Avaaz, on peut donc aussi bien trouver des pétitions horribles qu’enthousiasmantes”. Alice Jay nous assure cependant qu’aucune pétition à caractère “raciste, sexiste, ou prônant la violence” n’est acceptée sur le site.

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