Quand l’école s’adapte enfin aux élèves

Les élèves souffrant de troubles de l’apprentissage étaient relégués dans l’enseignement spécial. Désormais, les établissements devront les accueillir et prévoir des aménagements.

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Àl’âge de 5 ans et demi, mon fils m’a dit qu’il voulait se tuer, que l’école n’était pas pour lui et qu’il n’y serait jamais bien. En fait, il avait des troubles de l’attention et était aussi un enfant à haut potentiel. Aujourd’hui, Romain a 14 ans et cela se passe super bien. Il a même reçu en juin dernier le prix du mérite!”, s’exclame Sophie, une mère de famille de 46 ans. “J’ai deux fils qui ont des troubles de l’apprentissage: Maxime qui a 20 ans est dyslexique et Nathan qui a 13 ans est dyspraxique. Pour l’aîné, on n’a pas pu mettre autant de choses en place qu’on le voulait car les mentalités n’étaient pas les mêmes que maintenant. Il a quand même pu utiliser un ordinateur en classe. Sans ça, il ne réussissait pas! ”, souligne Anne-Françoise,  47 ans. “Je ne sais pas écrire comme tout le monde et je n’aurais pas pu relire mes notes si j’écrivais à la main. Sans ma tablette, je n’aurais pas réussi mes primaires!”, confirme Nathan.

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Romain, Maxime et Nathan sont tous les trois des enfants dits “à besoins spécifiques”. Une expression qui recouvre en fait une multitude de réalités: troubles de l’attention, hyperactivité, haut potentiel, autisme Asperger, sensibilité à fleur de peau, troubles de la lecture, voire handicaps physiques. Avec toujours cette conséquence: l’impossibilité de suivre correctement sa scolarité sans la mise en place de l’un ou l’autre petit aménagement. Une craie de couleur jaune au lieu d’une blanche, des documents écrits en plus grand ou dans une autre police, un peu plus de temps pour son examen ou encore le recours à une tablette... Autant d’adaptations qui font la différence. Une chance dont ont bénéficié ces trois élèves, mais que d’autres ne connaissent pas. Pire: au lieu d’aider des enfants et de s’adapter, certaines écoles préfèrent les pousser vers l’enseignement spécialisé.

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Entre 2006 et 2016, la population scolaire a ainsi augmenté de 20 % dans l’enseignement spécialisé. Une hausse impressionnante qui ne s’explique pas uniquement par le boom démographique. “C’est proprement sidérant. Cela voudrait dire qu’on a eu     20 % d’élèves handicapés en plus en Belgique? Il y a quand même quelque chose à faire! Quand un élève est un peu en difficulté, hop, l’école l’envoie dans l’enseignement spécialisé”, s’insurge Joseph Thonon, le patron de la CGSP-enseignement. “Il y a énormément de parents qui s’entendaient dire l’an passé encore que ça n’était pas possible, qu’il fallait aller voir ailleurs. On sait aussi que les enfants issus de milieux défavorisés sont proportionnellement surreprésentés dans l’enseignement spécialisé. Ce n’est pas un hasard. Les parents n’ont pas toujours le temps ou ont parfois d’autres priorités que d’aller voir un logopède”, poursuit Véronique de Thier, de la Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel (FAPEO).

Des situations problématiques et pourtant évitables auxquelles la Fédération Wallonie-Bruxelles souhaite mettre fin dès cette rentrée scolaire grâce à l’entrée en vigueur d’un décret obligeant les écoles fondamentales et secondaires à faire des efforts. Avec deux conditions néanmoins: les parents devront être capables de présenter un avis médical attestant de l’existence d’un trouble de l’apprentissage et les  aménagements devront être raisonnables. Leur mise en œuvre ne doit donc pas rendre la vie impossible à l’équipe pédagogique ou représenter un coût trop élevé. En cas de refus de coopérer de la part de l’école, les parents pourront se tourner vers une commission des recours.

Des profs motivés

Cela va permettre à l’enseignement spécialisé de s’occuper des élèves qui en ont réellement besoin”, se félicite la députée Mathilde Vandorpe (cdH), qui suit le dossier depuis des années. “C’est une excellente nouvelle!”, s’exclame l’Association belge de parents et professionnels pour les enfants en difficulté d’apprentissage (APEDA). “La société inclusive, on y va!”, se réjouit Patrick Lenaerts, secrétaire général adjoint du SEGEC, le Secrétariat général de l’enseignement catholique. “D’ailleurs, le nombre de profs inscrits cette année à une formation sur les besoins spécifiques n’a jamais été si élevé. On a énormément d’inscriptions pour nos formations.” La nouvelle législation offrira également un petit coup de projecteur aux nombreuses initiatives qui existent déjà sur le terrain. “Cela fait une cinquantaine d’années que notre école attache une attention particulière aux besoins de ses élèves. Ce décret peut mettre en lumière ce travail”, estime Brigitte Garré, directrice d’une école fondamentale bruxelloise.

Le problème du certif médical

Le nouveau décret a le mérite de mettre le doigt sur le problème. Il peut d’ailleurs faire évoluer les mentalités et améliorer la situation dans différentes écoles. Mais ses limites sont déjà connues: absence de budget, charge de travail supplémentaire pour des profs déjà très sollicités, ou encore une mise en place compliquée dans l’enseignement secondaire où une multitude de profs se partagent une même classe. “Et puis il faut parfois aller devant une commission de recours. En général, les parents n’ont pas envie d’aller à la confrontation et préfèrent changer d’école”, observe Véronique de Thier, de la Fapeo.

L’absence d’aménagements raisonnables s’explique aussi souvent par l’ignorance ou le manque de temps des parents. Or, le décret bénéficie aux familles déjà au courant du trouble de l’enfant. “ Le problème avec ce décret, c’est qu’il faut un diagnostic médical. Cela va laisser de côté certains élèves. Pour des tas de parents, la priorité n’est pas d’aller voir un pédopsychiatre, mais de manger ou d’avoir un logement”, ajoute notre directrice d’école. Faut-il voir le verre à moitié vide ou celui à moitié plein? Le Segec a en tout cas tranché. “Quand un texte arrive, on peut voir tous ses défauts. C’est facile et je peux même vous en faire une liste. Mais je pense que des changements sont possibles et que ce texte va dans la bonne direction”.

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