
Une capitaine de bateau allemande risque 20 ans de prison pour avoir sauvé des migrants

Près de 80.000 personnes ont signé une pétition demandant à l'Italie d'abandonner les poursuites pénales contre la capitaine de bateau allemande Pia Klemp, et d'autres membres de l'équipage, qui ont sauvé plus d'un millier de migrants en Méditerranée. Ces derniers risquaient de se noyer dans des canots pneumatiques de fortune, alors qu'ils tentaient de traverser la frontière européenne dans l'espoir d'y mener une vie meilleure.
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La capitaine, qui a pourtant tout d'une héroïne, encourt jusqu'à 20 ans de prison. Une histoire saugrenue pour une femme qui a risqué sa vie à sauver celle des autres pendant des mois, notamment en travaillant avec le groupe de secours méditerranéen à but non lucratif Sea-Watch. L'activiste, qui est biologiste de formation, a fait ses armes en rejoignant il y a plusieurs années l'association Sea Shepherd, qui protège les espèces marines en réalisant des opérations parfois musclées. De ces années au sein de l'organisation créée par Paul Watson, elle garde un fort tempérament. "C’est pour préserver les écosystèmes marins que j’ai appris à diriger un navire, un équipage. La petite sortie du dimanche à la voile, ce n’est pas pour moi."
Pia Klemp, 35 ans, fait l'objet d'une enquête en Italie depuis que son navire, l'Iuventa, a été saisi à l'été 2017 en Sicile. Le gouvernement a depuis lors décidé de lui interdire de naviguer aux abords des côtes italiennes et l'a inculpée pour avoir contribué à l'immigration clandestine.
Un procès qui s'inscrit dans la politique de répression anti-immigration du ministre Italien de l'Intérieur et Vice-Premier ministre, Matteo Salvini. La journaliste Rula Jebreal s'est insurgée sur Twitter, soulignant que "Les fascistes italiens utilisent cette affaire pour dissuader les autres d'aider les migrants. Ils préféreraient laisser les gens se noyer en Méditerranée." Depuis 2014, selon les estimations il y aurait eu entre 15 000 et 20 000 décès en Méditerranée. Rien qu'en 2019, le chiffre s'élève à 543 selon l'Organisation internationale pour les migrations.
Over the past 5 years, our @MissingMigrants project has recorded over 30,500 migrant deaths worldwide.
That’s more than 16 people gone missing every day: https://t.co/jVTGQWfNoz pic.twitter.com/lsvAPTZfsP
— IOM - UN Migration (@UNmigration) 17 janvier 2019
Dans une interview livrée au journal Basler Zeitung, Pia Klemp a expliqué ses motivations. "Nous avons respecté le droit international, en particulier le droit de la mer, où la priorité absolue est de sauver les gens en détresse" ajoutant que son procès ne l'effrayait pas. "Le pire est déjà arrivé... Les missions de sauvetage en mer sont désormais criminalisées."
La capitaine blâme non seulement le gouvernement italien mais aussi ce qu’elle considère comme un échec de l’Union européenne "à rappeler ses valeurs reconnues: les droits de l’homme, le droit à la vie, de demander l’asile et le devoir des gens de les sauver.»
Pia Klempt est un symbole. Celui de la criminalisation de ceux qui sauvent des vies.
Elle a été espionnée pendant plusieurs années. Pia Klempt a sauvé des vies à bord de son bateau. Son procès est aujourd'hui emblématique. Ces dernières années, les procès à l’égard des personnes portant secours aux migrants sur la terre ferme ou en mer se multiplient en Europe. Dans le box des accusés, des volontaires qui se défendent. « C'est la criminialisation des solidarités. Le procès des hébergeuses, c'était la même idée. On joue sur l'idée de passeurs et on met toutes les personnes qui aident les migrants dans le même sac. Même parmi les passeurs proprement dits il y en a qui font ça pour aider sans être des mafias », explique Jacinthe Mazzocchetti, anthropologue de la migration à l'UCLouvain.
Il y a quelque chose de très pernicieux dans ce qui se passe. Tous les passages pour venir en Europe sont sécurisés et interdits. Mais les lois de la mer disent qu'il faut sauver ceux qui se noient. Quelles lois vont gagner ? « Tout l'enjeu consiste à faire passer comme des actes criminels ce qui est imposé par le droit de la mer, à savoir qu'on est obligé de porter secours et aussi par le droit à la vie. Mais aujourd'hui le discours officiel, c'est qu'on ne veut plus qu'aucun secours soit porté à ceux qui traversent la mer. On est dans une logique de fermeture.»