Rosanne Mathot : "Les followers de Stéphane Pauwels ont cru que je l’assimilais à un terroriste"

Pétasse, mal baisée, pauvre conne...“ Victime d’une campagne de cyberharcèlement depuis plusieurs jours, la journaliste freelance du Vif Rosanne Mathot attend toujours des excuses de l’animateur belge et regrette le manque de soutien de la part de son groupe de presse Roularta.

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Deux jours après le début de la vague d’insultes qu’a subie Rosanne Mathot, la journaliste s’est réveillée ce matin après un “un cauchemar terrible“ où elle était "entourée de tweets parlants et vivants“. “Ça m’a fichu une peur bleue“, nous confie-t-elle.

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Pour comprendre “l’affaire“, il faut remonter au 2 juillet dernier. Sur le site du Vif pour lequel Rosanne Mathot travaille depuis 2015, la journaliste publie un article intitulé “En France, Stéphane Pauwels fera le DJ, le 21 juillet: une fête nationale entre terrorisme, inculpation, musique kitsch et moules-frites“. Une chronique mordante dans laquelle la journaliste explique que Pauwels a été choisi comme “personnalité belge“ pour animer notre fête nationale dans la petite ville française de Trèbes. Elle y rappelle notamment les attentats islamistes meurtriers ayant frappé cette ville du Sud de la France en mars 2018… et le fait que l’ex-animateur belge est toujours inculpé dans une affaire de vols avec violences. Si Stéphane Pauwels clame son innocence depuis son arrestation, il n’a pas encore été exonéré par la justice et la chambre des mises en accusation de Mons a d’ailleurs récemment décidé de rouvrir les débats en septembre prochain.

L’article passe presque inaperçu… jusqu’au jour où l’organisateur de l’événement, le chef belge Pascal Ledroit (et non le maire de Trèbes) décide de ne plus faire appel à l’ancien présentateur de la Ligue des Champions pour animer l’événement. Furieux, Pauwels y voit les conséquences de l’article de Rosanne Mathot et écrit un tweet qui lancera la machine infernale du cyberharcèlement: “Bonjour amis de Trebes, bonne fête Nationale ! Sans le boucan de l’opportuniste @rosannemathot je venais dans votre magnifique ville par amitié et gratuitement animer la fête Belge ! Désolé mais cette annulation est le fruit d’un article volontairement réducteur !“.

"Salope de journaliste"

Dès lors, les choses s’accélèrent et la journaliste reçoit des centaines d’insultes, menaces, et propos dégradants sur le réseau social. “Pétasse, pauvre conne, mal-baisée, franc-maçonne, frustrée, salope de journaliste, médiocre, débile profonde, idiote frustrée du cul, pleureuse, vierge effarouchée...“, tout y passe et le flot de tweets répugnants semble infini. Un défoulement insensé à l’encontre d’une journaliste qui n’a fait "que" son travail en rappellant des faits connus de tous. “Je crains que la majorité des followers de Stéphane Pauwels n’ait pas pris la peine de lire l’article que j’ai rédigé. Tout s’est focalisé sur le titre. Pêle-mêle, les followers de Pauwels ont cru que je l’assimilais à un terroriste, que mon but ultime, dans la vie, était de lui nuire… Je pense qu’être journaliste est une vocation, une passion. On a mieux à faire que de gratuitement faire du mal à quelqu’un“, confie aujourd’hui la journaliste.

Rapidement soutenue sur les réseaux sociaux par de nombreux internautes, elle se dit aujourd’hui “rassurée, qu’en 2019, à travers le flot compact de paroles misogynes dégueulées sur le Net, passe encore un peu de lumière, de solidarité et de bon sens, hommes et femmes confondus“. Elle rappelle néanmoins un fait, et non des moindres: “Si un homme avait rédigé ce papier, oui, on aurait probablement eu droit à des insultes du type ‘journaliste de merde’ ou ‘fils de pute’, mais là encore, ce ne serait pas le journaliste que l’on aurait visé (quand on y pense) mais sa mère. Une femme, donc. Encore“.

