Pourquoi la réforme de la sécurité sociale vous impactera bientôt

Son financement sera partiellement soumis dès 2021 au bon vouloir des prochains exécutifs fédéraux. Une décision historique, très critiquée, et que chacun d’entre nous pourrait durement sentir passer.

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Augmenter le pouvoir d’achat. Voilà une des priorités absolues de l’ancien gouvernement Michel. À côté de son “jobs jobs jobs”, la majorité MR/N-VA a vanté durant cinq ans la “hausse du salaire poche” des travailleurs. Son projet phare pour réussir ce double objectif portait le nom de “tax shift”. Que ce soient sur les plateaux télévisés ou les réseaux sociaux, l’ancien exécutif n’a jamais rechigné à mouiller son maillot pour en vanter les mérites. Le principe s’avère simple. Employeurs et travailleurs paient moins de cotisations sociales. Des hausses d’impôts comme la TVA et les créations d’emploi attendues compensent les rentrées en moins. Toutefois, l’ancienne Suédoise n’offre pas la même publicité à toutes ses réformes. Suite logique du tax shift, la révision du financement de la sécurité sociale a ainsi été votée en 2017 dans une relative indifférence. Les conséquences pour l’avenir des soins de santé s’avèrent pourtant majeures.

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Un tournant dans l'histoire

La santé n’a pas de prix, mais elle a un coût. L’adage est connu. Il faudra pourtant bientôt nuancer et préciser qu’elle a finalement un prix. Lequel? Ce sera aux prochains gouvernements fédéraux de le déterminer à partir de 2021. Ce pouvoir nouveau découle de cette fameuse loi de 2017. Un texte qui marque ni plus ni moins un tournant dans l’histoire de la sécurité sociale. Pour comprendre les motifs d’inquiétude pointés par les rares spécialistes de la question, il faut d’abord préciser que le principe d’une réforme de la sécu fait relativement consensus. Simplifier une tuyauterie devenue extrêmement compliquée, y compris pour les experts les plus chevronnés, était plutôt le bienvenu. Et c’est justement un des objectifs de la loi. La pérennisation sur le long terme aussi. Et tant mieux. Les cotisations sociales représentent la principale source de financement de la sécurité sociale. Or, le tax shift les a réduites. Il s’agissait donc de compenser le manque à gagner.

“ Avec cette nouvelle loi, le gouvernement dit en quelque sorte à la sécurité sociale “c’est vrai qu’on a diminué votre financement avec le tax shift, mais on a des recettes en plus qui arrivent et on va vous en donner une partie. Comme ça, on compense cette diminution””, explique l’économiste de l’ULB Maxime Fontaine. C’est après que les choses se gâtent. Avec un premier problème: certaines sources de financement alternatif ne rapportent pas autant que prévu. Le conclave budgétaire de l’été 2018 prévoyait bien une sécurité sociale en équilibre pour 2019. Mais la surestimation des recettes dépasse finalement les 500 millions d’euros.

Des critères curieusement flous

Mais le malaise se trouve surtout ailleurs. La loi ne vise pas juste à simplifier et à financer. Ses auteurs, dont l’ancien ministre des Indépendants Willy Borsus (MR) du côté francophone, veulent aussi responsabiliser. Qui? Les gestionnaires du budget de sécurité sociale sans doute, les citoyens assurément. Il faudra donc être responsable à partir de 2021. Le terme tient fort à cœur à l’ancienne majorité MR/N-VA. Il se retrouve plus de 20 fois dans le texte législatif. En cas de non-respect des règles du jeu, le gouvernement se dote d’une arme redoutable: la possibilité d’imposer ses vues. Voilà des années que l’État pallie le sous-financement de la sécu avec une enveloppe appelée dotation d’équilibre. “ Celle-ci était jusqu’à présent quasiment automatique. L’exécutif participe à l’élaboration du budget. Et quand celui-ci était dépassé, le gouvernement pouvait faire savoir qu’il était mécontent, mais, en gros, le déficit était comblé” , explique Maxime Fontaine. Voilà désormais cette dotation d’équilibre octroyée sous conditions.

