
Pourquoi le meurtre d’Eurydice Dixon agite l’Australie

Mardi dernier, après avoir fait rire la foule à l’Highlander, un bar de la ville de Melbourne, l’humoriste Eurydice Dixon rentrait chez elle en passant par le parc Princes, au nord de la ville. "Je suis presque à la maison", a-t-elle envoyé à l’un de ses amis par SMS. Á 3 heures du matin, le corps de la jeune femme est retrouvé dans la pelouse du terrain de foot du parc. La jeune femme de 22 ans a été violée et assassinée.
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Très vite, de nombreuses fleurs et mots d’hommages sont déposés à l’endroit où le corps de la jeune femme a été retrouvé. Mais très vite aussi, la police s’est empressée de faire une déclaration qui n’a pas plu à tout le monde. Vendredi, le commissaire David Clayton a déclaré aux journalistes que parce que le parc était une zone de "forte activité communautaire", les femmes devaient se rendre compte de qui peut s’y trouver. "Assurez-vous que vous êtes conscientes de la situation et de votre environnement. Si vous avez un téléphone portable, prenez-le avec vous, et si vous avez la moindre inquiétude, appelez la police", a-t-il déclaré. Une annonce que beaucoup de femmes n’ont pas appréciées, accusant l’homme de blâmer "encore une fois" la victime plutôt que le meurtrier, une réaction typique après l’agression ou l’assassinat d’une femme.
Tout de suite, de nombreuses personnes se sont exprimées sur les réseaux sociaux, à commencer par le Premier ministre du Victoria lui-même, David Andrews. "Elle avait un téléphone. Elle l’utilisait. Elle faisait attention à ce qui l’entourait et à elle-même. Elle était responsable. Elle a fait tout ce qu’on attendait d’elle". L’homme politique combat depuis quatre ans l’idée reçue selon laquelle une femme est responsable de son agression.
Meshel Laurie, grande personnalité des médias en Australie, s’est-elle aussi indignée sur Twitter : "Quand j’étais moi aussi une humoriste de 22 ans, je rentrais toujours à pied, seule, chez moi au milieu de la nuit, car je ne pouvais pas me payer un billet de tram, ni un taxi. Doit-on autoriser les criminels violeurs et la pauvreté à nous enfermer chez nous pour toujours ?", se demande-t-elle.
When I was a 22 year old comedian, I constantly walked home alone from gigs in the middle of the night because I couldn't afford tram fare, let alone taxis. Should we allow murderous rapists and poverty to ensure we're locked inside for our entire lives? https://t.co/d7dKoafCKt
— Meshel Laurie (@Meshel_Laurie) 14 juin 2018
Interviewé par The Guardian, le directeur de l’ONG Our Watch pour la prévention de la violence contre les femmes, a déclaré que quelles que soient les circonstances dans lesquelles les femmes étaient tuées, ce type de message de la part de la police encourageant les femmes à être "plus vigilantes" était décevant et problématique. "Ces recommandations qui ne semblent s’appliquer qu’aux femmes sont un symptôme évident d’une société où règne l’inégalité entre les sexes", a déclaré Patty Kinnersly. "Les femmes sont déjà prudentes. Dire aux femmes de se comporter avec plus de prudence ne réduira pas la violence à leur encontre, mais va plutôt limiter leur liberté et renforcer la conviction que toute forme de violence à leur égard, c’est de leur faute".
Téléphone allumé et prêt à l’emploi, clés en main, aérosol anti-agression, évitement de certaines rues et choix "stratégique" de vêtements ; les femmes prennent déjà de nombreuses dispositions, parfois même inconsciemment, pour éviter une mauvaise rencontre dans la rue. Pourtant, en moyenne, environ huit femmes sur dix sont victimes de harcèlement sexuel dans l'espace public. En Belgique, en 2017, 38 femmes ont été tuées juste parce qu’elles étaient des femmes.
Au contraire de tous ceux qui s’insurgent contre la déclaration de David Clayton, la rédactrice en chef adjointe du Daily Telegraph Claire Harvey lui donne raison dans un long article d’opinion. "La police ne blâme pas Eurydice, elle essaie d’empêcher que la même chose arrive à une autre femme ce soir. Ce n’est pas sexiste ou froid de suggérer qu'il y a une leçon à tirer de la mort d'Eurydice. Il s’agit juste d’observer le monde dans lequel on vit tel qu’il est et d’essayer de rester en vie".
Moins de 24 heures après le meurtre, un jeune homme de 19 ans prénommé Jaymes Todd s’est rendu à la police et est, depuis, accusé du meurtre de la jeune femme. Lundi soir, un rassemblement a eu lieu pour rendre hommage à une humoriste partie beaucoup trop tôt dans des circonstances tragiques.
Ce drame montre une fois de plus la violence extrême exercée à l'encontre des femmes. Mais plutôt que de se barricader chez soi, elles sont encouragées par David Andrews à mener leur vie "comme elles l'entendent, selon leurs propres conditions". Car, comme le rappelle (à juste titre) le Premier ministre "les femmes ne doivent pas changer leurs comportements. Les hommes doivent".