
Militants "pro-vie", inflexibles jusqu’à la mort ?

"On a ga-gné. On a ga-gné. On a ga-gné." Les chants de victoire scandés lundi par les partisans du maintien en vie de Vincent Lambert sur l’air bien connu de "Allez les Bleus" nous feraient presque saigner les oreilles. Un peu parce qu’ils ravivent les douloureux souvenirs d’une demi-finale de coupe du monde perdue le 10 juillet 2018 face au grand voisin. Surtout parce qu’ils sont incompréhensibles, vu le contexte. Tout comme la métaphore footballistique choisi par Me Jean Paillot, avocat des parents de celui qui est scotché sur un lit d’hôpital dans un état végétatif depuis 10 ans : "[La reprise des soins] est une extraordinaire victoire et ce n’est que la première. C’est la remontada !" a jubilé l’intéressé devant les caméras de BFM TV.
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Dernière minute - La cour d’appel de Paris décide de la reprise des soins de Vincent Lambert.
Scène de joie à l’annonce de la nouvelle dans le rassemblement en faveur de son maintien en vie. pic.twitter.com/ssvRk55q7W
— Remy Buisine (@RemyBuisine) 20 mai 2019
Massivement traité dans les médias, le débat sur la fin de vie de Vincent Lambert scinde la France en deux camps. Celui de Rachel, épouse qui souhaite stopper les soins pour laisser partir son mari, et celui des parents prêt à tout pour maintenir leur fils en vie. Catholiques traditionalistes, ces derniers ont reçu le soutien du Vatican qui a réclamé mardi dans un communiqué "des solutions efficaces pour protéger la vie" de Vincent Lambert. L’État pontifical a également dénoncé "la grave violation de la dignité de la personne que comporte l’interruption de l’alimentation et de l’hydratation. (...) L’état végétatif [dans lequel se trouve Vincent Lambert] représente certes un état pathologique pénible mais qui ne compromet absolument pas la dignité des personnes se trouvant dans cette condition, ni leurs droits fondamentaux à la vie et aux soins", est-il précisé dans le communiqué.
Enjeu politique
Le conservatisme religieux est l’un des moteurs du débat sur la fin de vie de Vincent Lambert. Outre l’Eglise, la politique s’est aussi emparée de l’affaire en pleine campagne pour les européennes. Marine Le Pen et François-Xavier Bellamy, candidat de la droite et philosophe catholique ultraconservateur (tiens donc) ont appelé Emmanuel Macron à réagir et prendre partie. "Derrière les déchirements, j’entends une angoisse : celle qu’en France on puisse décider de manière arbitraire de la mort d’un citoyen. C’est précisément parce que ce n’est pas le cas (…) que je n’ai pas à m’immiscer dans la décision", a esquivé le président.
En Belgique, si le patient n’a pas laissé de directives anticipées, c’est l’avis du conjoint qui prime. La décision des parents n’intervient qu’en troisième ressort, après celle des enfants adultes. Chez nous, le débat n’aurait simplement pas existé. Mais Vincent Lambert est Français. Et dans cette guerre judiciaire familiale, l’État Français a donc tranché pour la reprise des soins . L’épouse de Valentin Lambert souhaite engager une procédure contre l’État et porter plainte contre X après les scènes de joie de l’avocat des parents de son mari, a indiqué son avocat Me Francis Fossier : "C’est à l’État de se défendre et d’expliquer comment il a pu prendre cette décision sans entendre la tutrice (son épouse, NDLR)". Quant aux images vidéo, l’homme de droit ne souhaite même pas les commenter. "Je n’ose même pas imaginer ni commenter ce que Vincent penserait s’il était conscient de tout cela. C’est un degré d’indignité insupportable qui est atteint.” Lucide, François, neveu du tétraplégique qui milite pour l’arrêt des traitements, a résumé la situation : "Vincent Lambert est devenu un enjeu politique, ce n’est plus un être humain. Il n’y a plus d’humain là-dedans".
Une question de conscience ?
En prenant la phrase au pied de la lettre, on peut aussi se demander si Vincent Lambert peut encore vraiment être considéré comme "être humain". La présidente de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (A.D.M.D.), Jaqueline Herremans, nous déclarait lundi que "Vincent Lambert n'est plus là. Il n'a plus de conscience. Il n'a plus que des réflexes face à la lumière ou la douleur."
Le corps qui gît sur un lit d’hôpital à Reims n’est plus qu’une enveloppe charnelle. En vie mais dénuée de conscience. C’est la même chose pour un fœtus jusqu’à la 24ème semaine de grossesse : auparavant, il n’a pas conscience de son environnement. Raison pour laquelle la Cour Suprême des États-Unis garantissait le droit à l’avortement jusqu’à ce stade depuis 1973 (arrêt "Roe vs Wade"). Le 15 mai dernier, l'État d'Alabama annonçait pourtant que l'avortement était désormais un crime et ce, peu importe les circonstances. Une régression de taille. Les médecins qui pratiquent l’IVG et les femmes qui y ont recours risquent désormais des peine de 10 à 99 ans de prison. Et tant pis pour les femmes victimes de viols ou d’incestes ! À Montgomery (capitale de l’Alabama), des pancartes proclamaient "son corps, son choix" ou "si les hommes étaient enceints, on avorterait dans les stations-essence". En effet, on ne parle pas cette fois-ci uniquement de la mort d’un être certes vivant mais inconscient, mais aussi du droit des femmes à disposer de leur corps.
Pour l’Amérique puritaine et conservatrice acquise à la cause de Donald Trump, c’est aussi une "extraordinaire remontada". De plus en plus d'États américains envisagent également l’adoption du fetal heartbeat bill, qui rend l'avortement illégal dès la détection d'un rythme cardiaque de l'embryon (aux alentours de six semaines de grossesse). Soit un laps de temps très court où la plupart des femmes ne savent même pas encore qu'elles sont enceintes...
Fin de vie, avortement,… Jusqu’où les militants pro-vies se permettront-ils de décider du sort d’autrui ? Mi-avril, le Texas (État américain de tous les extrêmes) déposait un projet de loi visant à punir l’avortement de la peine de mort. Des militants pro-vies réclament des exécutions. Faut-il préciser que c’est un comble ?