Le succès inquiétant des théories du complot sur Internet

Les théories conspirationnistes ont toujours stimulé notre imaginaire. Mais sur le Web, où ceux qui les diffusent les prennent autant au sérieux que ceux qui les écoutent, leur portée inquiète.

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"Le monde est dominé à notre insu par des extraterrestres mi-hommes, mi-lézards venus manipuler l’espèce humaine. D’ailleurs, Barack Obama, la reine Elizabeth, Madonna et Katy Perry, comme de nombreuses personnalités, sont en réalité des reptiliens déguisés en humains". Ceci n’est pas une info du Gorafi, le site d’infos parodiques, mais une théorie - non moins loufoque - qui rallie à elle des milliers de personnes à travers le monde. Nous la devons à David Icke, ancien journaliste sportif britannique devenu “enquêteur à plein temps sur ceux qui contrôlent vraiment le monde”. En d’autres termes, un complotiste professionnel. Mais il n’est pas le seul à faire part au monde entier de ses idées folles. Aujourd’hui, les théories du complot cartonnent, grâce à Internet qui leur donne une résonance et une ampleur bien différentes.

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Le succès des théories du complot se construit sur les doutes actuels, incarnés par le rejet du monde politique mais aussi du travail des journalistes accusés de travailler “à la solde de l’État”. 

Mais attention à ne pas tout mélanger. “Il y a une grosse confusion derrière propagande, théorie du complot, fake news, intox, rumeurs…, rappelle Yves Collard, expert et formateur en éducation aux médias. La théorie du complot sous-entend l’existence d’un groupe secret qui essaie de transformer le cours du monde ou qui le contrôle, et à qui on attribue tout événement dramatique.” Ce qu’elles ont en commun : l’idée du groupe occulte derrière tout incident. Imaginaire ou existant (gouvernements, services secrets, etc.). Loin d’être un phénomène nouveau, elles font partie de la culture populaire. “Au XIXe siècle, début du XXe, les théories du complot circulaient mais étaient réservées à un cénacle d’initiés et avaient une vertu plutôt idéologique. Aujourd’hui, les théories du complot se propagent toujours. Pas forcément parce qu’elles sont sous-jacentes à une vraie idéologie, mais avant tout parce que ce sont de sacrées bonnes histoires ! L’idée qu’il y a des choses cachées qu’il faut révéler, des coïncidences curieuses, toutes ces théories, à moins qu’elles ne soient sinistres, font fonctionner notre imaginaire, et la plupart du temps, on aime ça parce qu’on est curieux de nature. Le rapport à la fiction est important également. La recette d’un bon film au cinéma est finalement similaire aux ressorts complotistes : le héros découvre et révèle une vérité cachée de tous et doit lutter contre des adversaires qui tentent de la dissimuler.” 

© Belga ImageLe "faux" atterrisage sur la Lune, l'une des théories les plus suivies. © Belga Image

Internet, combien de divisions ?

Sauf qu’à l’ère des réseaux sociaux, ces théories font le buzz et voient leur nombre de vues exploser. Moins amusant et d’autant plus effarant, le succès des théories du complot aujourd’hui se construit également sur les doutes actuels, incarnés par le rejet du monde politique mais aussi du travail des journalistes accusés de travailler “à la solde de l’État”. Les complotistes se proclament alors enquêteurs et mènent leurs propres investigations. “Ils se donnent ainsi une aura de sérieux. Et comme ils n’obéissent pas à la déontologie et ne se soumettent pas aux règles, ils se permettent un travail qui fait davantage “rêver” que celui des journalistes qui ne racontent finalement “que” le réel.” Les vérités proposées sont également plus simplistes, et donc plus faciles à intégrer face à des situations souvent très complexes. 

Le peuple dégoûté des élites et le pouvoir en place source de tous les problèmes. La rengaine est ancienne et archi-connue. “Mais la césure reste plus sociale qu’intellectuelle. La théorie du complot devient un moyen d’exprimer son désaccord face à cette situation sociale.” L’État et le gouvernement sont alors sans cesse accusés d’être la tête pensante derrière les catastrophes. “Quand on expose une théorie du complot, on fait finalement la même chose que les gilets jaunes : se poser en opposition aux politiques et aux journalistes. Alors si les théories se développent beaucoup en ce moment, c’est peut-être parce qu’elles portent en elles un discours de rébellion par rapport à la société actuelle.” 

Barack Obama, "envahisseur reptilien"...

Théories du complot et gilets jaunes n’ont parfois fait qu’un, comme lors de l’attentat à Strasbourg en décembre, que certains avaient qualifié “d’acte du gouvernement français, organisé pour détourner l’attention du mouvement”. Cependant, restons prudents, être à l’origine d’une théorie ou la diffuser ne revient pas forcément à y adhérer. “Même si on n’y croit pas, le fait de la diffuser donne de la consistance à un mouvement. Ça discrédite un adversaire.” 

Nous adhérons tous à un complot sans nous en rendre compte. Débattre des réalités, c’est compliqué, car chacun a ses propres interprétations et croyances. Alors comment démentir, minimiser ou sensibiliser aux théories du complot ? “C’est là tout le travail de l’éducation aux médias. Il ne faut surtout pas travailler sur la question du “vrai” ou du “faux”, car il y aura toujours quelqu’un pour défendre la thèse inverse à la vôtre. On va plutôt essayer d’identifier les caractéristiques de ce type de discours, travailler la capacité des gens à pouvoir accepter les idées des autres, et faire écouter ses arguments au sein d’un vrai débat.” 

Parfois, les arguments qui fondent les théories du complot sont aisément démontables. D’autres fois, c’est plus compliqué. Allez prouver que Barack Obama n’est pas un extraterrestre déguisé en humain alors que les reptiliens sont justement passés maîtres dans l’art de la dissimulation…

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