
Pourquoi fête-t-on son anniversaire?

La fête d’anniversaire est récente et a mis deux mille ans avant de s’imposer à nous comme un rituel inéluctable. Longtemps, les humains ont célébré exclusivement la mort. Pour un tas de raisons que l’historien Jean-Claude Schmitt détaille dans le premier ouvrage consacré à cette puissante question, celle de la fête d’anniversaire. Durant des siècles la date de naissance aura été ignorée au profit de celle de la mort qui donnait lieu, chaque année, à des prières en mémoire du défunt, prodiguées par des moines commis à cette joyeuse fonction. Le jour du dernier souffle est alors considéré comme celui de la véritable naissance, celle vers l’au-delà.
La lecture de votre article continue ci-dessous
Dans l’occident chrétien, la fête de naissance sent le paganisme des empereurs romains qui “avaient érigé la commémoration annuelle de leur naissance en une fête religieuse obligatoire". Avec persécution de chrétiens en guise d’animation. Et puis, longtemps, on n’avait aucune idée de l’année, et encore moins du jour, de sa venue au monde. “Pour se préoccuper de l’anniversaire, il faut aussi avoir les capacités intellectuelles et matérielles de compter les années écoulées”, écrit Jean-Claude Schmitt. Ce ne fut longtemps pas le cas.
Le premier instragrameur de tous les temps
Un hurluberlu à la Renaissance a cependant marqué de sa patte et de sa cape l’histoire de la date de naissance. Il s’appelait Matthäus Schwarz et a reconstitué à partir de son 23eme anniversaire, par le texte, par l’image et par ses tenues vestimentaires, toute son existence au fil des ans. Le premier intragramer mode de toute l’histoire en quelque sorte.
Ensuite, au XIVeme siècle, les rois de France ont commencé à se soucier du jour, et de l’heure, de leur naissance à des fins astrologiques. Il s’agissait de prédire les grands destins même si des petits caprices étaient tolérés le jour plus ou moins béni de l’anniversaire pour les petits princes. Comme Louis XIII qui, à 4 ans, est conduit à la messe afin d’entendre un Te Deum en son honneur. En attendant, les horoscopes ont beaucoup fait pour que la naissance devienne ce jour sacré dans nos petites existences.
Le signe de sa popularité. Ou pas.
Mais pour qu’on en arrive aux compliments (démultipliés depuis l’existence de Facebook), friandises, bougies, cadeaux et chansonnettes, il faudra attendre le XIXe siècle du côté des bourgeois et le XXe siècle pour les milieux populaires. Il faut attendre 1893 pour que la mélodie du tube interplanétaire, et sublimé par Marilyn Monroe qui le chanté pour Mister President, “Happy Birthday to You” soit inventée. Et 1923 pour que les paroles suivent. L’anniversaire devient enfin le rituel festif actuel. Ironie, il pique tout à l’Église qui a tant fait pour le démolir. “L’anniversaire a déplacé les rites liturgiques vers la sphère familiale, explique Jean-Claude Schmitt. On se réunit, on allume des bougies, on chante…”
C’est à partir d’ici que la date de naissance devient ce graal sacré que le petit de l’homme se doit de connaître dès son plus jeune âge. L’anniversaire, et la fête qu’on lui consacre, devient un marqueur social et le signe de sa popularité. Ou inversement: les déconfits qui ont été oubliés de tous ce jour-là en savent quelque chose. C’est aussi la première socialisation d’un enfant. Les parents, tannés d’organiser un goûter avec clown, magicien et force de bonbons dès que leur rejeton est haut comme trois pommes en savent quelque chose.
“L’invention de l’anniversaire”, Jean-Claude Schmitt, Ed Arkhê.