
La place Fernand Cocq, à Ixelles: quand le renouveau d’un quartier pousse les petits commerçants historiques à fermer leurs portes

À quelques mètres de la maison communale, ceinturés par la Chaussée de Wavre et la Chaussée d'Ixelles, se trouvent les quartiers de Fernand Cocq et de Saint Boniface. Un îlot bigarré au cœur de la capitale, situé dans la commune la plus chère de Bruxelles. Jusqu'il y a quelques mois, on pouvait y croiser des dizaines de commerces de proximité, du café Le Coq à la petite wasserette, en passant par la brasserie La Régence et le fleuriste rue de La Paix. Ceux-ci ont déjà disparu. Et ce malgré une important mobilisation citoyenne pour en préserver certains, comme cela a été le cas pour Le Coq.
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Plus de 200 personnes ont bataillé pendant des semaines pour faire entendre raison au brasseur AB InBev, à qui appartient le commerce, sans y arriver. Le comité de soutien de cet endroit emblématique d'Ixelles aura finalement organisé une marche funéraire pour célébrer une dernière fois l'établissement. À la place du Coq, les Ixellois trouveront Le Tulipant, un concept branché et des propriétaires qui le sont tout autant, puisque le permis d'exploitation du lieu a été attribué à ceux qui possèdent déjà le Bar du Marché à Flagey et le Café Luxembourg sur la place du même nom.
Des magasins poussés à la fermeture
Une gentrification qui devrait s'accélérer, si c'est encore possible, dans les prochains mois. En effet, d'autres magasins sont poussés à la fermeture. C'est le cas du petit supermarché Lida. Le 1er juillet, ce magasin emblématique situé Rue de la Tulipe va officiellement baisser le volet. À la dernière minute, le propriétaire des lieux a décidé de refuser le renouvellement du bail pour l'octroyer à un magasin bio. Très en vogue dans le coin, puisqu'il en existe déjà deux dans un rayon de 100 mètres. Le gérant du Lida est désespéré par la situation. « Cela fait dix-huit ans qu'on y était installés. On a essayé de négocier dans tous les sens pour garder le bail, mais ça n'a pas fonctionné. On a beaucoup pleuré et maintenant on essaye de garder la tête haute. Je ne sais pas ce que je ferai par la suite, je vais dormir et me reposer et penser calmement à un nouvel emplacement. »
Avec les travaux de la chaussée d'Ixelles puis ceux de la place Fernand Cocq, le commerçant avait rencontré de grandes difficultés. « Pour la livraison, c'était devenu un enfer. Nos camions ne pouvaient plus passer, du coup on devait décharger notre marchandise à Zaventem et puis faire les allers-retours avec une camionnette. C'était invivable. Ils s'attendaient à quoi à la commune en empêchant nos camions de passer, qu'on amène nos produits avec un hélicoptère ? »
L'arrière de l'église St. Boniface à Ixelles (Rue Jules Bouillon)
La pression des loyers, la multiplication des travaux, les grandes enseignes qui se multiplient, la rupture de bail,... Des raisons qui poussent de plus en plus de petits commerces à mettre la clef sous la porte, comme la librairie Durango de la rue de l'Athénée. À quelques mètres, la cordonnerie de l'Athénée, sans doute le plus ancien magasin du quartier, tient tant bien que mal. Bartolome, du haut de ses 87 ans, continuer à réparer les chaussures de ses clients avec le même enthousiasme que celui qui l'a poussé à ouvrir sa boutique il y a 55 ans. Mais les conditions ont changé. « J'ai la chance d'avoir une clientèle d'habitués, mais c'est vrai que les temps sont plus durs qu'avant. Je travaille toujours à la main. Par contre, des magasins comme Mister Minute poussent comme des champignons et proposent des prix cassés. C'est difficilement tenable, je comprends que des commerces ne tiennent pas dans ces conditions et c'est bien dommage. »
Eric, qui tient une fromagerie chaussée d'Ixelles depuis 1990, fait un peu le même constat. « Ça a été très difficile de tenir pendant les travaux. J'ai vraiment vu une baisse de clientèle, ce qui m'a poussé travailler encore plus que d'habitude. Ça va un peu mieux depuis la réouverture, mais par contre, qu'est-ce que c'est sale ! Si on se demande pourquoi les gens ne viennent plus faire leur shopping dans ce quartier, il ne faut pas chercher loin. Entre un shopping, qui présente toutes les mêmes grandes enseignes, ou une rue rempli de détritus, pour moi le choix est vite fait... »
Même schéma du côté des loyers, qui n'en finissent plus d'augmenter dans ce quartier. Et cela ne devrait pas s'améliorer avec la fin des travaux des logements situés à l'emplacement de l'ancien bâtiment Solvay. Caroline Davreux, de l'asbl Habitat & Rénovation, s'alarme du grand écart qui touche le quartier. « Les loyers explosent. D'un côté, on retrouve les locataires et propriétaires aisés, du type de ceux qui travaillent à la Commission, et de l'autre on retrouve des personnes extrêmement précarisées qui vivent dans des logement minuscules et insalubres. On retrouve de nombreux marchands de sommeil dans ce quartier très spécifiquement avec des studios qui font parfois 9 mètres carrés. »
Le problème, c'est que la Commune d'Ixelles ne possède pas de logements sociaux de transit. De fait, il est difficile de fermer ces appartements insalubres, parce que cela signifie que leurs locataires se retrouveraient à la rue. Autre élément qui favorise la gentrification: les propriétaires pauvres. « Depuis 2006, on observe un profond changement du quartier, notamment avec l'émergence des propriétaires pauvres, ce qui est assez récent. Ces derniers ont souvent hérité d'une maison, mais ne sont plus capables financièrement d'en assumer les rénovations et de fait, la seule solution pour eux, c'est de vendre leur habitation... à des personnes plus aisées. » Le quartier est également rempli de locaux commerciaux, ce qui rend très difficile la location des étages supérieurs pour les transformer en habitation. « Notre rôle, c'est d'aider les locataires et de sensibiliser les propriétaires pour qu'ils rénovent leurs biens, mais ce n'est pas toujours évident. Il faut qu'ils soient de bonne composition. »