Aucun contre-pouvoir

Pour résumer le tableau, l’exécutif diminue d’abord les rentrées financières de la sécurité sociale. Puis, une loi institutionnalise son sous- financement et permet à l’exécutif d’imposer toutes ses conditions sur le budget. Un tournant historique pour un système créé en 1944 par les partenaires sociaux et longtemps géré par eux. “C’est un pouvoir énorme dont les gens ne se rendent pas compte. Jusqu’ici la sécurité sociale disposait d’une certaine indépendance et les gouvernements en place ne pouvaient pas faire ce qu’ils voulaient”, insiste notre économiste de l’ULB, qui réalise une thèse de doctorat sur le financement de la sécurité sociale. “La sécu n’appartient pas à la base aux finances de l’État. Il faut bien se rendre compte qu’il n’y a pas de contrôle du Parlement sur sa gestion. L’exécutif pourra faire ce qu’il veut sans contre- pouvoir” , explique Pascale Vielle (UCL), spécialiste en droit de la sécurité sociale. Responsabilité, qu’ils disaient

Une responsabilisation trompeuse

Mais que signifie être responsable finalement? Le législateur définit six critères de responsabilisation. Un des énoncés de la loi interpelle d’emblée: “ Les facteurs de responsabilisation visés sont entre autres... ”. “ Ce “entre autres” vous donne une bonne idée du flou du texte” , note Maxime Fontaine. Et certains facteurs interrogent par leur ambiguïté. Parmi les critères retenus, figurent ainsi les effets des mesures concernant la lutte contre la fraude sociale. “ Quels effets? On parle de combien de pourcents? Encore quelque chose de vague”, poursuit l’économiste. Et puis, prendre des mesures ne suffit apparemment pas. Encore faut-il que celles-ci aient eu des effets. Un autre point, intitulé “Les causes des augmentations des effets de volume”, fait tiquer notre expert: “Mettons qu’il y ait une hausse du nombre de pensionnés. Apparemment, le fait que l’âge de la pension soit plus ou moins élevé pourrait être un facteur de responsabilisation. Mais il s’agit d’une compétence du fédéral!”

Cette responsabilisation s’avère trompeuse, insiste Pascale Vielle (UCL). “D’abord parce que l’entièreté des recettes et des dépenses résulte de choix qui sont faits par l’État lui-même. À chaque fois, il fait des choix qui, dans un sens ou dans l’autre, pèsent sur l’équilibre financier de la sécu”, explique la chercheuse. Son homologue de l’ULB, Daniel Dumont, ne tient pas un autre discours. Le professeur cosigne d’ailleurs en 2017 avec elle une carte blanche en ce sens sur le site de la RTBF. Il y souligne le caractère arbitraire des différents facteurs prévus par la loi. “L’équilibre de la sécurité sociale risque à l’avenir de dépendre d’appréciations discrétionnaires du gouvernement qui lui serviront de prétexte pour se dégager de ses responsabilités à l’égard d’un éventuel déficit, et ce même si le déficit a été provoqué par des décisions qu’il a prises”, explique-t-il.

Le spectre du serpent de mer

Interrogé sur le flou des critères et les mesures prises en cas de déficit, le cabinet de la ministre des Affaires sociales Maggie De Block (Open VLD) explique que le gouvernement se prononcera au cas par cas. “En principe, les critères sont responsabilisants. Si les objectifs ne sont pas atteints, des mesures supplémentaires devraient être prises pour les atteindre, ou toute autre mesure ayant des impacts ou des objectifs similaires” , explique sa porte-parole. La loi ne souffre pour une fois aucune ambiguïté: la sécu doit être à l’équilibre en fin d’année. “ Les décisions de combler ou non des dérapages font l’objet d’un arbitrage politique. Le gouvernement peut décider de mesures additionnelles” , précise le texte. Dérapage: voilà un autre mot cher au législateur. Celui-ci l’écrit une dizaine de fois. Une récente étude de la Mutualité chrétienne (MC) devrait pourtant faire disparaître ce serpent de mer. Hors inflation, le budget de la sécu n’a pas augmenté depuis 2016.

Le volet pensions

Les gestionnaires du budget ont évolué au contraire ces dernières années sous la norme de croissance de 1,5%. Les dépenses de santé du régime salarié sont même passées, entre 2015 et 2019, de 20,1 à… 18,3 milliards. Cette baisse ne s’est pas toujours faite sans mal sur le terrain. Le mouvement des blouses blanches, qui dénoncent depuis juin dernier la dégradation de leurs conditions de travail, montre toutefois que les possibilités d’économie ne sont pas infinies. Reste que la sécurité sociale ne se résume pas aux soins de santé. Les allocations de chômage et des pensions en font aussi partie. Et là-dessus, il est possible de s’interroger. La loi de 2017 conditionne ainsi l’adaptation de la dotation classique au coefficient de vieillissement. Il faut une hausse significative de l’âge de sortie définitive du marché du travail et une croissance réelle du PIB d’au moins 1,5%. Sinon? Les pensions n’augmenteront peut-être pas.

Un désastre pour la MC qui évoque des conditions quasi impossibles à réunir. Une bonne nouvelle pour la Fédération des entreprises de Belgique (FEB). “Cela déboucherait sur des politiques de fins de carrière plus responsabilisantes” , souligne Alice Defauw, de la FEB. Vous n’aviez sans doute pas entendu parler de cette loi de 2017. Mais vous risquez pourtant de la sentir passer bientôt.

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