Le sexisme, un fléau aussi sur Internet

D'après un rapport d’ONUFemmes, 73% des femmes ont déjà été victimes de violences sur Internet. Rosanne Mathot en fait partie et tient à rappeler ce chiffre très préoccupant. “Je ne suis qu’un épiphénomène. L’affaire qui me fait bouillir dépasse de très très loin ma petite personne. C’est la violence gratuite dont sont victimes, en général, les femmes ‘qui l’ouvrent’, celles qui osent s’aventurer dans des ‘contrées mâles’ : journalistes, humoristes, politiciennes, linguistes, autrices, etc.“.

Des excuses, elle n’en a reçu que de deux personnes et uniquement suite à la demande son rédacteur en chef Thierry Fiorilli, d’ailleurs présenté à tort comme son compagnon dans plusieurs tweets de Stéphane Pauwels. “L’une des deux personnes qui s’est excusée m’a d’ailleurs dit, en message, privé : ‘pardon, je ne savais pas que Thierry Fiorilli était votre compagnon. Maintenant je comprends’“. Sans la demande d’excuses de son rédacteur en chef, Rosanne Mathot doute qu’elle en aurait reçu.

Myriam Leroy, Florence Hainaut, Nadia Daam… Nombreuses sont les journalistes et militantes féministes à être victimes de harcèlement en ligne. Ces campagnes, aussi baptisées raids, comprennent souvent des menaces de mort et de viol. “Je ne peux m’empêcher de constater que l’agression à l’encontre des femmes journalistes, sur internet fonctionne, systématiquement, toujours sur le même modèle, s’articulant autour des trois axes : le QI d’une femme (je serais donc « débile profonde »), son physique (je serais donc tellement vilaine qu’il me faudrait avoir recours à un gigolo pour […] ne plus être frustrée), et sa vie sexuelle (je suis « mal-baisée »). Et ces violences sexistes restent malheureusement souvent impunies. En juin 2019, un homme était condamné pour sexisme et incitation à la haine raciale sur Twitter. Surnommé Fidelio, il écope de 10 mois de prison avec sursis et 750 euros de paiement de dommages et intérêts. Une (grande) première en Belgique…

De son côté Stéphane Pauwels a également demandé des excuses à tous les internautes qui s’en sont pris à la journaliste. Surprenant quand on voit que l’animateur a lui-même retweeté différents tweets insultants à l’égard de Rosanne Mathot…

“Il ne s’est toujours pas excusé, lui. Et je pense qu’il ne le fera pas. Drôle de façon de condamner les tweets haineux à mon encontre : il en a, lui-même, RT et liké plusieurs. Bien sûr, il a dit qu’il ne cautionne pas le sexisme dont je suis victime. Mais… le fait que Stéphane Pauwels ait RT ou liké des tweets extrêmement insultants à mon encontre signifie, à mon sens, qu’il valide des textes éructés, gueulés, vociférés. Liker, dans ce contexte précis, c’est cautionner“, affirme-t-elle.

Porter plainte?

Soutenue par l’Association des Journalistes Professionnels, Rosanne Mathot ne sait pas à l’heure qu’il est si elle portera plainte. “J’étudie toutes les possibilités, même si je sais que plus de 90 % des plaintes finissent à la corbeille“. Elle nous confie également que son groupe de presse, Roularta, ne portera pas plainte: “Quand mon rédacteur en chef a demandé à la responsable juridique si le Vif portait plainte, elle a dit que non, car je n’étais ‘que’ pigiste et donc pas salariée du groupe. C’est à pleurer. J’écris toutes les semaines dans le Vif, depuis 2015. Quand on sait que les femmes freelance sont les victimes privilégiées des harceleurs en ligne, une telle réaction ne me parait pas aller dans le bon sens“, rappelle-t-elle. Contactée par nos soins, la responsable juridique nous confirme que Roularta ne portera pas plainte, mais soutiendra la journaliste si celle-ci décide de porter plainte en son nom. Quant à son statut, on nous assure que “salariée ou indépendante“, la décision aurait été la même…

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