Justin Trudeau vu du Québec: quand le vernis craque

Le Premier ministre canadien a remporté cette semaine les élections législatives, mais a perdu sa majorité absolue. Souvent idéalisé à l’étranger, Trudeau fait face à une nette baisse de popularité auprès de ses citoyens. On a voulu comprendre pourquoi.

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“Trudeau c'est comme la coriandre: soit on l'aime, soit on ne l'aime pas. Il ne semble pas y avoir de demi-mesure“, nous explique Marc depuis le Québec. Réélu ce lundi à la tête du Canada, l’homme politique n’est parvenu à faire élire que 156 députés sur 338. Pour arriver aux 170 lui permettant de former une majorité, il devra s’allier avec d’autres partis. La victoire est donc douce amère pour Justin Trudeau qui avait remporté haut la main les élections en 2015.

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Le dirigeant libéral termine son premier mandat affaibli par plusieurs scandales. En 2017, il est accusé de s’être rendu, aux frais de son hôte, sur l’île privée de l’Aga Khan aux Bahamas. Deux ans plus tard, un rapport l’accuse de conflits d’intérêts: Justin Trudeau aurait fait pression sur sa ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, pour qu’elle évite un procès à la société québécoise SNC-Lavalin poursuivie pour corruption. Enfin, l’incident le plus “connu“ de son mandat reste l’affaire du “blackface“: plusieurs photos et vidéos datant de 1990 à 2001 montrent l’homme politique maquillé de brun ou de noir lors de soirées privées. Ces images feront le tour du monde, provoquant un tollé au Canada.

Le "gendre idéal"

Bel homme, toujours le sourire aux lèvres et à la tête d’un gouvernement paritaire hommes-femmes, Justin Trudeau est souvent vu comme l’homme politique idéal. Le magazine féminin français Madame Figaro n’hésite pas à le qualifier d’homme “le plus hot de la planète politique“, de “gendre idéal“ ou encore de “good boy assumé“. Lors de sa visite à la Maison Blanche en 2016 (cela faisait 20 ans qu’un Premier ministre canadien n’y avait pas mis les pieds), le joli monde d’Internet s’amuse même à imaginer une “bromance“ entre Barack Obama et l’homme fort du Canada, le tout à coup de photos légendées et de mèmes.

“Mes chers Québécois, j’ai entendu votre message ce soir. Vous voulez continuer d’avancer avec nous, mais vous voulez aussi vous assurer que la voix du Québec se porte encore plus à Ottawa. Je vous donne ma parole : mon équipe et moi serons là pour vous“, a annoncé hier Trudeau à destination de la province francophone du Canada. Celle-ci a en effet enregistré une forte hausse du Bloc québécois, le parti des indépendantistes du Québec. Radio Canada estime d’ailleurs que “ce sont ce sont les gains du Bloc québécois qui auront privé Justin Trudeau de sa majorité“.

“Trudeau n'est pas parfait"

La tête d’ange de Justin Trudeau n’égaie donc plus beaucoup les cœurs des Québécois. “Ce qui me dérange, c’est sa propension à se faire aimer par la population des autres pays tout en échouant avec leurs dirigeants. Trudeau fait des bains de foule, prend des selfies avec monsieur et madame tout le monde, mais au fond, à part nous coûter une fortune en protection rapprochée (4 fois plus élevée que sous la gouverne de son prédécesseur, NDLR), ça ne nous apporte pas grand chose à nous les Canadiens, sinon un sujet de conversation banal avec la population locale lorsqu'on est en voyage“, nous explique Marc, marqué par deux importantes affaires ayant ébranlé l’image de son Premier ministre : ses vacances sur l'île de l'Aga Khan et son ingérence dans l'affaire SNC-Lavalin. “Trudeau n'est pas parfait (personne ne l'est), et il a certains manquements à son dossier qui dérangent et remettent légitimement en question son éthique et sa compétence“.

Pour Pascal Henrard, écrivain et scénariste belge vivant au Canada depuis 31 ans, Justin Trudeau est un leader progressiste qui “fait très attention à son image, mais oublie de se connecter à la réalité“. “Le monde se fie aux images, et Trudeau a une belle image, une famille parfaite, des poses de carte postale. On découvre aujourd’hui le manque de substance, l’influence des lobbys, le pouvoir des entreprises et du 1 % qui l'entoure. Il donne l’impression de débiter des discours écrits par d’autres et d’être le porte-parole de conseillers influents“. Celui dont les Canadiens espéraient un mandat différent serait-il simplement tombé dans le moule étriqué de la politique ? En 2018, son ex-conseiller aux affaires étrangères, Jocelyn Coulon, publie un livre à charges, Un selfie avec Justin Trudeau, où il estime que le Premier ministre “promettait de faire de la politique autrement, mais s’est révélé être un politicien comme les autres“.

L'environnement oublié

Le bilan du gouvernement Trudeau n’est pourtant pas catastrophique. Le taux de chômage du pays s’élève à 5%, soit le taux le plus bas depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Sur la scène internationale, le Premier ministre peut se targuer d’avoir négocié un nouvel accord de libre-échange avec l’administration Trump et d’avoir bouclé le CETA, le traité de libre-échange avec l’Union européenne (n’en déplaise à Paul Magnette). Selon des chercheurs de l’Université Laval, son parti aurait réalisé entièrement ou en partie 92% des 353 promesses faites en 2015 (54% entièrement tenues, 38% en partie et 8% rompues ou en suspens ). Celle dont le monde se souviendra est la légalisation du cannabis, entrée en vigueur en octobre 2018.

Côté environnement, le bilan est moins glorieux. Le rachat de l’oléoduc Trans Mountain (4,5 milliards de dollars) afin d’exporter du pétrole vers l’Asie a choqué beaucoup de Canadiens. Cet achat va en effet à l’encontre des déclarations de Trudeau, décrivant son gouvernement de “pro-environnement“. Le Canada est d’ailleurs le quatrième producteur et exportateur de pétrole dans le monde. Cette industrie fournit de l’emploi à des dizaines de milliers de personnes, particulièrement en Alberta et au Saskatchewan. “Je sais qu’il n’est pas le seul à prendre des décisions, mais il a particulièrement échoué dans sa gestion des pipelines“, regrette Marc. “Son bilan environnemental est catastrophique, nous confirme Pascal. C’est loin des espoirs qu’on aurait pu avoir: nous étions 1 demi million à marcher pour le climat avec Greta Thunberg à Montréal“.

Déçus, les Canadiens l’ont toutefois préféré au conservateur Andrew Sheer dont les propos contre l’avortement et le mariage pour tous ont choqué la population. “Sa réélection rassure face à une montée des conservateurs rétrogrades et de la droite religieuse en Amérique“, commente Pascal Henrard.

Pour s’assurer de diriger à nouveau le Canada, Justin Trudeau devra d'abord négocier rapidement avec d’autres partis. Il travaillera ensuite à la formation de son gouvernement et passera enfin par l’épreuve finale : le “discours du trône“ qui fera l’objet d’un vote de confiance dans la nouvelle Chambre. Sans les atouts de la jeunesse et de la nouveauté qui l’avaient aidé à décrocher une victoire il y a quatre ans, Trudeau devra se contenter de plusieurs compromis, ainsi que de certaines concessions envers les Québécois.

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